Agriculteurs, ONG, politiques : pourquoi le traité UE-Mercosur inquiète

L'accord va permettre aux quatre pays du Mercosur d’exporter 99.000 tonnes de viande bovine.
L'accord va permettre aux quatre pays du Mercosur d’exporter 99.000 tonnes de viande bovine. © AFP
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Antoine Terrel avec AFP
Alors que l’UE et le Mercosur ont trouvé un compromis sur un vaste accord de libre-échange, le futur texte suscite la crainte autant chez les défenseurs de l’environnement que des éleveurs.

Le texte fait déjà la quasi-unanimité contre lui, et ce bien avant son entrée en vigueur. Vendredi, l’Union européenne et les quatre pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay et Paraguay) sont parvenus à un accord sur un vaste traité de libre-échange, mettant fin à un vieux serpent de mer, en négociation depuis 20 ans.

Problème, le texte a d’ores et déjà rencontré une vive opposition, aussi bien de la part des ONG que des agriculteurs, en passant par une classe politique française au sein de laquelle même la majorité se divise. Europe 1 fait le point sur les raisons de ces crispations.

Les agriculteurs craignent une "concurrence déloyale"

Cela fait plusieurs mois, voire plusieurs années, que les agriculteurs tirent la sonnette d’alarme. Il y a déjà plus d’un an, à la veille du Salon de l’agriculture 2018, la question du traité était au cœur des manifestations de professionnels inquiets du "sacrifice de la filière bovine".

L’accord, qui prévoit de supprimer 92% des droits de douane appliqués par l’UE sur les biens sud-américains arrivant sur son sol, va permettre aux quatre pays du Mercosur d’exporter 99.000 tonnes de viande bovine, avec un taux préférentiel de 7,5% (mais aussi quelque 180.000 tonnes de sucre et 100.000 tonnes de volaille en plus des volumes déjà autorisés).   

Mais pour les agriculteurs, aussi bien français qu’européens, cette ouverture du marché met en place une concurrence déloyale. Très dépendants des subventions européennes, les éleveurs, par ailleurs souvent organisés en exploitations familiales extensives au revenu très bas, estiment ne pas être de taille à lutter contre les "usines à viande" de leurs concurrents d’Amérique du Sud.

Une concurrence d’autant plus déloyale que les pays du Mercosur ne sont pas soumis aux mêmes normes sanitaires que leurs homologues européens.  "Comment le gouvernement peut-il dire à l'agriculture française : 'montez en gamme, moins d'antibiotiques, moins de phytosanitaires, plus de traçabilité' et ouvrir grand les vannes à un pays qui s'est illustré par des scandales sanitaires à fort retentissement ?", fustige ainsi la présidente de la FNSEA Christiane Lambert.

"Dans le cahier des charges label, on s’interdit d’alimenter nos animaux avec des OGM, on est obligé de produire plus de 80% de leur nourriture sur notre exploitation, on n’utilise des antibiotiques que pour soigner les animaux, pas pour activer leur croissance, et bien évidemment, on s’interdit d’utiliser des hormones", illustre Jean-Pierre Bonnet, un éleveur de Haute-Vienne, au micro de France Bleu. "Et là, il va arriver de la viande d’Amérique latine, qui est hormonée systématiquement".

Conscient de la grogne des éleveurs, le commissaire européen à l'Agriculture Phil Hogan leur a promis "une aide financière" jusqu'à un milliard d'euros "en cas de perturbation du marché".

Brésil : les ONG s’inquiètent pour l’environnement et les droits de l’Homme

Autre sujet d’inquiétude, notamment du côté des ONG : la question de la défense de l’environnement et du respect des droits de l’Homme. Des craintes amplifiées depuis l’arrivée au pouvoir au Brésil du président d’extrême-droite Jair Bolsonaro, et ce même si Emmanuel Macron dit avoir obtenu de son homologue qu’il maintienne son pays dans l’Accord de Paris. Depuis son investiture en janvier, 239 pesticides ont ainsi été homologués rappelle Le Monde, dont 31% sont interdits dans l’UE, selon Greenpeace. De plus, Bolsonaro n’a jamais fait mystère de sa volonté d’intensifier l’exploitation de l’Amazonie, tout comme de sa politique très répressive à l’encontre des minorités.

"Honte à la Commission de pactiser avec Jair Bolsonaro qui s’en prend aux démocrates, aux LLGBT et aux femmes, à l’Amazonie", a tweeté Yannick Jadot, chef de file des écologistes français aux élections européennes, tandis que dans Le Monde, l’ancien ministre de la Transition écologique Nicolas Hulot dénonce "un accord complètement antinomique" avec les ambitions climatiques de la France.

En France, des remous jusque dans la majorité

En France, l’accord trouvé par l’UE a suscité les critiques de l’intégralité de l’opposition, du RN qui fustige un "accord de la honte", à LFI dénonçant une "mort de notre agriculture", en passant par LR dont le patron du groupe au Sénat Bruno Retailleau regrette dans un communiqué "un nouveau coup de poignard" dans le dos des éleveurs.

Plus surprenant, depuis vendredi, des voix discordantes se font entendre au sein de la majorité. Agriculteur de profession, le député Jean-Baptiste Moreau conteste dans Le Monde "le fait d’importer des produits d’une agriculture parmi les plus nocives au monde".

Prise de guerre sur la liste Renaissance aux européennes, Jeremy Decerle, ancien président des Jeunes agriculteurs, estime lui que "les consommateurs et agriculteurs méritaient plus de respect". Et d’annoncer : "en tant que député européen, je ne peux pas l’approuver".

L’exécutif et les cadors de la majorité restent donc prudents. Lundi matin, sur RTL, le numéro 2 de la liste Renaissance Pascal Canfin a averti que le vote des eurodéputés LREM en faveur de l’accord n’était "pas acquis". Dès samedi, le président de la République Emmanuel Macron saluait un "bon accord", mais se disait "vigilant" tout en affirmant vouloir lancer une "évaluation indépendante" du pacte.   

Quel avenir pour le texte ? La ratification du compromis demeure incertaine. Le texte doit tout d’abord être traduit en texte juridique, ce qui pourrait prendre plusieurs mois. Ensuite, l’accord devra être approuvé par les États membres à l’unanimité. Puis il devra alors être signé par l’UE, avant d’être validé par les députés européens. Ce n’est qu’alors qu’il devra être approuvé dans chaque État membre, au sein des parlements nationaux.