Coupe du monde tous les deux ans : «Le football ne tue pas», assure Arsène Wenger

Arsène Wenger
Arsène Wenger s'est confié au micro de Lionel Rosso avec Jimmy Algérino et Luc Sonor. © AFP
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Colin Abgrall , modifié à
L’actuel directeur du développement du foot mondial à la Fifa, ancien manager d’Arsenal et entraîneur de Monaco Arsène Wenger s'est confié au micro de Lionel Rosso avec Jimmy Algérino et Luc Sonor. Un entretien passionnant dans lequel l'Alsacien n'évite aucun sujet de l'actualité du football.

À l’occasion de la diffusion du documentaire Invincible sur Canal + ce dimanche à 21 heures, Arsène Wenger revient, pour les auditeurs d’Europe 1, sur sa carrière, son nouveau rôle à la Fifa, l’évolution du football et son projet controversé d’une Coupe du monde tous les deux ans, qu'il ne lâche pas.

Wenger sur les invincibles d’Arsenal : "Il faut fixer des objectifs élevés"

"Comme on avait été champion en 2002, en 2003 j’ai dit en conférence de presse que mon rêve était de faire une saison sans être battue une seule fois. Mais en 2003, nous perdons le titre et Manchester United a été champion. On avait quand même été invaincu à l’extérieur tout au long de la saison. Mes joueurs m’ont dit 'c’est à cause de vous, vous nous avez fixé un objectif trop élevé'. C’est ce qui est intéressant. Je n’ai pas mieux managé que les autres années.

Mais si je ne leur avais pas fixé cet objectif, ils ne l'auraient pas fait. Il faut parfois, quitte à paraître arrogant, fixer des objectifs extrêmement élevés aux gens. Les graines qu’on met dans le cerveau mettent parfois du temps à répondre. Quand ils m’ont fait ce reproche, je leur ai dit 'honnêtement, je suis convaincu que vous pouvez le faire'. Et on l’a fait."

Sa grande fierté : "La loyauté"

"Ce dont je suis le plus fier, c’est la loyauté. J’ai été élevé comme ça. Un leader doit porter les valeurs qu’il veut. Tu ne peux pas demander à un joueur d’être loyal si tu sautes sur la première offre. Un leader, c’est zéro privilège. Le plus important, ce sont les valeurs que vous générez dans un club. C’est comme ça que se bâtit un club. Comment tu seras perçu de l’extérieur, qu’est ce qui est important dans ton comportement et ce que tu ne tolères pas chez les joueurs et le staff. Cet héritage est le plus important. C’est une expérience extrêmement intéressante à ce niveau-là."

Son passage à Monaco (de 1987 à 1994) : "Je suis difficile à déloger"

"Ce que les gens n’ont pas retenu, c’est qu’avant mon arrivée, Monaco n’avait pas passé un tour de Coupe d’Europe. On a réussi à aller en finale de la Coupe des coupes, en quart et en demi-finale de la Ligue des Champions. Monaco s’est donc établi sur la scène européenne pendant ces sept ans. J'ai aussi battu le record de longévité à Monaco. Cela prouve qu'une fois que je suis installé, je suis difficile à déloger.

C’était une période exceptionnelle pour moi. J’étais à Nancy et à ma troisième année, nous sommes descendus. Puis j'ai eu le choix entre le PSG et Monaco. Et à Monaco, dès la première année, nous avons été champions de France. Le grand enseignement de ma carrière, c’est que quand tu te retournes et que tu as gagné avec une équipe, avec la distance, tu te rends compte que tu avais des super joueurs et des joueurs intelligents."

Son rôle à la Fifa en tant que directeur du développement du football : "Combler les manques"

"Il y a 211 pays dans le monde affilié à la Fifa. J’ai fait faire une enquête dans 205 pays pour savoir quels sont les besoins dans chaque pays et quels sont les moyens manquants. Il y a une corrélation très forte entre la qualité du travail chez les jeunes et les résultats de l’équipe sénior. J’ai créé un programme nommé 'À chaque talent, une chance'. Et ce n’est pas le cas dans 85% des pays.

Aujourd’hui, connaître le plaisir du football, ça n’arrive pas dans beaucoup de pays, car il n’y a pas de compétition de jeunes. En Afrique, et dans la plupart des pays dans le monde, il n’y a pas plus de deux compétitions organisées chez les jeunes. En 2022 et 2023, nous entrons dans tous les pays pour essayer de combler leur manque et donner un soutien financier. On ne forme pas assez de bons joueurs dans le monde parce qu'il n’y a pas d’éducation au football. Nous allons organiser des coupes du monde plus régulièrement chez les moins de 17 ans pour inciter les pays à faire quelque chose pour les jeunes.

Intégrer un joueur en équipe première, ça se prépare quatre à cinq ans à l’avance. Il faut identifier le talent, que la qualité de l’éducation des entraîneurs soit bonne ainsi que la qualité des compétitions chez les jeunes et ensuite, intégration en équipe première. Je prends souvent Mbappé comme exemple. Aujourd’hui c’est peut-être le meilleur joueur du monde. Serait-il le même joueur s’il était né au Cameroun ? Voilà mon challenge. Alors vous me direz que c’est un programme qui dure sur 20 ans. Mais au moins je vais le commencer."

La Coupe du monde tous les deux ans : "Le football ne tue pas"

"Il y a eu beaucoup de résistance là-dessus que je comprends tout à fait. Moi, j’ai été élevé dans le cycle de quatre ans. Mais le monde a changé, la perception du temps a changé. Tout va plus vite. Les jeunes veulent des événements tout le temps. Il ne regarde plus 90 minutes de foot devant la télé. Si vous regardez l'histoire de la Coupe du monde, 54% des participants sont européens et 18% viennent d’Amérique du Sud. Le reste du monde est exclu. Je suis pour une Coupe du monde plus fréquente. L’Europe a 55 pays et 13 participants. L’Afrique a 54 pays et cinq participants.

Je propose aussi qu’il y ait une période de repos obligatoire après la compétition. Moi, on m’a demandé d’étudier un calendrier pour pouvoir organiser une Coupe du monde tous les deux ans. J’ai proposé une réduction du nombre de matchs de qualifications. Les prochains championnats d’Europe vont avoir lieu à 32. Il y a 55 pays. On ne va pas jouer pendant un an et demi pour qualifier 32 nations. Je propose de regrouper les qualifications. De les jouer sur trois fois au lieu de cinq et d’aménager le calendrier.

Aujourd’hui, avant les matchs, on se prépare mieux. Pendant le match, les joueurs sont mieux protégés. Après le match, c’est mieux également. Ce qui a augmenté, c’est la pression publique à travers les réseaux sociaux et les responsabilités commerciales du côté des joueurs. Mais la partie football elle-même ne tue pas. Moi, j’ai joué contre Ronaldo en 2003. Aujourd’hui, nous sommes en 2022. C’est 19 ans plus tard. Il est toujours là et pendant ces 19 ans, il a joué tous les ans 70 matchs. Ça prouve bien que le football ne tue pas."