Pétrole, trafic, etc. : comment Daech se finance

© AFP
  • Copié
, modifié à
INFOGRAPHIE - L’organisation Etat islamique est un peu plus au cœur des préoccupations depuis les attentats à Paris. Mais comment se finance-t-elle ?

En menant une série d’attaques coordonnées à Paris, l’organisation Etat islamique a fait preuve de sa capacité à commettre des attentats de plus en plus élaborés. Des opérations qui nécessitent des moyens et une logistique importants, ce qui conduit à s’interroger sur les moyens dont dispose cette organisation. Ces derniers sont tout sauf négligeables, comme le montre un rapport du Congrès américain, sans oublier les chiffres avancés par Daech lui-même.

Daech, un budget annuel de 2 milliards de dollars ? En janvier 2015, l'organisation publiait son premier budget afin d’endosser les habits d’un Etat classique. Daech y annonçait un budget de deux milliards de dollars pour l’année et affirmait même prévoir un excédent de 250 millions de dollars. Ce qui signifie que l’organisation compte récolter au moins 2,25 milliards de dollars en 2015 (soit 2,1 milliards d’euros).

Des chiffres à prendre avec des pincettes tant la comptabilité et les pratiques financières de Daech sont obscures et bien évidemment non contrôlées. D’autant qu’il y a dans la publication de ce budget une part de communication visant à montrer la solidité de l’organisation. Enfin, ce budget sous-estime les dépenses que l’organisation devra endosser, notamment en termes d’infrastructures – qu’il faut entretenir et réparer – et de services sociaux que Daech prétend assurer. Sans oublier les salaires versés à ses troupes. Mais au final, les chiffres avancés par le Congrès américain ne sont pas si éloignés, Daech ayant en outre mis la main en 2014 sur les réserves de la banque de Mossoul, estimées à 500 millions de dollars.

LES PRINCIPALES RESSOURCES DE DAECH

En effet, le Congrès américain a publié en avril 2015 un rapport dédié spécifiquement aux finances de l’organisation Etat islamique. Sources de revenus, dépenses et tendances : ce document dresse un panorama de l’économie en territoire djihadiste, qu’il faut là aussi prendre avec précaution, tant les sources d’informations fiables sont limitées. Il en ressort que Daech devrait encaisser un peu plus d'un milliard de dollars en 2015 (940 millions d'euros) grâce à plusieurs sources de financement, dont voici un résumé en infographie. Vous trouverez davantage d’informations sur chaque source de revenus ci-dessous.

Le pétrole et le gaz. Sans surprise, les hydrocarbures représentent la première source de financement pour Daech, d’autant que l'organisation occupe la zone où sont concentrés les champs pétrolifères syriens. La production y a bien évidemment chuté à cause de la guerre, passant de 400.000 barils par jour à 20.000 barils, mais elle reste très lucrative. Même en vendant le pétrole cinq fois moins cher que les prix du marché, le rapport américain estime que Daech a ainsi gagné 1 million de dollars par jour. Ce serait désormais beaucoup moins en raison de la chute des cours, mais même en considérant que ces derniers ont reculé de 40%, cela signifie que l’organisation peut espérer gagner près de 4 millions de dollars par semaine en écoulant sa production sur le marché noir via la Turquie. Soit entre 210 et 365 millions de dollars sur l’année (200 à  345 millions d'euros). Pour cette infographie, nous avons retenu un chiffre moyen de 290 millions de dollars.

Ces chiffres sont toutfois basés sur une estimation du début de l’année. Depuis, si les frappes de la coalition évitent de viser les installations pétrolières pour préserver l’avenir du pays, elles se sont concentrées sur les camions-citernes, réduisant le commerce de l’or noir. Sans oublier que la frontière avec la Turquie est censée être moins poreuse qu’auparavant, compliquant un peu plus le trafic.

L’agriculture. En prenant le contrôle d’une partie des plaines de l’Euphrate, l’organisation islamique a mis la main sur la zone agricole la plus fertile de la région. De quoi nourrir ses troupes et la population placée sous sa domination, mais pas seulement : le reste de la Syrie et de l’Irak ne peut se passer de cette production et laisse les commerçants franchir les lignes de front. Ce qui permettrait à Daech d’encaisser de juteux revenus estimés à 200 millions de dollars par an (187 millions d'euros), un chiffre qui ne devrait pas reculer.  

Syrie Etat islamique Raqqa 1280

© Reuters

Les taxes, impôts religieux et extorsions. Il s’agirait de la deuxième source de revenus de l’organisation, estimés à 360 millions de dollars par an (337 millions d'euros). Il faut dire que Daech a la main lourde et taxe à tout va. Tout passage sur son territoire se paie, qu’il s’agisse de personnes ou de biens. Les commerçants et les entreprises doivent également payer une taxe : dans son rapport, le Congrès américain affirme que les pharmacies de Mossoul doivent reverser entre 10 et 35% de leur chiffre d’affaires. De même, les retraits dans les banques qui existent encore seraient ponctionnés à hauteur de 5%.

Le gouvernement irakien affirme par ailleurs que tous ceux qui suivent des études doivent payer un forfait chaque année : 22 dollars pour le cycle primaire, 43 dollars pour le secondaire et 65 dollars pour l’université. Il y a enfin l’impôt religieux imposé aux non-musulmans, baptisé "jizyah" : tous les monothéistes qui vivent sous la domination de Daech et refusent de se convertir doit le payer ou fuir. Quant aux polythéistes de la région, leur sort est pire : ils sont promis à l’esclavage, notamment sexuel, comme c’est le cas pour les Yézidis.

Mais cette source est elle aussi en train de se tarir : Daech a perdu du terrain, et donc des territoires sur lesquels il peut imposer ses taxes. De plus, toutes les élites de la région ont fini par fuir, privant l’organisation d’autant de taxes.  

Le trafic d’antiquités. Si l’organisation djihadiste a soigneusement mis en scène la destruction de nombreux sites archéologiques, souvent classés au patrimoine de l’Humanité, elle a en revanche pris le soin d’en extraire toutes les antiquités qui pouvaient être transportées et vendues. Daech a également pillé de nombreux musées et collections personnelles. Peu de temps après, de nombreuses antiquités sont apparues chez les antiquaires de Munich, de Londres ou de Suisse, preuve que l’organisation n’a pas tout détruit et mis en place des filières d’exportation. Dans son rapport, le Congrès américain précise même que Daech accorde des permis d’exploitation en échange d’une commission sur les ventes allant de 20 à 50%. Ce qui rapporterait 100 millions de dollars par an (93 millions d'euros), une manne qui risque là aussi de se tarir après que de nombreux Etats aient renforcé leurs contrôles.

Les enlèvements. Daech a exhibé et exécuté de nombreux otages, prenant soin de médiatiser ces assassinats. Mais la plupart des personnes que l’organisation enlève ne sont pas tuées : elles permettent de réclamer d’importantes rançons. Le tarif exigé pour un occidental peut aller jusqu’à 5 millions de dollars, un chiffre impossible à vérifier. Mais Daech enlève également des locaux, dont la "valeur" varierait entre 500 et 200.000 dollars. Le Congrès américain estime que ces enlèvements rapportent de 35 à 45 millions de dollars par an (33 à 42 millions d'euros), une manne là aussi en train de se tarir : les personnes à s’aventurer sur le territoire de Daech et même dans le reste de la Syrie sont de plus en plus rares.

Les dons militants. Dernière ressource sur laquelle Daech peut compter : l’argent versé par de riches donateurs et une minorité d’ONG islamiques. La plupart des fonds proviendraient de la péninsule arabique, majoritairement de l’Arabie Saoudite, du Koweït et du Qatar. Les sommes ainsi récoltées atteindrait jusqu’à 40 millions de dollars (37 millions d'euros), mais les circuits empruntés sont de plus en plus surveillés malgré la persistance de nombreuses places financières opaques (Liban, Bahreïn, Dubaï mais aussi Londres). Il est important de préciser que cet argent provient de particuliers, les Etats ayant eux décidé de financer certaines organisations islamistes concurrentes de Daech. Sauf qu’une partie d’entre elles ont depuis rejoint les rangs de l’organisation terroriste.