Que sait-on des néonicotinoïdes, ces "pesticides tueurs d'abeilles" ?

Un agriculteur répand des pesticides sur un champ dans le Nord.
Un agriculteur répand des pesticides sur un champ dans le Nord. © PHILIPPE HUGUEN / AFP
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Thibaud Le Meneec avec Anaïs Huet , modifié à
Surnommés "pesticides tueurs d’abeilles", les néonicotinoïdes ont fait l’objet d’une passe d’armes, lundi, entre le ministre de l’Agriculture Stéphane Travert et celui de la Transition écologique Nicolas Hulot.

Le sujet a donné lieu à un désaccord gouvernemental, lundi, entre le ministre de l'Agriculture Stéphane Travert et celui de la Transition écologique, Nicolas Hulot. Confirmant une information de RMC, le premier a d’abord affirmé étudier la possibilité de "dérogations" à l'interdiction de néonicotinoïdes. Une hypothèse immédiatement battue en brèche par Nicolas Hulot, conforté par Matignon. Europe1.fr répond aux questions qui se posent autour de ces produits surnommés "pesticides tueurs d'abeilles" par leurs détracteurs. 

  • Les néonicotinoïdes, qu’est-ce que c’est ?

Les néonicotinoïdes sont une famille de pesticides qui regroupe sept molécules chimiques aux noms barbares, comme la clothianidine, l'imidaclopride ou le thiaméthoxame. Elles sont dites "systémiques" : répandues sur les champs en enrobage des semences, ces substances infiltrent toute la plante, de la racine aux feuilles en passant par le pollen. Ce qui permet d’affecter le système nerveux et de tuer même à très faible dose les insectes responsables de la destruction de certaines cultures.

" C’est comme si on avait refilé le sida aux abeilles "

En plus de ces "nuisibles" touchés par la longue persistance de ce traitement dans les sols, on trouve les abeilles, désorientées par les substances néonicotinoïdes. "Comme d'autres organismes, nous avons montré que ces substances généraient une perte de repères de la part de l'abeille, qui ne retrouvait plus la ruche après avoir butiné", explique Axel Decourtye, directeur scientifique et technique à l’Institut de l’abeille (ITSAP). "Ça les affaiblit, elles sont très vulnérables aux virus et ça les fait mourir de maladies jusqu’ici bégnines. C’est comme si on leur avait refilé le sida. Un petit rien les fait mourir", abonde Gilles Lanio, président de l'Union nationale de l'apiculture française.

  • Ces molécules sont-elles très utilisées ?

Les premières substances ont été légalisées dans les années 1990 et depuis, leur utilisation n’a cessé de croître. Gaucho, Poncho-Maïs, Cruiser... Commercialisées par des géants industriels comme Bayer ou Syngenta, les néonicotinoïdes représentent selon les estimations entre 30% et 40% des insecticides utilisés dans le monde. En France, ces molécules sont "au coeur d’interrogations depuis 20 ans, ce qui fait qu’il y a de moins en moins de cultures qui sont traitées par ces moyens. Mais elles restent très utilisées pour les céréales à paille que sont l’orge ou le blé", affirme Axel Decourtye.

  • Quelle est la réglementation actuelle en matière de néonicotinoïdes ?

Depuis fin 2013, un moratoire partiel s’applique au niveau européen à trois molécules (l’imidaclopride, la clothianidine et le thiaméthoxam), interdites sur la plupart des cultures (tournesol, maïs, colza) sauf les céréales à paille l’hiver, ainsi que les betteraves. La France est allée plus loin en mars 2016 : l’Assemblée nationale a voté l’interdiction à partir de septembre 2018, avec des dérogations possibles jusqu’en juillet 2020 par arrêté. Pendant la campagne présidentielle, Emmanuel Macron avait assuré qu’il ne reviendrait pas sur l’interdiction totale en 2020 de ces néonicotinoïdes.

  • Pourquoi y a-t-il eu désaccord au sein du gouvernement ?

En début de matinée, lundi, RMC a révélé que le gouvernement avait pour projet d’autoriser de nouveau les néonicotinoïdes. Une information rapidement confirmée par le ministre de l’Agriculture Stéphane Travert sur BFMTV : "Nous devons pouvoir autoriser des dérogations pour permettre leur autorisation afin que nos producteurs puissent continuer à travailler dans de bonnes conditions." Réplique immédiate du ministre de la Transition écologique Nicolas Hulot, qui avait oeuvré l’année dernière en faveur du vote pour l’interdiction de ces produits par l’Assemblée nationale.

Plus tard dans la matinée, Nicolas Hulot a ajouté qu’il ne ferait "aucune concession" sur la santé. Quelques minutes plus tard, Matignon a affirmé que le gouvernement ne reviendrait pas de fait sur l’interdiction des néonicotinoïdes, contredisant de facto le ministre de l’Agriculture. Tout en indiquant qu’un travail était en cours avec les autorités européennes, "la Commission européenne ayant émis certaines observations sur la réglementation française".

  • Quels sont les arguments des partisans d’un adoucissement de la réglementation ?

Pour les industriels comme Bayer ou Syngenta, interdire les "néonics" reviendrait à utiliser des produits de protection du passé, par exemple par pulvérisation, eux aussi décriés par les défenseurs de l’environnement. "On pourra régler le problème avec des alternatives liées à l’agro-écologie. Mais pour l’instant, on n’a pas de molécule miracle pour les agriculteurs", reconnaît Axel Ducourtye.