Entreprises : à quoi sert vraiment le Medef ?

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Pierre Gattaz a cédé la place à son successeur à la tête du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, mardi. © ERIC PIERMONT / AFP
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Geoffroy Roux de Bézieux a été élu mardi à la tête de l'organisation patronale. Qui entame cette nouvelle ère en se posant la question de son utilité.

Du Medef, beaucoup connaissent l'ancien président, qui a passé le relais mardi, Pierre Gattaz. Ses pin's "1 million d'emplois" et ses sorties régulières contre les organisations syndicales et pour plus d'allègement de cotisations ont rythmé le quinquennat de François Hollande. Mais au-delà de ce visage, remplacé mardi par celui de Geoffroy Roux de Bézieux, et de ses revendications désormais connues, quel est le rôle exact de l'organisation patronale en France ? Peut-elle et doit-elle encore peser, d'autant plus lorsqu'un gouvernement taxé de libéralisme est déjà à l'œuvre ?

Quel est le rôle du Medef ?

"Le Medef, c'est d'abord le porte-parole des entreprises", souligne Geoffroy Roux de Bézieux, successeur de Pierre Gattaz, au micro d'Europe 1. "On dit souvent que le patron du Medef est le patron des patrons, mais non, c'est d'abord leur porte-parole." L'organisation patronale se doit en effet de représenter et défendre les intérêts des entrepreneurs français.

Mais aussi faire infuser ses idées dans la société, complète celui qui était aussi candidat à la tête du Medef, Antoine Saubot : "comme tous les corps intermédiaires, le Medef doit avoir un projet et essayer de convaincre tous ses interlocuteurs, qu'ils soient syndicaux, gouvernementaux ou que ce soit l'opinion publique." Bernard Vivier, directeur de l'institut du travail, estime d'ailleurs cette mission bien réussie. "Le Medef a longtemps bataillé contre une lecture collectiviste de l'économie", explique-t-il sur Europe 1. "Et maintenant, même la gauche trouve que l'économie de marché est celle qui marche le mieux."

Pour Laurence Parisot, ancienne leader de l'organisation patronale, il faudrait y ajouter une troisième fonction : peser dans les débats autres qu'économiques. "Le Medef, c'est une institution extraordinairement importante, au carrefour de tous les enjeux économiques, sociaux, sociétaux et européens", explique-t-elle. "Il n'y a pas de raison de penser qu'il ne peut pas apporter sa réflexion sur la question des migrants, la façon de les traiter et les intégrer. Je crois qu'il faut aborder la question de la laïcité en entreprises."

Est-il représentatif des entreprises ?

Le Medef se targue de représenter les entreprises. Mais est-il représentatif du tissu entrepreneurial français ? Selon Geoffroy Roux de Bézieux, on compte désormais 123.000 sociétés adhérentes au syndicat. En France pourtant, le nombre total d'entreprises est évalué à 3 millions. Mais ce chiffre inclut également les autoentrepreneurs qui travaillent seuls et n'ont pas du tout le même fonctionnement que celui d'une TPE ou d'une PME. "Cela représente 80% de celles qui comptent plus de 10 salariés", complète Geoffroy Roux de Bézieux. "L'adhérent moyen du Medef, c'est [une entreprise de] 70 salariés." Preuve, selon lui, que l'idée reçue selon laquelle l'organisation patronale ne représente que des gros groupes est erronée.

" Quand on les interroge sur le sujet, les petits patrons sont distants. Pour eux, le Medef sert surtout les grosses boîtes. "

Pourtant, c'est bien ce que pensent les Français, selon un sondage réalisé par l'institut OpinionWay en avril dernier. Sur les personnes interrogées qui ont dit connaître l'organisation patronale, plus de la moitié (55%) jugent qu'elle ne "représente pas bien les entreprises françaises". Et ce sentiment n'épargne pas les patrons eux-mêmes, rappelle Bruno Jeanbart, directeur général adjoint d'OpinionWay, dans Le Monde. "Le sentiment qui domine, c'est le désintérêt. Quand on les interroge sur le sujet, les petits patrons sont moins critiques que distants. Pour eux, le Medef sert surtout les grosses boîtes."

Quelles sont ses relations avec les autres partenaires sociaux ?

Le représentant patronal est très régulièrement amené à se réunir autour d'une table avec les partenaires sociaux, notamment pour renégocier les accords d'assurance-chômage par exemple. Mais ces dernières années, sous la présidence de Pierre Gattaz, les relations se sont tendues. Le patron du Medef a en effet été jugé trop virulent, volontiers provocateur. Comme lorsqu'en mai 2016, il avait qualifié les militants CGT contre la loi Travail de "terroristes". "Le Medef s'est appauvri depuis cinq ans car il n'a pas su travailler avec les organisations syndicales", juge encore aujourd'hui Laurence Parisot. Qui espère que le nouveau président saura faire preuve d'ouverture et invitera les syndicats à discuter dans les plus brefs délais.

Et avec l'exécutif ?

Eric Woerth, ancien ministre du Travail de Nicolas Sarkozy, le confirme au micro d'Europe 1 : les relations entre l'exécutif et le Medef sont "constantes". Les nombreuses réformes de l'emploi l'exigent. En revanche, "il n'y a pas de vision clientéliste des choses", assure le député de l'Oise. Pas question pour le gouvernement, quand bien même il serait libéral et ouvertement pro-entreprises, d'entretenir des rapports privilégiés avec l'organisation patronale.

Sous François Hollande, la tâche de Pierre Gattaz s'était singulièrement compliquée. Le président du Medef s'était en effet heurté à un président certes doté de l'étiquette socialiste, mais qui a largement contribué, avec des réformes comme le CICE, le pacte de responsabilité ou la loi Travail, à accéder à ses demandes d'allègements de cotisations patronales et de flexibilité sur le marché de l'emploi. Difficile, donc, de rester sur une confortable position d'opposition systématique, sauf à passer pour un jusqu'au-boutiste.

Les choses se sont encore corsées avec Emmanuel Macron, qui non seulement poursuit sur la même voie, mais a aussi tendance à passer outre les corps intermédiaires, qu'ils représentent les salariés ou les patrons. Cela fait d'ailleurs partie des nouveaux défis du Medef : être "de nouveau présent" dans les débats publics, souligne Laurence Parisot. Pour Alexandre Saubot, candidat malheureux, comme pour Geoffroy Roux de Bézieux, fraîchement élu, de nombreux chantiers méritent aussi la mobilisation de l'organisation patronale. Notamment la taxation des contrats courts, dans les tuyaux du gouvernement, et à laquelle le Medef compte bien s'opposer de toutes ses forces.