FRANCK FIFE / AFP 1:53
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Thibaud Le Meneec , modifié à
Invités du "Tour de la question" sur Europe 1, mercredi, le journaliste Vincent Duluc et l'économiste Pierre Rondeau ont débattu de l'attractivité du championnat de France de football, dont la valeur des droits TV augmente fortement en 2020.
ON DÉCRYPTE

Un cap qui veut dire beaucoup dans le football moderne. Dès l'année prochaine, les droits de diffusion de la Ligue 1 vont dépasser le milliard d'euros (1,153 milliard d'euros plus précisément jusqu'en 2024). Un chiffre colossal, reflet d'une attractivité toujours plus forte pour le championnat de France. Mais quid de l'intérêt sportif de cette première division au suspense aujourd'hui limité ? Le journaliste de L'Équipe Vincent Duluc et l'économiste du sport Pierre Rondeau en ont débattu autour de François Clauss dans Le Tour de la question sur Europe 1, mercredi. 

Inflation spectaculaire. Revenons au commencement : le championnat de France de football est diffusé depuis 1984 sur une chaîne de télévision payante. C'était sur Canal+, qui déboursait à l'époque l'équivalent de "400.000 euros par saison", rappelle Pierre Rondeau, auteur des Tabous du football (éditions Solar). Depuis, les prix n'ont cessé de grimper sur le long terme, avec environ 121 millions d'euros pour la période 1997-2001, 668 millions d'euros pour la période 2008-2012, 748 millions d'euros actuellement et donc 1.153 milliard d'euros dès la saison 2020-2021.

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"Ce milliard a été atteint grâce à l'arrivée d'un quatrième acteur sur le terrain des chaînes de sport payantes (après Canal+, BeIN Sports et RMC Sport, NDLR) : Mediapro, une chaîne espagnole avec des fonds chinois, qui annonce un prix à 25 euros par mois pour diffuser huit matches de Ligue 1", précise Pierre Rondeau. La facture devrait donc s'alourdir pour le fan de football hexagonal et "avoisiner les 80 euros par mois", pressent l'économiste.

Des clubs dépendants des droits TV. Cette facture en constante augmentation est un danger potentiel pour le football français, pointe Pierre Rondeau : "Le téléspectateur pourrait se dire 'pourquoi je devrais payer autant ?' alors qu'on peut avoir le streaming illégal, le partage de codes de connexion, la mutualisation des abonnements, le visionnage dans les bars."

Entendu sur europe1 :
Si plus d'argent, faillite. Et si faillite, crise systémique

Les chaînes vont donc s'interroger selon lui sur la pertinence de faire un chèque aussi important pour diffuser du football sans être sûr de la rentabilité de l'opération. "Si ce n'est pas assez rentable pour elles de payer autant pour aussi peu de téléspectateurs, le risque, à terme, est que les clubs dépendants à 50% ou 60% de ces droits TV [soient touchés dans] le paiement des salaires, le paiement des transferts, etc. Et si plus d'argent, faillite. Et si faillite, crise systémique et éclatement de la bulle."

Un championnat joué d'avance ? Mais la pérennité de l'élite du football français suppose aussi que le terrain soit attractif. Là, c'est une autre histoire : existe-t-il un problème "au niveau de l'intensité compétitive et donc de l'intérêt de s'abonner et de payer pour du football aujourd'hui et encore plus dans les années à venir ?", s'interroge l'économiste. "Si aujourd'hui on part du principe qu'en Ligue 1 le PSG sera champion avec 30 ou 40 points d'avance dès la 30ème journée, les gens vont se dire qu'ils n'ont aucun intérêt à regarder la Ligue 1." Depuis l'arrivée des Qataris au PSG, en 2011, seules trois saisons ont offert un suspense digne de ce nom pour le trophée hexagonal : en 2012, en 2013 et en 2017.

"Classe de supporters assis". Et l'ambiance des stades dans tout ça ? Tout se passe comme si le but des clubs était d'abord d'offrir le meilleur cadre de diffusion possible avant de privilégier l'émotion du public physique, notent les deux spécialistes. "Aujourd'hui, beaucoup de supporters anglais ressentent ce sentiment de dépossession", compare Vincent Duluc, auteur du livre Enfants de la balle sur l'enfance des champions du monde tricolores. Le prix des billets a engendré d'après lui l'avènement d'"une classe de supporters assis", silencieux, à mille lieux des tribunes enflammées du siècle dernier. Un danger qui guette le championnat de France, avec également des matches de plus en plus éparpillés le week-end et diffusés de plus en plus tôt pour séduire le public asiatique. Au risque de détourner les yeux des supporters hexagonaux ?