Des policiers britannique et français. MATHIEU GENON / AFP 3:56
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Pierre de Cossette, édité par Thibaud Le Meneec
L'approche du Brexit inquiète les policiers et les magistrats français, qui doivent se préparer à de futures procédures plus compliquées avec leurs homologues britanniques.
ENQUÊTE

Le Brexit va-t-il finalement être repoussé ? Jeudi, Theresa May va demander à Bruxelles un report de trois mois de la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, initialement prévu vendredi 29 mars. En attendant, policiers et magistrats français ne savent pas ce que va devenir la coopération judiciaire entre les deux pays. Europe 1 a tenté d'y voir plus clair sur cette relation bouleversée.

Que va-t-il se passer le 29 mars ?

C'est très simple : à minuit, on débranche la Grande-Bretagne des deux grandes agences, Europol, pour la police, et Eurojust, pour la justice. Des techniciens ont déjà leur billets de train pour aller à Londres afin d'y couper les accès aux serveurs.

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Ils vont concrètement débrancher le fichier Schengen des personnes à surveiller ou à arrêter, où l'on trouve par exemple les fichés S. Ensuite, ils vont fermer l'accès à la messagerie sur laquelle les policiers européens s'échangent les renseignements, ou encore une immense base d'informations, sorte de "Google" sur les suspects. Les autorités britanniques vont donc perdre des centaines de milliers de données, comme des plaques d'immatriculations, des numéros de téléphone, etc.

Au même moment, à La Haye, aux Pays-Bas, où se trouvent les sièges d'Europol et Eurojust, les délégations et les employés britanniques devront faire leurs cartons. Plusieurs dizaines de personnes sont concernées. Pour la petite histoire, Londres avait demandé à bénéficier de l'échange des empreintes digitales et ADN. Cela devait être opérationnel il y a trois jours mais, pour une durée potentielle de seulement deux semaines, cet échange a été refusé.

Quelle sera leur future coopération ?

C'est un retour de 20 ans que s'apprête à vivre les deux pays : le Royaume-Uni ne sera plus concerné par le mandat d'arrêt européen, grande fierté communautaire imaginée en 1999, qui permet de se remettre des suspects en quelques jours seulement. Le système de l'extradition, prévu en 1957, sera de nouveau en vigueur, comme avec un pays du bout du monde. Là aussi, ce sera plus compliqué : le politique peut se mêler de ces affaires et en France, il faut un décret du président de la République pour que cela se concrétise. Des personnes peuvent attendre plusieurs années avant d'être extradées.

Aujourd'hui, Paris est dans l'attente d'une trentaine de suspects, interpellés par les Britanniques grâce à un mandat d'arrêt. Il y a encore un flou les concernant : est-ce qu'il faudra changer ou non de cadre vendredi 29 mars ? Pour tous ceux arrêtés à partir du Brexit, la question ne se pose pas : ce sera l'extradition.

Les dossiers vont-ils être plus compliqués à gérer ?

Hormis les dossiers de terrorisme dans lesquels les services de renseignement, DGSI pour la France, MI6 pour le Royaume-Uni, continueront de se parler, le reste va devenir beaucoup plus compliqué. En France, les policiers sont les plus inquiets, car ils redoutent de devoir passer le plus souvent par Interpol, l'agence mondiale, pour simplement parler aux Britanniques. Ils se demandent par exemple s'il ne va pas falloir rentrer leurs 80.000 fiches Schengen dans la base Interpol, de manière manuscrite, ce qui représente une somme de travail considérable.

" Les échanges sont historiquement infernaux avec les magistrats britanniques "

Les magistrats, eux, relativisent davantage, car ils sont habitués à une relation déjà compliquée. "Les échanges sont historiquement infernaux", confiait l'un d'eux à Europe 1. Le droit anglais et le droit français sont aux antipodes. Ainsi, lorsqu'on fait une demande à Londres, la justice britannique pose des centaines de questions et exige des garanties. Par exemple, il y a trois ans, Londres avait refusé de remettre à la France un trafiquant de stupéfiants à cause de l'état de nos prisons.

Le cas d'Alexandre Djouhri, homme d'affaires dont le nom est cité dans le financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007, illustre cette entente pour le moins imparfaite : cela fait plus d'un an que les juges français attendent qu'il leur soit remis. Il y avait déjà de la lourdeur, et le Brexit ne va donc rien arranger.

Qui a le plus à perdre ?

Tout le monde va y perdre, mais les Britanniques sans doute un peu plus que les Français. Un policier résumait à Europe 1 : le Royaume-Uni serait subitement relégué en troisième division, derrière "l'Albanie, la Colombie ou l'Australie". Prenons un cas concret : actuellement, il y a une quarantaine de dossiers dans lesquels les Britanniques demandent à la France de confisquer des maisons ou des biens de trafiquants. De l'argent est en jeu et pourrait leur filer entre les doigts. Il faudra trouver de nouveaux accords pour redonner au Royaume-Uni une vraie place, mais ça prendra au moins un an, un an et demi.