Tous les matins après le journal de 8h30, Emmanuelle Ducros dévoile aux auditeurs son «Voyage en absurdie», du lundi au jeudi.
Le burn-out d’un médecin de campagne
L’histoire se passe à Bully, dans la Loire, un village de 433 habitants dans une zone très rurale monts de la Madeleine. La médecin du village, une jeune femme, a eu la désagréable surprise, la semaine passée, de voir débarquer trois gendarmes en pleine consultation, pour lui remettre un arrêté de réquisition à la demande de l’ARS, l’agence régionale de santé. Il s’agit de la forcer à effectuer des gardes de nuit, parce que le secteur manque de médecins. La goutte d’eau qui a fait déborder le vase pour la praticienne de Bully. Sous le choc, elle est en arrêt de travail.
Elle croulait déjà sous le travail.
C’est la seule praticienne du village. La collègue avec laquelle elle travaillait a jeté l’éponge en juin dernier. Depuis, elle assure seule le suivi de 1500 à 2000 patients, avec des semaines de 50 heures. Elle avait alerté l’agence régionale de santé que ce rythme était trop intenable pour y rajouter en plus des gardes. Ses sept confrères du secteur, tous confrontés à la même surcharge alertent aussi depuis un an. Mais la règle, c’est la règle, et l’ARS a pris cette mesure rare de la réquisition - qui se heurte au principe de réalité, l’épuisement du médecin
À Bully, les habitants sont inquiets. Le maire a lancé une pétition, elle dépasse les 1000 signatures
pour soutenir le médecin et demander de la souplesse à l’ARS. La commune, nous apprend le Progrès, le journal régional, s’est démenée pour ne pas être un désert médical, c’est crucial dans cette zone à l’habitat très émietté. Elle a refait il y a trois ans le cabinet, et une association locale y a logé les médecins salariés.
En attendant que la médecin se requinque, des confrères vont assurer des remplacements deux jours par semaine.
L’association s’est mise en quête d’un autre titulaire pour soulager la praticienne (allez-y, c’est très beau). Mais les élus s’inquiètent. "Lorsqu’on fait venir un gendarme pour obliger un médecin à faire des gardes, les jeunes qui veulent s’installer n’ont sûrement pas envie de venir dans un cabinet dans une petite commune", dit l’adjointe au maire de Bully. Il est clair que ce n’est pas la meilleure pub qui soit.
Le médecin de Bully, symbole d’une médecine libérale à bout de souffle.
En France, huit millions de Français vivent dans un désert médical, et ne peuvent pas consulter plus de deux fois par an un généraliste, faute d'en avoir un à proximité. Et que dire des pédiatres, des ophtalmos, de gynécologues ou des psychiatres. Pour y remédier, on a tenté les incitations à l’installation, ça marche parfois. Il y a souvent la tentation de forcer les installations en zones dépourvues, mais ça fait plutôt fuir les médecins vers le privé. La réalité, c’est qu’il nous faudrait en France le double du nombre de médecins, et on ne les a pas, parce qu’on ne les a pas formés dans les années 90... Et un praticien sur quatre est en âge de partir à la retraite. Navrée, mais cette chronique est gaie comme une ordonnance d’anti dépresseurs.