Yadh Ben Achour, juriste et universitaire tunisien 1:50
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Mathilde Durand , modifié à
Sur Europe 1, Yadh Ben Achour, juriste et universitaire tunisien, évoque la laïcité "à la française", souvent décriée à l'international. "Je prétends que la laïcité, contrairement à ce qu'on dit, non seulement n'est pas dirigé contre l'islam mais qu'au contraire favorise la véritable foi", indique-t-il. 
INTERVIEW

Dix ans après le mouvement des printemps arabes, Yadh Ben Achour, juriste et universitaire tunisien publie L'islam et la démocratie, une révolution intérieure. Avec recul, il observe la situation de la France et les crispations parfois engendrées par sa vision de la laïcité particulière. Un concept critiqué par le chef d'Etat turc, Recep Tayyip Erdogan, par exemple, qui dénonce régulièrement un outil contre les musulmans. Contrairement à ce dernier, Yadh Ben Achour pense que "la laïcité d'une manière générale est le régime ou le choix qui protège le mieux la religion".

"Favorise la véritable foi"

"C'est ce régime qui respecte la liberté de croyances, qui garantit surtout la liberté de conscience et qui, par conséquent permet aux croyants de vivre leur croyance pleinement, sans entraves de l'Etat", poursuit l'universitaire sur Europe 1. 

"Je prétends que la laïcité, contrairement à ce qu'on dit, non seulement n'est pas dirigée contre l'islam mais qu'au contraire favorise la véritable foi et lui permet de cohabiter avec d'autres religions, avec d'autres croyances", ajoute-t-il. 

Politiques culturelles plutôt que loi contre le séparatisme 

En France, la majorité présidentielle a engagé de nombreuses réformes, visant à lutter contre les séparatismes et la montée de "l'islamisme politique". Selon Yadh Ben Achour, le problème ne réside pas dans un vide législatif mais plutôt culturel. "Ce qu'il faut ce sont des politiques culturelles, éducatives, des politiques du vivre-ensemble. Là où il faut agir c'est : comment atteindre les populations musulmanes pour les aider à refaire leurs idées et surtout à abandonner ce concept fondamental chez eux de la religion civile ?", assure-t-il. Il plaide pour l'instauration de cours, d'instituts visant par exemple à mieux connaître l'islam et à interpréter le texte sacré dans une optique moderne. 

"Le problème des islamistes, c'est qu'ils vivent un petit peu dans l'ignorance, dans le dogmatisme. Tant que nous adoptons des attitudes à l'avance intangibles nous ne pouvons pas valablement réfléchir sur toutes ces questions. Et nous restons prisonniers de nos préjugés", explique l'universitaire et juriste tunisien. "Par conséquent, il faut lutter contre les préjugés, contre la crispation autour de certains dogmes, et plaider pour la relativité en matière culturelle. Ceci sans nier 'les droits de Dieu'". 

Abandon du dogmatisme

Il se veut cependant optimiste quant à l'abandon futur des "dogmatismes", mais appelle à la patience. "La déstructuration et la restructuration d'une pensée religieuse ne se fait pas du jour au lendemain", rappelle-t-il. "Cette révolution de la pensée est tout à fait nouvelle dans l'ère de civilisation islamique. Elle remonte au 19e siècle et c'est un mouvement qui sera extrêmement long, comme tous ceux qui consistent à refaire un système de croyances."

Selon Yadh Ben Achour, les difficultés actuelles autour de la religion ou de certaines doctrines particulières sont liées à certains Etats et groupes armés qui "favorisent les cultures radicales". "Il y a une injustice à l'égard des Etats musulmans au niveau international, il ne faut pas l'oublier. Tout cela fait que dans le monde présent nous n'y arriverons pas [à abandonner le dogmatisme, ndlr]. Cela ne veut pas dire que nous n'y arriverons jamais", conclut-il, rappelant que "l'homme est fait pour être démocrate". Qu'il soit croyant ou non.