Sur Arte, la série "En Thérapie" met les petits traumas dans les grands

  • Copié
, modifié à
La série "En Thérapie", diffusée à partir de jeudi sur la plateforme de la chaîne Arte, reprend le principe d'une fiction israélienne qui suit les séances de psychanalyse de plusieurs patients. En transposant l'histoire à la fin de l'année 2015, cette version française dissèque magnifiquement le trauma personnel et collectif des attentats du 13-Novembre.

Sur le papier, En Thérapie ne partait pas gagnante. Une série française mais adaptée d'une fiction israélienne (BeTipul) si connue qu'elle a déjà été réinterprétée une vingtaine de fois dans autant de pays différents ; trente-cinq épisodes (!) quasi tous tournés entre les quatre murs du cabinet d'un psychiatre ; un sujet difficile, celui des attentats de 2015 ; et aux manettes Eric Toledano et Olivier Nakache, plus volontiers associés à la comédie qu'au drame, et qui nous ont habitués au meilleur (Nos jours heureux, Tellement proches) comme au gentillet sans saveur (Samba). Sur petit écran, En Thérapie est pourtant, disons-le d'emblée, une immense réussite.

L'ombre des attentats du 13-Novembre

Le pilier de l'histoire, c'est Philippe Dayan, psychiatre parisien chevronné qui, depuis des années, avec une bienveillance sans égale et un humour un peu spécial, aide ses patients à apprivoiser leurs maux à défaut de s'en débarrasser. La série suit cinq d'entre eux dans les semaines qui suivent les attentats du 13-Novembre. Mais qu'on ne s'y trompe pas, les attaques terroristes sont une toile de fond avant d'être un sujet. Il n'y a guère qu'Adel Chibane, policier à la BRI en opération au Bataclan, qui vient spécifiquement consulter pour soigner son stress post-traumatique. Ariane, chirurgienne, partie au bloc en catastrophe ce soir-là, est une "habituée". Leonora et Damien, eux, forment un couple qui se déchire parmi tant d'autres. Camille, 16 ans, a simplement besoin d'une attestation pour une assurance, qui veut vérifier qu'elle n'a pas de pulsion suicidaire. 

La mise à nu de ces quelques personnages, auxquels il faut ajouter celui d'Esther, la propre psychiatre de Philippe Dayan, constitue l'essentiel de la série. Mais de même que la fiction s'applique souvent à inscrire la petite histoire dans la grande, En Thérapie fait planer sur les traumatismes personnels l'ombre de celui, collectif, des attentats. C'est dans l'articulation intelligente et subtile de ces deux éléments que se niche la puissance de la série, élégamment mélancolique. Chaque épisode montre, en plus de ces êtres blessés, une part des meurtrissures de la société toute entière confrontée à l'indicible.

"Prendre en flagrant délit son époque"

Rarement une série française a su ainsi "prendre en flagrant délit son époque", pour reprendre la maxime du cinéma italien chère à Eric Toledano. Lui qui avait en tête l'adaptation de BeTipul depuis longtemps (la série originelle israélienne date de 2005) a commencé à plancher sérieusement dessus il y a quatre ans. "Avant, c'était une envie. La situation post-attentat est le moment qui a déclenché la nécessité que cette série existe", explique-t-il. "Le principe de BeTipul, c'est vraiment de s'imprégner de la culture d'un pays, de son état de questionnement. Et cette époque, elle est faite forcément, pour tous ceux qui l'ont traversée, de cette marque qu'ont eue les attentats sur nous, une marque forte et puissante."

S'attaquant à un domaine, la psychanalyse, où chaque mot a son importance, Eric Toledano et Olivier Nakache ont minutieusement choisi ceux de leurs personnages. Les dialogues, ciselés, sont d'une telle finesse qu'on en oublie leur longueur. Certains comédiens ont même dû travailler avec une oreillette tant il y avait à retenir, à commencer par Frédéric Pierrot, éternel et lumineux second rôle du cinéma français, excellent dans le rôle de Philippe Dayan. Si le casting est globalement à la hauteur de son prestige (Reda Kateb, Carole Bouquet, Mélanie Thierry, Pio Marmaï), Clémence Poésy et la jeune Céleste Brunnquell, dans les rôles respectivement de Leonora et Camille, impressionnent. Peut-être parce que les deux actrices, après avoir enfilé le tailleur et le survêt' de personnages a priori très antipathiques, finissent par laisser échapper leur charme insoupçonné.

Vous voulez écouter les autres épisodes de SERIELAND ? 

>> Retrouvez les épisodes sur notre site Europe1.fr et sur Apple PodcastsGoogle podcastsDeezer, Dailymotion et YouTube, ou vos plateformes habituelles d’écoute.

>> Retrouvez ici le mode d'emploi pour écouter tous les podcasts d'Europe 1

De l'art de la mise en scène en milieu fermé

Faire naître la tension dramatique de quelques phrases, dans le cadre très contraint allant d'un fauteuil à un canapé, relève du double tour de force. Toledano et Nakache, épaulés par un pool de réalisateurs talentueux (Nicolas Pariser, Pierre Salvadori et Mathieu Vadepied), s'en sort avec les honneurs. Reposant quasi uniquement sur des champs-contrechamps, la mise en scène est un modèle de sobriété efficace, d'autant qu'En Thérapie a le bon goût de ne pas prendre sa bande-son pour une béquille tire-larmes. 

Reste, à l'issue d'un visionnage parfois éprouvant mais toujours captivant, quelques instants de grâce suspendus, parfois, à un simple geste. Des jambes repliées sur un canapé, un regard dans le vague, le corps qui lâche juste avant l'esprit. Et puis, surtout, après le flot de paroles et d'émotions, le silence.