Le confinement d'Edouard Louis : "Dans un moment de crise, les vérités apparaissent clairement"

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Margaux Baralon
Chaque semaine pendant le confinement, Frédéric Taddeï interroge des invités non plus "En Balade", mais par téléphone, pour leur demander comment ils vivent cette période si particulière. L'écrivain Edouard Louis, très engagé à gauche, a une lecture hautement politique de cet événement.

Engagé, Edouard Louis l'est dans ses romans et ses essais. Mais aussi pendant le confinement. L'auteur d'En finir avec Eddy Bellegueule, invité de Frédéric Taddéï sur Europe 1, voit en effet dans l'assignation à résidence demandée à tous les Français un révélateur, "une sorte de miroir grossissant" des travers du monde, et notamment ses inégalités. "Au fond, le confort des uns a toujours comme coût le travail et la souffrance des autres. Le plaisir a toujours une contrepartie. Ce confinement vient révéler ça de manière encore plus violente. C'est comme si, dans un moment de crise comme ça, les vérités apparaissaient de manière plus claire."

"Des gens continuent de travailler au supermarché, à l'usine"

Quelles vérités ? Pour Edouard Louis, qui "ressent une forme de colère", on est en droit de se demander "si ce confinement n'est pas plus social que sanitaire". Car le coronavirus est plus dangereux pour les personnes vulnérables, celles qui ont déjà des problèmes de santé notamment. Or, "ce sont souvent des personnes qui ne sont pas confinées, qui travaillent dans les usines, dans les supermarchés", estime l'écrivain.

>> Pendant le confinement destiné à ralentir la propagation de l'épidémie de coronavirus, Frédéric Taddeï réinvente En Balade avec et interroge, à distance, des personnalités sur la manière dont ils et elles vivent cette période. Retrouvez toutes ses émissions en podcast et en replay ici.

"J'ai dans ma famille des personnes en situation d'obésité, qui ont des problèmes de coeur et de corps parce qu'elles ont des conditions de vie difficiles. Et ces gens aujourd'hui continuent de travailler au supermarché, à l'usine, continuent à livrer. Des gens dans ma famille travaillent chez Amazon." Et permettent, assure Edouard à Louis, aux gens mieux classés socialement de continuer de pouvoir faire leurs courses et profiter d'un certain "confort". 

"Au fond, je me demande si on n'a pas tendance en ce moment, à accepter les mots du pouvoir. Ce confinement est-il vraiment sanitaire ? N'est-il pas plutôt social ?", se demande l'écrivain qui n'a jamais retenu ses coups contre la politique gouvernementale. Ce confinement est pour lui "une sorte de moment de vérité sur la manière dont fonctionne le monde, avec ses hiérarchies, ses violences, ses inégalités". 

 

 

"Une redistribution violente entre unité domestique légitime et vies illégitimes"

Un moment de vérité, aussi, sur les normes sociales et familiales. "Je suis gay, et comme beaucoup de gays, j'ai organisé toute ma vie autour de l'amitié", explique Edouard Louis. "Et tout à coup, ces choses-là sont bannies, interdites. C'est ce que Geoffroy de Lagasnerie [philosophe, sociologue et proche d'Edouard Louis, NDLR] disait, ce confinement organise une sorte de familialisme. On peut voir ses enfants, vivre avec eux. S'il y a une garde partagée, on peut même traverser toute la France pour aller chercher un enfant et le ramener. Mais on ne peut pas voir des amis, des amants, des gens qu'on aime."

Pour Edouard Louis, "il y a donc une redistribution violente de ce qui est considéré comme une unité domestique légitime, [par opposition aux] unités domestiques et aux vies illégitimes."