Super Ligue : de rares voix favorables, une levée de boucliers contre

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Margaux Lannuzel avec Anaïs Cordoba et AFP , modifié à
Outre les douze clubs qui ont annoncé sa création, et certains de leurs relais financiers, peu de voix se sont déclarées favorables à la Super Ligue privée, censée supplanter la Ligue des Champions. A l'inverse, les prises de position contre le projet se multiplient depuis lundi, des supporters aux pouvoirs politiques en passant par les joueurs. 
DÉCRYPTAGE

C'est un "big bang" brusquement devenu concret, après des années de rumeurs. Douze clubs européens ont annoncé lundi leur intention de créer une Super Ligue, compétition lucrative privée, vouée à supplanter la Ligue des Champions. Parmi eux figurent les cadors du continent, comme le Real Madrid ou Manchester United, qui ont d'ores et déjà lancé des procédures judiciaires pour faire face à la levée de boucliers qu'ils anticipaient. Des dirigeants des instances européennes et mondiales du foot jusqu'aux supporters, de nombreuses voix n'ont en effet pas tardé à se faire entendre pour dénoncer la création de cette nouvelle compétition. Tour d'horizon.  

Ils sont pour

Les clubs mutins

Les clubs rebelles, qui comptent l'intégralité des vainqueurs de la Ligue des Champions depuis 2005, sauf le Bayern Munich - AC Milan, Arsenal, Atlético de Madrid, Chelsea, FC Barcelone, Inter Milan, Juventus, Liverpool, Manchester City, Manchester United, Real Madrid et Tottenham - prétendent instaurer un controversé système de ligue quasi fermée comparable aux championnats nord-américains de basket (NBA) ou de football américain (NFL).  

Certains de leurs supporters

Si de nombreux supporters des clubs concernés ont dit leur opposition à cette idée [voir par ailleurs], d'autres fans de clubs "historiques" européens en perte de vitesse ne sont pas contre. L'Equipe cite ainsi Massimo Zampini, écrivain supporter de la Juve, qui dit espérer que la Super Ligue naisse "tout de suite".  "La méritocratie a disparu depuis longtemps en Ligue des champions. En quoi l'UEFA représenterait le foot du peuple ? C'est un organisme bureaucratique qui gère des milliards d'euros", argue-t-il. 

Les milieux financiers

Si le projet devait voir le jour, il représenterait une manne financière bien supérieure à celle de la Ligue des Champions. "En contrepartie de leur engagement, les clubs fondateurs recevront un versement en une fois de l'ordre de 3,5 milliards d'euros destinés uniquement à des investissements en infrastructures et compenser l'impact de la crise du Covid-19", indiquent les organisateurs, qui promettent aussi une "Super Ligue" féminine. Par comparaison, la Ligue des champions, la Ligue Europa et la Supercoupe d'Europe n'avaient généré que 3,2 milliards d'euros de recettes TV en 2018-2019, avant une pandémie qui a fortement plombé le marché européen des droits sportifs. 

La banque américaine JPMorgan a confirmé lundi qu'elle allait financer le projet et les marchés financiers ne s'y sont pas trompés : l'action de la Juventus a clos en forte hausse (+17%) tandis que celle de Manchester United progressait de près de 10% à New York.

Ils sont contre

L'UEFA et la Fifa 

"Il est difficile de croire le niveau d'immoralité de certaines personnes", a commenté dès lundi le patron de l'UEFA Aleksander Ceferin, assurant que le football ne serait pas "vendu" à ceux qu'il appelle "la sale douzaine". Mardi, le dirigeant a appelé les clubs dissidents à "changer d'avis" afin de ne pas faire une "énorme erreur". 

Le président de la Fifa, Gianni Infantino, a rejoint son homologue européen mardi en indiquant "désapprouver fortement" le projet de Super Ligue. "Soit vous êtes dedans, soit vous êtes dehors. Vous ne pouvez pas être à moitié dedans et à moitié dehors", a-t-il ajouté à l'adresse des clubs fondateurs, agitant la menace d'une exclusion de toutes les compétitions nationales et internationales.

Les supporters des clubs exclus (et une partie des 12 fondateurs)

"Cupides", "traîtres"... Voici quelques unes des injures adressées aux six clubs anglais faisant partie des douze fondateurs depuis lundi. Elles viennent des supporters des autres clubs mais aussi de certains de leurs propres fans, pour qui la Super Ligue dénature l'idée même du football. "Les propriétaires de ces clubs décident de prendre leur ballon et d'aller jouer ailleurs", dénonce au micro d'Europe 1 Tom Greatrex, vice-président de l'Association nationale des supporters de football en Angleterre. "Ce n'est pas sportif, ce n'est pas intègre, c'est juste motivé par l'appât du gain."

Lundi soir, lors de leur match contre Liverpool, les joueurs de Leeds ont tous porté des t-shirts avec le slogan "le football appartient aux fans" et un avion tirant une banderole avec l'inscription "#SayNoToSuperLeague" ("Dites non à la Super Ligue") a même survolé le stade. Cette position est partagée par les fans outre-Manche, selon le coordinateur du réseau Football Supporters Europe Ronan Evain, qui évoque un "braquage" auprès de l'AFP. "Ils font disparaître toute forme d'incertitude sportive", déplore-t-il. 

Cette position est-elle susceptible d'évoluer si la Super Ligue voit bel et bien le jour ? "Pour voir les plus grandes équipes jouer, avec les plus grands joueurs du monde - parce que ce sont ceux-là qui jouent en Europe -, les supporters seront condamnés à s'abonner", a prédit l'ex-grand argentier du football Jean-Claude Darmon, interrogé par Europe 1. Affaire à suivre, donc. 

Les pouvoirs politiques

Ce projet de Super League a aussi rallié toute la classe politique contre lui. "Ces clubs ne sont pas seulement de grandes marques mondiales, il faut qu'ils se souviennent qu'ils ont vu le jour grâce à leur ville, leur village, leur communauté locale", a martelé le Premier ministre britannique Boris Johnson. Dès lundi soir, le ministre britannique des Sports a promis de faire "tout son possible" pour bloquer la Super Ligue, y compris via la législation sur la concurrence ou en réformant la gouvernance des clubs.

Paris, Berlin ou encore Athènes, dont les clubs restent pour l'heure à l'écart du projet, pourraient aussi envisager de chercher des pistes européennes pour conforter le monopole de l'UEFA. Lundi, l'Elysée a fustigé un projet "menaçant le principe de solidarité et le mérite sportif". 

Certains diffuseurs

La question des droits TV est précisément au cœur de la volonté de création de cette ligue, selon Jean-Claude Darmon. "Ce sont les clubs qui paient les droits, et c'est la raison pour laquelle ils ne veulent pas continuer : ils considèrent que l'UEFA se goinfre, ramasse beaucoup d'argent et n'en reverse qu'une partie. (…) Ils en veulent plus." 

Pour l'instant, deux diffuseurs, BT Sport au Royaume-Uni, et Sky - propriétaire de filiales en Angleterre, en Allemagne et en Italie - ont déjà pris leur distance avec le projet. Le second s'est dit "complètement concentré" sur la transmission des actuelles "meilleures compétitions de football au monde". 

Les joueurs et les coachs, dont Guardiola 

Qu'en pensent enfin les principaux intéressés, ceux qui se trouvent sur le terrain ? "Ces douze clubs, qui seront demain vingt, vont se déchirer pour avoir les meilleurs joueurs et ces derniers vont atteindre des salaires incroyables", prédit Jean-Claude Darmon. Pourtant, de nombreuses voix se sont faites entendre contre la Super Ligue depuis lundi, y compris parmi les clubs frondeurs. 

"J'aime l'aspect compétitif dans le football, j'aime l'idée que West Ham (actuellement 4e et virtuellement qualifié pour la C1) puisse jouer la Ligue des champions l'an prochain. Je n'ai pas envie qu'ils y soient, pour être honnête, parce que nous on veut y être, mais j'aime qu'ils aient une chance", a déclaré l'entraîneur allemand Jürgen Klopp. James Milner, l'un des vice-capitaines des Reds, a été plus direct encore : "Mon opinion personnelle, c'est que je n'aime pas ça et j'espère que ça ne se fera pas", a-t-il lâché, lapidaire, au micro de Sky.

Autre voix qui compte dans le foot mondial : Pep Guardiola, entraîneur de Manchester City, a vivement critiqué la Super Ligue, dont son club est aussi l'un des membres fondateurs. "Le sport n'est pas du sport quand il n'existe pas de relation entre effort et récompense. Ce n'est pas du sport si le succès est garanti ou si perdre n'a aucune importance", a expliqué le Catalan

Parmi les joueurs en activité, le champion du monde français Benjamin Pavard a rappelé "les émotions indescriptibles" suscitées par l'actuelle Ligue des champions, qu'il a remportée avec le Bayern la saison passée. "Ce sont des émotions indescriptibles en tant que joueur, des souvenirs incroyables en tant que fan. C'est une compétition à laquelle tous les joueurs et tous les clubs doivent pouvoir aspirer s'ils le méritent", a-t-il expliqué sur son compte Twitter.

Chez les anciens joueurs, la même amertume anime l'ancien attaquant Rudi Völler, aujourd'hui dirigeant à Leverkusen : "Un crime contre le football!", s'est-il emporté. "C'est un acte criminel contre les fans, une honte, ce sont des escrocs", a hurlé Gary Neville, l'ancienne idole de Manchester United, l'un des clubs fondateurs de cette Super Ligue.