EXCLUSIVITE - Jean-Pierre Papin : "Benzema est le meilleur attaquant du monde"

Jean-Pierre Papin au micro de Europe 1
Jean-Pierre Papin au micro de Europe 1 © Europe 1
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Colin Abgrall
Ballon d’Or 1991, ancien footballeur international et actuel entraîneur du Chartres Football qui évolue dans le championnat de National 2, Jean-Pierre Papin est l’invité exceptionnel d’Europe 1 Sport. Il a répondu ce samedi aux questions du journaliste et éditorialiste Jacques Vendroux et de Cédric Chasseur pendant près de 25 minutes.
EXCLUSIF

Jean Pierre Papin est une légende du football français et mondial. Ancien joueur de l’Olympique de Marseille avec qui il a marqué 182 buts ou de l’AC Milan avec qui il a remporté la Ligue des Champions en 1994, l'entraîneur de 58 ans a accordé une interview exclusive à Europe 1. Il y évoque sa carrière et son parcours, l'actualité de ses anciens clubs ainsi que les deux attaquants star de l’équipe de France, Karim Benzema et Kylian Mbappé.

A-t-il réalisé ses rêves ? "J'ai eu ce privilèges"

Mon rêve quand j'étais petit, c'était d'être footballeur professionnel, point barre. Donc, tout ce qui est arrivé, les trophées, les Ligue des Champions, l'équipe de France, ce sont des rêves. Mais c'est un privilège aujourd'hui de réussir ses rêves. Moi, j'ai eu ce privilège. À part la Coupe du monde, et encore, je l'ai faite et j'ai fini troisième (en 1986).

La Coupe du Monde 1998, sa plus grande frustration ? "Je m'étais préparé pour"

Elie Baup, qui venait de prendre l'équipe de Bordeaux pour remplacer Guy Stéphan, me met remplaçant. Cela veut dire, pas de pas de Coupe du monde puisque Aimé Jacquet avait demandé à ce que tous les titulaires soient retenus. Donc je ne l'étais pas. Il y a eu beaucoup de déception, de frustration parce que je me disais que s'arrêter la dessus c'était bien, que quoi qu'il arrive, j'avais décidé de ne pas continuer longtemps. C'était un dernier grand rendez-vous. Je m'étais préparé pour. J'avais marqué pas mal de buts à Bordeaux, mais par contre, les trois derniers mois, je suis remplaçant donc je ne fais pas partie du groupe.

Son passage à Bruges : "Je voulais être différent"

Je dirais que c'est le grand challenge. Parce qu'à l'époque, j'ai 20 ans, je viens de faire une belle saison avec Valenciennes où on nous prédisait la descente et finalement on a joué les premiers rôles. Je ne voulais pas être comme les autres. Je voulais être différent et je voulais partir à l'étranger si je pouvais. A l'époque, j'avais Lille, Lens, j'avais d'autres clubs qui voulaient que je signe chez eux. Et puis, il y a eu Bruges. Il y a eu la rencontre avec Raoul Lambert (joueur historique du Club Bruges), qui a changé pas mal de choses. Il y a surtout eu la rencontre avec le président de Valenciennes (Alain Cleuet à l'époque) qui m'a dit 'si tu ne pars pas à Bruges, on met la clé sous la porte' et je me suis senti obligé. J'étais motivé, mais je me sentais obligé.

Sait-il qu'il a fait une grande carrière ? "Il ne fallait pas que je fasse ce que mon père me disait"

Je le sais. Mais en fait, le début de ma carrière correspond à une discussion avec ma grand mère. C'est très simple. Elle savait que j'étais motivée et que je ne pensais qu'au foot, elle savait que ma vie allait être ça. Elle le savait et elle m'a dit un jour, 'ton père il était pareil que toi. Mais il a toujours fait les mauvais choix.' Pour moi, ça a été clair. Il ne fallait pas que je fasse ce que mon père me disait et à chaque fois que j'avais une route à prendre, j'allais voir mon père et je faisais l'inverse. Pour Bruges, je vais voir mon père et je lui dis 'je peux signer à Bruges ?' et il me dit 'il n'y a jamais un Français qui a réussi en Belgique.' Le lendemain, j'ai signé à Bruges.

Son regard sur sa carrière : "Il y a un truc très important, c'est la chance"

Rien n'était gagné d'avance dans mon parcours. Au football, il y a un truc qui est très important, mais on n'en parle jamais, c'est la chance. Et la chance, ce n'est pas que le fait de marquer des buts. La chance, c'est prendre les bons chemins, c'est rencontrer les bonnes personnes. C'est de ne jamais se blesser. On n'en parle jamais, mais ça fait 50% du truc.

L'aventure au Milan AC et son regard sur le Milan d'aujourd'hui : "Milan fait partie du nouveau cycle du football européen"

Quand Milan est arrivée, l'idée, c'était de faire avec Marco Van Basten, le duo le plus prolifique du football. J'ai eu cette chance de jouer quelques fois avec lui. C'était quelquefois parce que Marco s'est blessé très vite à la cheville et finalement, il n'a pas joué du tout à part trois ou quatre matches. C'était en fait le premier vrai centre d'entraînement que je côtoyais puisqu'à Marseille, on n'avait pas la Commanderie. Il y avait un peu les prémices, mais ce n'était pas pareil. Ce n'était pas encore d'actualité à Bruges, c'était autour du stade et là, tu rentres dans un autre monde. Milan, c'est un autre monde. Après ses succès phénoménaux pendant des années, Milan a eu un trou que chaque club européen important vit un jour. Ils ont mis une quinzaine d'années, mais aujourd'hui, ils ont reconstruit une équipe et ils ont d'autres projets. Milan fait partie du nouveau cycle du football européen.

Sur Olivier Giroud : "C'est quelqu'un qui ne lâche jamais"

Olivier, c'est un copain donc je suis très content pour lui. C'est quelqu'un qui ne lâche jamais. Lui, c'est un tueur de surface. C'est un vrai buteur comme il y en a plus et comme on en fait plus parce que des comme ça, il y en aura plus beaucoup. Aujourd'hui, on mise plus sur la vitesse sur trois attaquants, peut-être même quatre. Mais quand on en a qu'un, il faut jouer avec lui. Milan, l'a bien compris. C'est une très belle personne. Il ne doute pas. Il a sa manière de jouer et ne change pas. Il n’essaye pas de faire ce qu'il ne sait pas faire. Il doit rester en équipe de France au moins pour la Coupe du monde au Qatar, c'est une certitude parce que ça donne aussi une autre solution au cas où tu es en danger. Et je pense qu'Olivier le mérite quoi qu'il arrive avec la saison qu'il fait.

Son passage au Bayern Munich : "Je pensais que le Bayern était fait pour moi"

Le Bayern, je pense que c'est un petit peu mon regret parce que j'ai connu pour la première fois de ma carrière la blessure, et ça change tout. Je pense que le club et le football allemand, c'était ce qui me convenait le mieux. Je pensais que le Bayern, c'était le club qui était fait pour moi et je pense que on est parti sur des mauvaises bases au départ. Moi, j'avais besoin de beaucoup d'entraînement. Je suis arrivé dans un club où la préparation était un peu tronquée par rapport à trop de matches caritatif, etc. Le Bayern fait énormément de choses pour ça et je suis passé à travers, parce que moi, j'ai besoin de me préparer, surtout quand tu sors de Milan. À Milan, la préparation est une des plus dures au monde et quand tu n'as pas ça, il te manque l'essence. À Munich, je ne l'ai pas eu et je me suis blessé très vite et je ne suis jamais revenu. Cela a été très compliqué à vivre psychologiquement. C'était la première fois que je me blessais. C'était dur parce qu'on venait d'apprendre qu'Émilie (sa fille) avait des soucis assez sérieux. On venait d'apprendre tout ça. Moi qui était blessée, moi qui ne pouvais pas jouer, la barrière de la langue qui commençait à se faire sentir. Parce que quand on est au club, tout va bien. On parle, on baragouine et on apprend très vite. Mais quand on est blessé, on est chez soi. Il n'y a personne qui parle allemand, on parle tous français à la maison et je me suis mis à l'écart sans le vouloir. Je me suis mis à l'écart et ça a été très dur.

L'aventure aux Girondins de Bordeaux : "J'ai aimé ce club et je l'aime toujours"

C'était une super aventure parce que j'avais besoin d'un club comme ça pour pour finir. J'ai la chance que les Girondins viennent me chercher à Munich. Je rencontre Rolland Courbis et il me fait signer très vite. Et Bordeaux, ça a été une bouffée d'oxygène. J'ai aimé ce club et je l'aime toujours. Cela fait 25-26 ans maintenant que j'habite dans la région là bas, et je crois que pour rien au monde j'ai envie de partir. Ca me chagrine de le voir comme ça, parce que déjà c'est l'un des plus beaux stades de France, et quand tu as un stade pareil, tu dois avoir une grande équipe. Je pense qu'il y a de très bons joueurs, mais je pense que dans cette équipe il n'y a pas d'âme, il n'y a pas L'ADN des Girondins avec de la formation, où les joueurs qui étaient au centre de formation prennent la place des titulaires. Je crois que l'urgence aujourd'hui est déjà de sauver la saison et c'est possible. Il y a des matchs qui vont arriver, qui sont hyper importants, contre Metz, contre Saint-Étienne, des clubs qui sont juste devant. Mais ce n'est pas une équipe qui est formatée pour se maintenir. C'est le grand dam de beaucoup d'équipes qui, le jour où elle se retrouve en situation compliquée, n'y arrive pas parce que c'est une équipe qui est faite pour jouer dans les cinq premiers rôles. Et aujourd'hui, il faut se battre. Mais je pense que ce sont des joueurs qui ne savent pas se battre.

Pourrait-il reprendre Bordeaux ? "Ca serait dans mes cordes"

Moi, j'ai eu la chance quand même de faire Strasbourg, Lens... Bordeaux, oui, ça serait quelque chose qui serait dans mes cordes. J'habite là bas.

Sur l'avenir de Kylian Mbappé : "Il doit juste réaliser ses rêves"

Je ne vais pas dire ce qu'il doit faire. Il doit juste réaliser ses rêves. Je pense que son rêve, c'est d'aller en Real Madrid et je pense qu'il va y aller. Quand tu vas au Real Madrid, tu prends pas énormément de risques. Tu peux penser qu'aujourd'hui, si tu changes de catégorie, tu gagneras cette Ligue des Champions. Vu comment il joue, pour moi, il ne prend pas de risque. Que ce soit au PSG, au Real ou même ailleurs, avec ses qualités, il peut jouer dans n'importe quel club du monde.

Sur Karim Benzema : "Le meilleur attaquant du monde"

Karim, pour moi, c'est le meilleur attaquant du monde. Il a pris un grade là en quelques mois qu'il n'avait jamais eu auparavant et je pense que ça l'a renforcé dans plein de choses. Maintenant qu'il est gainé comme il faut, il arrive à jouer de la tête. Si on veut rester le plus longtemps possible, à un moment, il faut que son corps suive et je crois que Karim l'a très bien compris. Le dernier rêve pour Karim, c'est le Ballon d'Or. Je pense qu'aujourd'hui, il a un coup d'avance.

Son association 9 de coeur : "Cela fait 27 ans qu'on fait la même chose"

Ça n'a jamais été pour aider Émilie. C'était pour aider les familles qui avaient les mêmes problèmes avec leurs enfants que nous avec Émilie. Ce qui nous a permis de renverser un peu la vapeur par rapport à notre fille, qui est autiste à 100%, c'est qu'à un moment, je pense qu'elle n'était pas dans le même monde que nous. Il fallait trouver une méthode qui puisse au moins la ramener dans notre monde. Et on a eu la chance de partir à Philadelphie, de faire la méthode Doman pendant huit ans et on a eu la chance qu'Émilie revienne un peu dans notre monde. Et ça, c'est juste magnifique.

Même si elle ne parle pas, même si elle n'est pas comme les autres aujourd'hui, elle est avec nous. C'est émouvant d'en parler parce que on est parti de rien pour arriver à des résultats qui sont exceptionnels. Parce que le fait de voir Émilie tous les jours, de la comprendre, de l'emmener au restaurant, d'aller faire les courses avec nous, c'est juste ce qu'on espérait dans notre malheur. On a créé l'association au départ parce que cette méthode, elle était très décriée en France et c'était la seule qu'on avait pour faire faire des progrès à Emilie. Après le voyage à Philadelphie, les journalistes étrangers avaient commencé à marquer n'importe quoi, que j'étais partie aux Etats-Unis pour faire opérer ma fille du cerveau, etc. En fait, je suis allé à une mission française et j'ai parlé de ce que j'avais fait, de ce que j'avais vécu. Et dans la semaine qui a suivi, j'ai reçu à Munich deux sacs postaux où il y avait 4000 lettres de personnes qui avaient le même problème et qui n'avaient pas de solution. Et on a fait l'association juste pour donner les informations. Cela fait 27 ans qu'on fait la même chose. Depuis, on a trouvé plein d'autres méthodes donc on aiguille les gens sur des méthodes qui peuvent aider à vraiment améliorer le quotidien de leurs enfants."

Sur son poste d'entraineur à Chartres : "Ici, il y a un vrai projet"

On apprend toujours au foot. Le métier d'entraîneur, on sait que c'est très aléatoire. Une année c'est bien, quand c'est pas bien on te met gentiment à la porte. J'ai toujours cru à mon étoile et je savais qu'à un moment, il fallait que j'y retourne parce que d'abord j'en avais besoin. Florence a compris que j'en avais besoin, donc on a fait le voyage de la Gironde à l'Eure et Loir parce qu'ici, il y avait un vrai projet. Je pense que quand on est coach, c'est bien d'avoir un projet. Entraîné pour entraîner, sincèrement, ça ne me plaisait pas. Ici, il y a un projet de monter à l'échelon supérieur (en National). Il y a sept matches, on n'est pas encore mort et on va tenter notre chance jusqu'au bout. Mais il y a la construction d'un stade, il y a la question d'un centre d'entraînement. Et puis, il faut faire évoluer cette équipe. Cette année, on est très mal parti et on revient très fort. J'aimerais aller au bout de mon aventure ici parce que je l'ai fait pour Gérard Solaire, qui est mon président.

Son plus grand regret : "Alex Ferguson voulait me prendre à Manchester United"

De ne pas être allé à Manchester United. J'étais au Bayern et j'étais blessé et un soir, j'ai reçu un message sur la boîte vocale. C'était Éric Cantona qui me disait qu'Alex Ferguson voulait me prendre à Manchester, même blessé, pour refaire le duo avec Éric à l'époque. Et le Bayern n'a jamais voulu me laisser partir. Ils n'ont rien voulu savoir. Cela a été le plus grand regret de ma carrière.

Marseille finira t-il deuxième de la Ligue 1 ? "Un club qui mérite d'être là-haut"

Il faudrait. Ce serait bien parce que c'est un club qui mérite d'être là haut. Les supporters sont extraordinaires, ils aiment le football, ils aiment leurs joueurs. De temps en temps, ils sont un peu au-delà de ce qu'on peut imaginer pour un supporter. Mais Marseille, c'est ça. Tout le monde ne peut pas jouer à Marseille parce qu'à Marseille, il faut un caractère particulier.