Paradis fiscaux : l'Union européenne loin d'être irréprochable

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Les Pays-Bas figurent parmi les pires paradis fiscaux mondiaux, selon l'Oxfam. © TOBIAS SCHWARZ / AFP
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L'Union européenne doit se doter cette année d'une "liste noire" de paradis fiscaux, mais qui ne fera figurer aucun État membre. Pourtant, certains ont des pratiques "dommageables", selon les ONG.

Les "Panama papers" il y a un an, les "paradise papers" ce week-end, et toujours la même rengaine : l'Union européenne se dit "choquée" et prête à agir pour lutter contre les paradis fiscaux. La preuve, la Commission européenne a rappelé mardi que les États membres devaient se doter d'une liste noire, recensant tous les pays permettant l'évasion fiscale. Une liste présentée par le commissaire européen à la Fiscalité, Pierre Moscovici, qui devrait être finalisée le 5 décembre, lors d'une rencontre entre tous les ministres des Finances de l'Union.

"Il est important que cette liste sorte en 2017", a martelé Pierre Moscovici mardi. "Il faut qu'elle soit crédible, à la hauteur, qu'elle soit consistante et il faut qu'il y ait des sanctions appropriées pour les pays qui appartiendraient à cette liste noire." Et le commissaire européen de préciser qu'il "n'y aura pas de pays de l'UE sur cette liste de paradis fiscaux car un paradis fiscal, c'est un pays qui ne respecte pas les standards de bonne gouvernance."

Les Pays-Bas, le Luxembourg, l'Irlande et Chypre épinglés. Pourtant, les pays membres de l'Union européenne sont loin d'être irréprochables, comme l'ont souvent dénoncé des ONG. Dans un rapport intitulé "La bataille des paradis fiscaux", publié en 2016, l'Oxfam, une confédération de 20 ONG, a ainsi classé les 15 pires élèves du monde en matière d'évasion fiscale. Parmi eux, quatre sont au sein de l'UE : Chypre, qui pointe en 10e position, le Luxembourg, 7e juste derrière l'Irlande, et les Pays-Bas, qui terminent au pied du podium, devant la Suisse. Si elle ne figure pas dans ce classement, l'île de Malte est aussi souvent pointée du doigt.

"Le choix de l'UE de ne considérer et de n'évaluer que des pays en dehors de l'UE permet d'éviter qu'un État membre n'apparaisse sur la liste noire", peste l'Oxfam. "Alors que [notre] analyse apporte la preuve que les Pays-Bas, le Luxembourg, l'Irlande et Chypre sont pourtant parmi les pires paradis fiscaux du monde."

" Le choix de l'UE de ne considérer et de n'évaluer que des pays en dehors de l'UE permet d'éviter qu'un État membre n'apparaisse sur la liste noire. "

Bruxelles ne veut pas froisser ses membres. Si l'ONG se montre si sévère avec ces quatre pays, c'est qu'elle examine trois critères pour son classement : les faibles taux d'imposition sur les bénéfices des sociétés, les incitations fiscales et le manque de contribution aux efforts internationaux pour lutter contre l'évasion fiscale. Or, l'Union européenne n'a pas les mêmes exigences. Elle se concentre sur la transparence fiscale, l'équité fiscale et la mise en œuvre du plan BEPS, un processus déclenché par l'OCDE pour que les États puissent imposer les bénéfices des entreprises là où ils sont générés, et non là où ils ont été transférés. Mais ne s'intéresse pas à tout un tas de mécanismes compris dans les "incitations fiscales" chères à l'Oxfam, comme l'application du taux de TVA ou la fiscalité des plus-values. Le classement de certains pays européens dans la catégorie "paradis fiscal" est donc avant tout une affaire de définition et de placement de curseurs. 

L'exemple des Pays-Bas. Si Bruxelles tient à ne pas froisser ses membres régulièrement dénoncés comme des mauvais élèves, les ONG, elles, n'en démordent pas. Plusieurs pays de l'Union européenne ont des "pratiques fiscales dommageables", à défaut d'être illégales. Prenons l'exemple des Pays-Bas, épinglés par les récents "Paradise papers". Beaucoup d'entreprises étrangères utilisent le système de la "commanditaire vennootschap", un type de société qui transforme leurs filiales en partenaires de sociétés étrangères. Ce qui leur permet d'échapper au fisc néerlandais, puisque celui-ci estime que les entreprises étrangères doivent payer leurs impôts dans leur pays d'origine. Or, les sociétés américaines peuvent cocher, sur leur déclaration au fisc américain, une case pour déclarer qu'elles paient leurs impôts aux Pays-Bas. Résultat : elles finissent par ne plus en payer nulle part. Nike, General Electric, Heinz ou encore Uber et Tesla ont utilisé ce dispositif, selon les "Paradise papers".

"Dans les centaines de milliards de dollars de profits réalisés par les multinationales américaines hors du territoire américain, les Pays-Bas sont le paradis fiscal numéro 1", résume Gabriel Zucman, professeur à l'université de Berkeley, dans son ouvrage La richesse cachée des nations.

 

Malte et Chypre dans le viseur. Du côté de Malte ou Chypre, l'un des problèmes est celui d'une mauvaise transposition de la directive européenne sur la TVA. Grâce à des mécanismes complexes, sur l'île de Malte, il est possible d'acheter des yachts avec un taux de TVA de seulement 5,4%, contre 18% officiellement. Mais selon des sources européennes au Monde et à l'AFP, la Commission européenne serait prête à ouvrir des procédures d'infraction contre les pays qui se livrent à de telles pratiques.

L'Irlande, elle, est régulièrement critiquée pour ses taux d'imposition sur les sociétés très intéressants. Quant au Luxembourg, les "Luxleaks" de 2014 avaient montré que c'était l'un des paradis fiscaux préférés de multinationales, qui avaient réussi à passer des accords avec le fisc luxembourgeois pour faire baisser drastiquement leur taux d'imposition.

L'harmonisation fiscale prendra du temps. L'Union européenne est évidemment au courant qu'elle abrite en son sein des États qui ne sont pas irréprochables. "L'Europe a encore beaucoup à faire, quand je pense à certains pays membres et à leurs niches fiscales", a ainsi lâché mardi le ministre autrichien des Finances, Hans Jörg Schelling. Pierre Moscovici, de son côté, a concédé qu'il fallait "aménager" et "améliorer la légalité". Mais la tâche est immense, tant les États, qui tiennent à rester attractifs pour les entreprises, sont réticents à bouger sur le sujet. Toute tentative d'harmonisation fiscale européenne devant recueillir l'unanimité avant d'être mise en œuvre, le chemin reste donc très long avant d'espérer pouvoir éradiquer les paradis fiscaux de l'Union.