Dick Rivers, un pionnier du rock à la française

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Comme Johnny Hallyday ou Eddy Mitchell, le célèbre chanteur a popularisé le rock'n'roll en France, avec un style inimitable.

Dick Rivers est mort le jour de son 74ème anniversaire. Comme si le chanteur à la houpette avait lutté jusqu'au bout pour tirer sa révérence au même âge que Johnny Hallyday, mort lui aussi à l'âge de 74 ans le 5 décembre 2017. Avec Eddy Mitchell, ces deux-là ont été, au début des années 60, des "passeurs" de culture, celle du rock'n'roll américain des fifties, une culture qui a irrigué toute la carrière de Dick Rivers, interprète haut en couleurs.

Dick, dans l'ombre d'Elvis

Johnny, Eddy, Dick. Des trois patronymes inspirés de la culture américaine, celui de Dick Rivers est le plus décalé. Le plus référentiel aussi. Ce nom, qu'il choisit au tout début de sa carrière, est celui, à quelques lettres près, du personnage que joue Elvis Presley dans Loving you (Amour frénétique en VF), le deuxième film tourné par le King : Deke Rivers. Fils d'un boucher, le jeune Hervé Forneri (le vrai nom de Dick), né à Nice, s'éprend très rapidement de musique américaine, qu'il découvre au contact des militaires américains de la garnison US installée après la guerre et jusqu'en 1966 dans la rade de Villefranche.

Elvis Presley, dont le mythique premier album éponyme sort en 1956, bouleverse à tout jamais la vie du jeune Hervé, alors âgé de 11 ans. Devenu adulte et chanteur à succès lui aussi, il a eu la chance de rencontrer son idole après un concert à l'International Hotel de Las Vegas en 1969. "Quelque part, c'était le rêve de ma vie", reconnaîtra-t-il lors d'une interview. Il lui rendra également hommage en fêtant ses 50 ans lors d'un concert à Disneyland Paris le jour de l'anniversaire de naissance d'Elvis, en janvier 1997.

Les Chats sauvages, un an tout rock

Son amour du rock, d'Elvis Presley mais aussi d'autres, comme Gene Vincent ou Carl Perkins, Hervé Forneri le transmet rapidement sur scène. Au début des années 1960, il crée les Chats sauvages, groupe qu'il fonde avec des amis d'école, les frères Jean-Claude et Gérard Roboly, Gérard Jacquemus et William Taeïb. Tous prennent des patronymes à consonnance américaine. Le groupe sort un premier 45 tours en mai 1961 - Dick n'a alors que 15 ans - et enchaîne les publications. Ce sont souvent des adaptations de classiques américains, comme C'est pas sérieux, adapté de Cliff Richard, autre légende du rock, ou Est-ce que tu le sais ?, relecture du What I'd say de Ray Charles. Mais c'est avec un titre original, Twist à Saint-Tropez, que les Chats sauvages cassent la baraque en avril 1962, un titre endiablé devenu mythique.

Les Chats sauvages, qui ont pour pendant les Chaussettes noires d'Eddy Mitchell, connaissent un succès grandissant, remplissent les salles où, parfois, la folie rock, s'empare du public. Un concert du groupe au Palais des sports de Paris en 1961 finit d'ailleurs en bagarre rangée… Après seize mois de folie et de succès, Dick Rivers quitte le groupe en septembre 1962 pour se lancer dans une carrière solo. Il n'a que 17 ans mais il a déjà marqué l'histoire du rock français.

Les classiques à la sauce frenchy

En solo, Dick Rivers creuse son sillon. Il cultive son image de rocker, avec houpette, blouson de cuir et santiags. Comme ses aînés, il considère le rock comme un choix de vie, et pas seulement de chansons. Sans les Chats, Dick se fait davantage crooner, en reprenant les Beatles (Love me do qui devient J'en suis fou) ou en adaptant Roy Orbison.

Va t'en va t'en, relecture de Go now des Moody Blues :

Il n'oublie pas non plus ses racines blues, et sa version française du tube des Moody Blues, Go now, intitulé Va t'en va t'en, atteint le haut du hit-parade de Salut les copains, émission mythique d'Europe 1. Devenu incontournable, il figure sur la "photo du siècle" prise par Jean-Marie Périer et qui regroupe 46 artistes des années yé-yé.

Dans les années 1970, la vague yé-yé passée, Dick Rivers trouve avec Alain Bashung un camarade de jeu et de rock. The rock machine, Rockin' along…the River's country side et Rock 'n'roll star : les titres d'albums que les deux hommes enregistrent ensemble parlent d'eux-mêmes.

Un homme de références et de symboles

Tout au long de sa longue carrière - il tournait encore l'année dernière -, Dick Rivers a joué avec les références et les symboles de la culture qu'il a chérie. Il y a le look, les titres des chansons et des albums, bien sûr, mais aussi les lieux. En 1967, il part aux États-Unis enregistrer dans les studios de Muscle Shoals en Alabama, dans le cœur de l'Amérique, des studios qui ont vu passer les Rolling Stones, Joe Cocker, Bob Dylan, JJ Cale et… Eddy Mitchell.

Après les années 1980, où il se rapproche un peu de la variété, décrochant peut-être ce qui reste son plus grand tube, Nice baie des anges, Dick Rivers revient aux fondamentaux, lors d'une tournée commune avec Francis Cabrel, durant laquelle il interprète sur scène des classiques du rock en anglais.

Comme un fleuve fou, adaptation de Words of love de Buddy Holly :

Dans la foulée, il enregistre un disque hommage à Buddy Holly, mort à 21 ans. En  1995, il sort Plein soleil, l'un de ses meilleurs albums de l'avis des critiques, qu'il défend sur scène entouré de musiciens américains. Il se produit dans des festivals aux côtés de Chuck Berry et Jerry Lee Lewis, rend hommage sur un album à la strip-teaseuse des années 1960 Linda Lu Baker ou enregistre sa version du I walk the line de Johnny Cash. Et comme son idole Elvis, il se frotte aussi au cinéma (Le Furet de Jean-Pierre Mocky en 2003) et s'essaie même à l'écriture, avec deux romans, dont les titres sont sans équivoque sur leur inspiration : Complot à Memphis (1989) et Texas Blues (2001).  Amateur d'expériences, Dick Rivers a aussi animé des shows radio et même présenté une émission érotique…

Un original fidèle à ses racines

Dick Rivers n'a jamais eu peur d'en faire trop, demandant même au créateur de Lucky Luke, Morris, de faire la couverture de l'un de ses albums, Mississippi Rivers, en 1976. Cet américanisme prononcé, son style jusqu'au-boutiste, a nourri les moqueries et les caricatures, la plus célèbre restant celle d'Antoine de Caunes dans Nulle part ailleurs, avec le personnage de Didier l'embrouille. 

Dans la dernière partie de sa carrière, Dick Rivers, chanteur culte pour la nouvelle génération, a multiplié les collaborations prestigieuses : Axel Bauer, Mickey 3D, Benjamin Biolay, Joseph d'Anvers… Il a aussi prouvé son éclectisme, travaillant avec le chanteur du groupe de metal parisien Darkness dynamite, ou enregistrant une reprise du titre Africa de Rose Laurens aux côtés de Julien Doré… Jusqu'au bout, Dick Rivers a incarné le souffle de liberté propre au rock.