Brexit : pourquoi un report pourrait mettre en péril le Parlement européen

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Theresa May demande aux dirigeants européens de repousser la date officielle du Brexit de deux mois. © Aris Oikonomou / AFP
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Romain David et Isabelle Ory , modifié à
Un report du Brexit à la fin juin, comme demandé par Theresa May, pourrait remettre en cause l’organisation des élections européennes, prévues du 23 au 26 mai selon les pays.
ON DÉCRYPTE

Theresa May réclame un sursis. La Première ministre britannique a demandé formellement au 27 Etats membres un report de la date du Brexit, toujours fixée au 29 mars, alors même que la Chambre des communes a déjà rejeté par deux fois l’accord de divorce négocié avec Bruxelles, laissant planer le risque d’un départ brutal. À huit jours de la date fatidique, Theresa May souhaiterait une extension "jusqu'au 30 juin" de l'article 50 du Traité de Lisbonne, relatif à la sortie d'un pays membre de l'Union européenne. Mais il faut encore que sa demande soit acceptée à l’unanimité par les dirigeants européens, hypothèse peu probable à ce stade. Le cas échéant, ces derniers pourraient bien avoir à se frotter à un véritable casse-tête juridique.

À deux mois des élections européennes, le délai réclamé par la dirigeante britannique pourrait provoquer une crise institutionnelle au sein de l’UE. Il est jugé trop tardif par la Commission européenne qui a pointé de "graves risques politiques et juridiques". En effet, à la date du 30 juin, les élections des députés européens, qui doivent se tenir du 23 au 26 mai, seront passées. Encore membre, le Royaume-Uni pourrait donc être juridiquement contraint d’organiser un scrutin pour siéger dans une institution – le Parlement –, qu’il est supposé quitter dans la foulée. Cette situation mettrait en péril l’une des missions du principal organe législatif de l’UE, supposé être représentatif des citoyens des pays membres.

La légitimité du nouveau parlement remise en question

Du point de vue des 27, une prolongation aurait donc tout intérêt à se borner à la date du 23 mai, pour ne pas porter préjudice à la légitimité de la future assemblée. D’autant qu’une redistribution d’une partie des 73 sièges actuellement occupés par le Royaume-Uni a déjà été actée en juin dernier (46 sièges vont toutefois disparaître). La France doit notamment en récupérer cinq, ce qui porterait son nombre d’élus à 79 contre 74 actuellement, sur un total de 705 eurodéputés.

De quoi expliquer la ligne dure adoptée ces derniers jours par Paris, qui menace désormais de ne pas joindre sa voix à celle des autres pays. Mercredi, le ministre des Affaires étrangères l’a dit sans ambiguïté : sans tactique valable de la part de la Première ministre britannique, mieux vaut une sortie sans accord. "Une situation dans laquelle Madame May ne serait pas en mesure de présenter au Conseil européen des garanties suffisantes sur la crédibilité de la stratégie conduirait alors à écarter la demande d'extension et à préférer une sortie sans accord", a expliqué Jean-Yves Le Drian à l’Assemblée nationale. Mais la fermeté de la France pourrait être aussi une manière de bluffer pour pousser les députés britanniques à adopter enfin l’accord, lors d’un troisième vote théoriquement prévu en début de semaine prochaine.

 

De l’élection à l’entrée en fonction

De leur côté, les Britanniques pourraient jouer la carte du pragmatisme pour tenter de désamorcer les craintes autour d’un report qui irait au-delà des élections européennes. Le nouveau Parlement ne siégeant pas avant le 2 juillet, date officielle du début de la neuvième législature (2019-2024), il pourrait être envisageable de laisser le Royaume-Uni à l’intérieur de l’UE jusqu’au 30 juin sans qu’il soit tenu d’organiser des élections. Au moment d’entrer en fonction, la nouvelle assemblée, élue par une Europe à 28 mais sans la participation des Britanniques, serait donc bel et bien représentative d’une Europe à 27.

Cette hypothèse a notamment été avancée par le service juridique du Conseil européen, précisent Les Echos. "La question reste ouverte quant à la durée" du report, a déclaré mercredi Donald Tusk, le président du Conseil, laissant ainsi la porte ouverte à un délai long.