Robert a pardonné aux assassins de son père : "Je me suis libéré"

  • Copié
Léa Beaudufe-Hamelin , modifié à
Le père de Robert est mort assassiné. D'abord habité par un sentiment de haine et de vengeance à l'égard des trois assassins, Robert est parvenu à se libérer de cette charge émotionnelle, jusqu'à pardonner à ceux qui avaient tué son père. Il raconte son cheminement à Olivier Delacroix sur "La libre antenne".
TÉMOIGNAGE

Le père de Robert est mort après avoir été passé à tabac par trois individus. Au micro de La libre antenne, ce fils meurtri se confie sur son cheminement personnel, de son désir de vengeance au pardon, en passant par l’acceptation de sa vulnérabilité. Il raconte à Olivier Delacroix sur Europe 1, la rencontre avec l'un des assassins de son père, lors de laquelle il lui a accordé son pardon.

"Mon père a été assassiné en 1995 par trois individus de 18 et 19 ans. Leur voiture ne démarrait pas, alors ils ont voulu voler une batterie. Mon père était stationné en face. Il était camionneur et travaillait pour une compagnie de journaux, il avait 63 ans. Mon père a ouvert les portes de son camion pour signaler sa présence. L’un des trois individus l’a alors saisi par les bras et les deux autres ont commencé à le tabasser. A force de coups de poings, il est tombé au sol. Ils se sont mis à lui donner des coups de pieds au visage, et ils l’ont tué. Cela a été un moment terrible pour notre famille. Nous étions cinq enfants et avions un père extraordinaire. Il était violent, mais nous étions une famille unie malgré tout.

" J’ai fui dans le travail pour oublier, pour ne plus ressentir "

La police a demandé à ma mère si elle était d’accord pour s'exprimer à la télévision pour l'aider à trouver un témoin. Ma mère a accepté avec courage. L’un des trois meurtriers a vu son témoignage et la culpabilité s’est éveillée en lui. Il s’est présenté au poste de police pour raconter ce qui s’était produit. Trente-et-une heures après qu’il se soit rendu, les deux autres ont été arrêtés. A ce moment-là, je voulais juste savoir qui c’était, car un sentiment de vengeance et de haine s’était éveillé en moi. Tous les soirs, je me faisais des scénarios sur la façon dont ces personnes allaient mourir en sortant de prison. J’étais comme prisonnier de ces personnes.

Quand je suis allé identifier mon père, il avait les yeux noirs, les lèvres enflées, le côté droit du crâne écrasé. C’est le dernier regard que j’ai porté sur mon père. Tous les soirs quand je me couchais, je voyais cette image. Je ne savais pas comment me libérer de cette charge émotionnelle, alors j’ai fui dans le travail pour oublier, pour ne plus ressentir. J’ai repris le travail de mon père, je partais de 23h jusqu’à 4h du matin. J’avais aussi un autre emploi à plein temps. J’ai bâti un empire. J’avais inconsciemment besoin de plaisir, alors j’ai acheté une grande maison et des voitures. Je gâtais beaucoup ma conjointe. En revanche, je n’étais pas présent. La colère m’empoisonnait et j’avais un plan : la vengeance, détruire ces personnes.

" Je voulais avoir mal ailleurs que dans le cœur "

Ma conjointe ne voulait plus vivre avec moi, elle m’a quitté. Un soir, j’étais dans mon salon et je me suis aperçu que j’étais seul dans cette abondance. J’étais tellement en colère, j’avais tellement mal. Je suis allé prendre une douche et je me suis mis à hurler de douleur et de souffrance. Je me suis battu parce que je voulais avoir mal ailleurs que dans le cœur. J’ai regardé le ciel et dit : "Si tu existes, il serait temps que tu me le montres parce que je ne suis plus capable de vivre".

Le lendemain, j’ai rencontré une dame avec qui je travaillais depuis cinq ans, mais nous avions rarement discuté. Ce matin-là, elle m'a parlé de cheminement personnel. Je me suis dit : "Voilà ton signe, écoute-le". Alors j’ai commencé à faire du cheminement personnel. J’ai mis le projecteur sur moi et j’ai compris que je devais libérer mes charges émotionnelles, les partager à un autre humain. Être vulnérable et sensible m’a fait un bien énorme. J’ai compris que le pardon était égoïste, qu’on le faisait pour soi. Je m’étais libéré et me sentais mieux.

" Tu ne peux imposer le pardon à personne "

J’ai commencé à témoigner dans des groupes de soutien. J’ai raconté ma vulnérabilité, ma sensibilité. Être vulnérable, c’est avoir un regard sur soi et écouter son intelligence émotionnelle pour accéder aux sentiments désagréables et les libérer. Je me suis aperçu que les gens se reconnaissaient dans mon histoire et que cela leur faisait du bien. J’ai compris qu'en me montrant sous mes vraies couleurs, je pourrais aider mon prochain. J’ai repris des études en psychologie et en thérapie pour approfondir mes connaissances et je suis devenu enseignant-conférencier.

Un soir, un de mes frères m’a dit que l’un des trois s’en voulait d’avoir tué notre père. J’ai médité et me suis dit : "Fais quelque chose pour lui". Je voulais le rencontrer pour le pardonner. Le président et une avocate de la justice réparatrice sont venus me rencontrer pour savoir si mon intention était noble. Ils m’ont dit qu’ils devaient demander la permission à l’assassin de mon père pour savoir si lui voulait me rencontrer. Je suis tombé des nues, je me disais qu’il n’avait pas le choix parce qu'il avait tué mon père. Puis j’ai pris conscience que tu ne peux imposer le pardon à personne.

" J’ai de l’amour pour cette personne qui a tué mon père "

Ils m’ont rappelé pour me dire que l’assassin de mon père acceptait de me rencontrer. Neuf mois se sont écoulés avant que je ne le rencontre. Trois mois avant la rencontre, je méditais un soir et une petite voix en moi m’a dit d’inviter toute sa famille. Seule sa grand-mère a accepté. Puis, trois semaines avant la rencontre, j’étais encore en méditation et je songe à lui acheter une chaîne en or avec une croix, pour qu’à sa sortie de prison, s’il se sent mal, il se souvienne du temps passé ensemble.

Sur la route de la prison, je méditais et j’étais en paix à l’intérieur de moi. Quand l’assassin de mon père est arrivé, je n’ai ressenti aucune haine. Je lui ai dit : 'tu as tué mon père, c’était le noyau chez nous'. Je voulais qu’il réalise le mal qu’il avait fait, sans le faire se sentir coupable. Puis je lui ai dit que malgré tout ce mal et cette souffrance, je l’avais pardonné, et ma famille aussi. Pendant cinq ans, j’ai voulu le tuer, me venger. Et maintenant, je suis assis en face de lui et n’ai aucune haine, aucun sentiment de vengeance. J’ai de l’amour pour cette personne qui a tué mon père. J’ai pardonné aux deux autres aussi.

Puis j’ai sorti le coffret avec la chaîne en or et la croix. Quand il l’a ouvert, il a éclaté en sanglots. Nous nous sommes levés, tous deux en pleurs, et je l’ai pris dans mes bras. Une libération exceptionnelle s’est produite. C’est par la libération de ses charges émotionnelles que l’on peut parvenir à l’amour de soi. Et l’amour de soi c’est notre source, c’est ce qu’il y a de plus grand.

Grâce à mon cheminement personnel, j’ai repris les études. J’ai tenu plus de 3.000 conférences en 20 ans. J’aide les gens à se libérer et à atteindre leur plein potentiel. En 20 ans, au moins une soixantaine de personnes m’ont dit que sans mon stage, elles se seraient ôtées la vie. On a perdu une vie importante, celle de mon père, mais d’autres vies ont été sauvées grâce à mon histoire. Il faut se donner la permission de se libérer et de voir la lumière à l’intérieur de soi."