Tour de France 2025 : à travers la rue Lepic, les coureurs vont traverser des siècles d'histoire parisienne
Habitués à une arrivée à Paris souvent tranquille, les coureurs du Tour de France connaîtront cette année pour la première fois la rude montée de la rue Lepic. Retour sur l’histoire de cette rue de 755 mètres située dans l’un des quartiers les plus mythiques de la capitale.
Les images de liesses lors des derniers Jeux olympiques auront certainement donné l'idée aux organisateurs du Tour de France de remettre la rue pavée en avant. Mais l'histoire de cette allée ne commence pas en 2024. C’est au XVIIIᵉ siècle que la fameuse rue Lepic voit le jour. En ce temps-là, le quartier de Montmartre n’était alors pas rattaché à la ville de Paris et tirait son attractivité économique de ses 12 moulins produisant une grande quantité de farine.
Mais pour la vendre, la descente de la colline jusqu’à Paris était souvent périlleuse. "Vous êtes sur des sentiers tellement abrupts que vous êtes emballé et écrasé en deux mètres", nous explique Jean-Manuel Gabert, président de la société du Vieux-Montmartre.
La nécessité de créer un passage plus sûr et plus pratique devient urgente. C’est d’abord sous Louis XVI que le premier tracé de cette rue est effectué. "On fait construire le virage du croisement actuel d'Abbesses, un peu arrondi, qui est une sorte de rampe douce permettant de longer les moulins. Et donc de descendre la farine jusqu’à Paris sans trop de difficulté", témoigne le président de la société du Vieux-Montmartre.
Grâce à ce chemin, la rue devient vite l’endroit où la vie économique du village s'établit. Mais en raison d’une fréquentation trop grande, l’artère se dégrade très vite.
L'influence de Napoléon Bonaparte
Mais à cette époque où la France enchaîne successivement Révolution, Terreur, guerre en Vendée, guerres révolutionnaires puis la période du Consulat et de l’Empire, il faudra attendre quelques années avant que l’état dégradé d’une rue dans un village proche de Paris ne fasse l’objet d’une attention particulière.
Chef de guerre et grand réformateur, Napoléon est aussi à l’initiative de nombreuses constructions durant son règne. Un matin pluvieux de 1809, l'Empereur décide de se rendre à l'église Saint-Pierre de Montmartre afin de voir le télégraphe Chappe. Le chemin étant en mauvais état, le vainqueur d'Austerlitz est contraint de descendre de son cheval et de terminer à pied.
Accompagné du curé Jacques-Christophe Cayres de Blazère, ce dernier fait part à Bonaparte de l’intérêt de créer une voie ayant une pente plus adaptée à la circulation. Napoléon accepte et fait construire la rue telle que nous la connaissons aujourd'hui.
Qui est Lepic ?
Comme de nombreux endroits dans la capitale, la rue Lepic porte la trace directe de l’histoire de France et plus particulièrement de la période de l’Empire. "En 1864, de nombreux élus nostalgiques de l’époque bonapartiste vont rendre hommage à l’Empire. Notamment sur les boulevards, mais aussi dans le 18ᵉ arrondissement", déclare Jean-Manuel Gabert.
Son nom, rue Lepic, tient de Louis Lepic (1765-1827), général français de la Révolution puis de l'Empire. Durant son parcours militaire, il aura participé aux plus grandes victoires de l’Empereur (Marengo, Austerlitz, Wagram).
Mais c'est pour ses exploits lors de la campagne de Pologne de 1807 et particulièrement pendant la bataille d'Eylau que le Montpelliérain s'illustre. Sa phrase sous le feu des canons prussiens pendant les combats, devenue culte : "Hauts les têtes, la mitraille ce n'est pas de la merde !" est restée dans les mémoires, et entretient la légende de l'un des généraux les plus fidèles de l’Empereur.
"Aujourd’hui, c’est un peu loin dans l’esprit des gens, mais à cette époque, il incarne le soldat triomphant pour le pays. Il y a aussi la thématique de l’ascension : c’est une rue qui va vers le ciel et donc vers la gloire."
Transformation du quartier
"On va arriver dans une période qui va entraîner une révolution dans le quartier", expose le spécialiste de Montmartre. Avec une vie commerçante de plus en plus prospère, le lieu de vie va vite connaître une fréquentation accrue, et pas seulement chez les habitants de Montmartre. En effet, en raison de l’explosion des prix à Paris, les habitants de la capitale se ruent vers la butte.
"Elle a un potentiel fabuleux" témoigne Jean-Manuel Gabert. "Les Parisiens qui viennent se retrouvent dans des petites auberges et des lieux qui vous accueillent avec une nourriture deux fois moins chère. Le décor est champêtre, alors les fermiers et les meuniers comprennent l’affaire et se transforment en commerçants, transformant leurs moulins en moulins de la galette. Donc on va manger les galettes, le dimanche, et c’est finalement le début de la transformation touristique de la rue."
Pour les Parisiens en quête de grand air, l’endroit est idéal, raconte le président de l'association. "En dix minutes et une côte de 50 mètres, vous arrivez à la campagne. Pour les Parisiens qui n’ont pas de véhicule, qui étouffent dans la ville encore médiévale, il y a une espèce de liberté d’évasion incroyable."
Ainsi, le quartier se développe, les premiers manèges sont créés, les jardins accueillent des pistes de danse suivies de leurs orchestres, et les tables de restaurant commencent à pousser comme sur une terre fertile. Avec la rue Lepic comme colonne vertébrale, Montmartre commence alors à devenir un lieu de fête. “C’est le début d’une mise en scène de Montmartre dans son décor. C’est assez amusant puisque ça donnera, 60 ans plus tard, le Moulin Rouge."
Une terre d’artistes
Lieu de fête, cette portion du quartier va également devenir une véritable terre d’artistes. "On peut dire que Renoir est le lanceur de la vague d’artistes qui va suivre. Avec le Bal du Moulin de la Galette, qui est peint sur place, il va révolutionner les techniques impressionnistes de son époque."
Grâce à Renoir, d’autres artistes vont suivre : Pissarro, Cicelet, Cézanne et les autres… L’ancienne rue qui servait aux meuniers pour vendre la farine devient l’endroit où se retrouvent les peintres, les écrivains, et plus tard les cinéastes de toute l’Europe.
"Au XXᵉ siècle, on verra beaucoup de jeunes peintres venir sur les traces des impressionnistes comme Picasso. Donc il y a l’enclenchement d’un processus totalement nouveau et qui mystifie complètement le quartier. De la peinture, on passera au cinéma et vous avez tout le déroulé qui nous amène à la mystification d’aujourd’hui."
Terre d’artistes, la rue Lepic aura connu son lot de célébrités à travers les années. De Van Gogh habitant au 54 rue Lepic à l’appartement de Céline où ce dernier écrivit Voyage au bout de la nuit, mais aussi au cabaret d’une certaine famille Sardou, où un jeune homme s’occupant du service des clients se prêtait aussi à la chanson dans les bals populaires.
La rue Lepic aujourd’hui
Avec ses 755 mètres de long, la rue Lepic peut se targuer d'accueillir deux ambiances bien distinctes, presque comme si une frontière invisible se dessinait dans cette artère pleine d’effervescence. "Sur sa partie basse, elle est uniquement concentrée sur ses commerces, puisque c’est la partie qui touche Paris. Autrefois, c’était la partie des marchands, des commerces de bouche, un lieu extrêmement vivant."
"Et puis ensuite, quelques pas plus haut, on voyait des foules déjà à l’époque, fin XIXᵉ, monter vers le bal du Moulin de la Galette, endroit beaucoup plus festif."
Malgré l’explosion touristique, la zone reste toujours un lieu apprécié des artistes, bien que les adresses soient aujourd’hui gardées bien secrètes. "Aujourd’hui encore, il y a quelques célébrités, on ne peut pas trop en dire mais oui, il y a des personnes du monde de la chanson ou des comédiens", nous confie ce spécialiste du quartier.
La rue Lepic porte finalement en elle bien plus que l’histoire d’un quartier. C’est l’émanation directe d’une France en pleine effervescence, touchée par une fièvre artistique libre et singulière qui ajoute à Paris un style inimitable devant lequel touristes et visiteurs ne peuvent que tomber sous le charme.