"Le football est une caisse de résonance pour la religion"

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Julien Froment , modifié à
INTERVIEW - Canal + Sport diffuse mercredi soir un documentaire sur le rapport entre football et religion.

La chaîne Canal Plus sport diffuse mercredi un documentaire de 26 minutes intitulé "Jésus football club", dans lequel des joueurs de Ligue 1, et notamment du PSG, parlent ouvertement de leur foi chrétienne. On y voit par exemple le défenseur Alex en pleine prière ou encore l’attaquant uruguayen Edinson Cavani déclarer  que "Dieu est tout" pour lui. D’autres stars du football, comme le joueur du Milan AC Kaka, ne cachent pas leur attachement à la religion. Ce dernier appartient même à un groupe évangéliste, les "Athlètes du Christ". Un zèle qui peut étonner en France, pourtant ce rapport à la foi a toujours exister dans l'histoire mondiale du ballon rond. Joint par Europe 1, Paul Dietschy, historien et sociologue du sport à l’Université de Franche-Comté, revient sur les origines de la relation entre football et religion.

"Le lien entre football et religion existe-t-il depuis longtemps ?"

Paul Dietschy : C’est un phénomène ancien, lié au rapport entre football et l'institution Eglise. En Angleterre, dans les années 1870, beaucoup de clubs ont été créés par des paroisses ou par des Eglises dissidentes. C’est le cas notamment du club d’Aston Villa, à Birmingham. En France, le développement du football a été fortement lié à l’Eglise catholique et au mouvement des patronages… C’était d’abord une volonté d’encadrer le sport et de diffuser par cet encadrement la foi, ou de reconvertir des sociétés qui se sont sécularisées.

Le phénomène est particulièrement fort aussi en Amérique du Sud...

Alex avec Thiago Silva (930x620)

En Amérique Latine, et plus particulièrement au Brésil, cette propagation est liée au dynamisme des églises protestantes et évangéliques, qui travaillent beaucoup sur tous les vecteurs de la culture de masse. La chanson, la télévision, la musique populaire, et évidemment le football. Ce n’est pas nouveau. Déjà dans les années 1970, il y avait un pilote brésilien, Alex Ribeiro, qui portait sur son casque "Jésus saves" (Jésus sauve, ndlr). Le regain du religieux a pu être accentué par le fait que les idéologies politiques ont perdu de leur vigueur. Le marxisme, par exemple, a perdu beaucoup de vitesse. Dans les années 1980, Socrates se référait ainsi beaucoup au marxisme (La démocratie Corinthiane, ndlr). Dans ce retour de la foi, il y a aussi l’idée que Dieu accompagne le sportif dans sa performance mais aussi dans ses moments de doute.

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"C'est clairement du prosélytisme"

Les footballeurs peuvent-ils être instrumentalisés ?

C’est clairement du prosélytisme. Les joueurs eux-mêmes veulent faire partager leur foi, la diffuser, l’étendre, Ils ont la volonté de se montrer en exemple. Ils sont acteurs de religions qui prétendent rebaptiser, réinventer le monde. Ils sont tout à fait en phase avec ce projet d’évangélisation. Le football est un terreau adéquat car c’est une chose qui est portée par des gens jeunes, qui montrent une certaine réussite sociale et qui sont adulés. Le match de football est vu par des milliers de personnes, réunit le plus de gens ensemble sur la planète. Donc, pour toutes ces raisons il y a une caisse de résonance qui est extrêmement forte et c’est pour ça que les prosélytes des religions, qu’ils soient catholiques, évangélistes ou musulmans, utilisent le sport et le football en particulier.

N’y-a-t-il pas des risques de dérives ?

La Fifa et les fédérations essayent de réduire les manifestations. On l’a vu récemment avec l'hommage à Mandela (Didier Drogba et Emmanuel Eboué avaient inscrit sur leur maillot un message en l’honneur du président sud-africain, ndlr). Je crois qu’elles sont relativement attentives, pour des raisons qui peuvent être commerciales. Il ne faut pas que le business soit affecté par ces manifestations. C’est quelque chose qui peut être dangereux à terme, mais de ce qu’on peut voir dans l’histoire, le football l’a toujours emporté sur les idéologies, qu’elles soient politiques ou, aujourd’hui, religieuses.