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Tous les matins après le journal de 8h30, Emmanuelle Ducros dévoile aux auditeurs son «Voyage en absurdie», du lundi au jeudi.

Les agriculteurs français sont en colère et ils multiplient les manifestations depuis quatre jours, cela va s’intensifier dans les prochaines semaines. Pourquoi est-ce que la coupe déborde ?

Il n’y a pas une raison, mais sans doute des dizaines, qui se superposent. Des raisons économiques, la difficulté à être correctement payé pour la production. Une  crise de sens, aussi. L’agriculture française a perdu 20% de ses effectifs, 100 000 paysans en 10 ans. C’est un gigantesque plan social sans l’accompagnement.

Et puis il y a le reste. Ils dénoncent l’incohérence vécue au quotidien.

Etre agriculteur, c’est être Kafka sur son tracteur. C’est être confronté à des normes absurdes, françaises, européennes, accumulées au fil des années. L’idée c’est de faire mieux, plus vert, plus encadré, plus administré. Le résultat est souvent un désastre.

Ces histoire ahurissantes, on n’a qu’à se pencher pour les cueillir. Un exemple : il est devenu impossible en France de curer un fossé. il y a de textes pour encadrer les écoulements d’eau, la biodiversité.  Trop de règles contradictoires, floues, interprétables... les agriculteurs renoncent. Pas fous, le curage inapproprié d’un fossé expose à la correctionnelle. On a vu ce que ça a donné dans le Pas de Calais. Des inondations.

Les prairies sont aussi synonymes de colère.

La tendance en Europe, c’est la réduction de l’élevage bovin. Bruxelles n’en veut plus. Trop émetteur de méthane. Mais dans le même temps, Bruxelles veut sauvegarder la prairie. c’est vertueux, c’est de la biodiversité. Donc, Bruxelles limite la capacité à en faire autre chose, un champ, pour maintenir un “ ratio prairie". Vous la voyez venir, l’incohérence ? Les règles européennes obligent des agriculteurs qui ont vendu leur cheptel à garder de la prairie. Voir à les ressemer, en dépit de toute logique. On n’en fera rien d’autre, aucune production. Une des injonctions contradictoires qui rendent dingue.

Dans ces histoires folles, il y a aussi l’obligation de laisser 4% des terres en jachère.

Sans doute une des points qui met les agriculteurs le plus en colère. C’est une règle verte européenne : pour rendre des terres à la nature, on les oblige à mettre 4% de terre au rencart. Dans le même temps, les importations de céréales ont doublé en Europe en un an ! 40 millions de tonnes venues d’Ukraine, du Brésil. On ne produit plus ici, on importe ce qui se fait de pire. Ca n’a aucun sens.

Ça ne s'arrête jamais.

Je pourrais vous raconter comme ça des litanies d’histoires folles, tantôt françaises, tantôt européennes, qui aboutissent par des moyens différents au même résultat : le saccage de filières entières pour de bonnes intentions environnementales. La volailles, par exemple.  les volumes s’effondrent. Ils sont remplacées par des importations obtenues dans les conditions interdites chez nous, qui détruisent ailleurs. Je vais reprendre la phrase qu’a dite, ce week-end, un agriculteur du Rhône au premier ministre Gabriel Attal, bon résumé : “à force de la laver plus blanc que blanc, notre agriculture devient transparente”.  Elle est lessivée, tordue, essorée, pleine de trous. Et c’est nous, les citoyens européens, qui sommes déshabillés de notre souveraineté alimentaire.