Jérôme a brisé l’omerta sur le dopage dans le cyclisme : "Tout le monde est au courant"

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Léa Beaudufe-Hamelin
Alors qu’il était coureur cycliste professionnel, Jérôme Chiotti a brisé l’omerta au sujet du dopage dans le monde du cyclisme. Avouant s’être lui-même dopé, il a été sanctionné et cela a mis un terme à sa carrière professionnelle. Il explique à Olivier Delacroix pourquoi il a choisi de faire ces révélations.
TÉMOIGNAGE

En 2000, Jérôme Chiotti, coureur cycliste professionnel, a dénoncé les pratiques de dopage dans le monde du cyclisme, avouant s’être lui-même dopé alors qu’il n’avait jamais été contrôlé positif. Il a choisi de faire ces révélations après avoir arrêté de se doper en 1998 et voyant que les coureurs les plus dopés continuaient de gagner toutes les courses. Ses aveux ont alors mis un terme à sa carrière professionnelle. Jérôme retrace son parcours de coureur cycliste au micro d’Olivier Delacroix et explique les raisons qui l’ont conduit à briser l’omerta.  

Jérôme révèle qu’on lui a proposé de se doper dès son entrée dans une équipe professionnelle : "J’ai signé mon contrat au début du mois de décembre. Mi-décembre, j’ai reçu un coup de fil d'un de mes coéquipiers me disant : ‘Je sais que tu vas préparer les championnats de France. Est-ce que tu as tout ce qu'il faut ? Tu ne peux pas prendre le départ du championnat de France dans un mois à l'eau claire’. Dans le jargon cycliste, on dit ‘à l’eau claire’, c'est-à-dire sans médicament. 

Je ne savais pas trop de quoi il me parlait. Il m’a dit : ‘Il faut que tu prennes des corticoïdes, ça va t'aider, ça donne beaucoup de force’. Ça ne faisait pas quinze jours que j'avais signé mon contrat que déjà, des coureurs dans l'équipe voulaient s'occuper de mon bien-être. Je l’ai pris comme quelque chose de bénéfique. Il avait une grande confiance en moi. Il me partageait ses secrets, c’était une sorte de reconnaissance, j’étais accepté comme un champion. Surtout, je faisais partie de la famille maintenant. 

" 99% du peloton se dopait "

À cette époque, 99% du peloton se dopait. Ce n'était pas tout le monde, mais c'est énorme. Quand vous êtes dans une grande équipe, comme chez Festina, tout le monde est au courant. Tout dépend de la taille de l'équipe. C'est évident. Le médecin est obligé de travailler en parallèle avec l'entraîneur pour être sûr que les charges de travail correspondent bien à la prise de médicaments utilisée. C’est en relation. Il y avait des contrôles, mais les médecins ont toutes les ficelles pour passer au travers des mailles du filet."

Cathy est la femme de Jérôme. Ils se sont rencontrés après qu’il a fait ses révélations. Elle confie que le dopage avait des effets sur le comportement de son mari : "Je crois qu'il a baigné dans ce milieu où c'était tellement normal que ça ne prête pas à conséquence. Ça s'est imprimé en lui. Je n'en ai jamais parlé avec lui, mais il avait beaucoup de pertes de mémoire. Il ne se souvenait de rien des épisodes de sa vie et des gens qu'il a rencontrés. Il n’avait plus aucun souvenir. Ça s'est estompé avec le temps, puisqu'aujourd'hui, ça n'a plus rien à voir."

" Mes révélations, c'était par peur de me faire attraper par la police "

Jérôme énumère les produits dopants qu’il utilisait : "J'ai commencé par la base. Le produit qui circulait le plus à l'époque dans le peloton, c'étaient les corticoïdes. C’était la base du coureur cycliste à l'époque. Ils enlèvent la douleur et permettent d'aller beaucoup plus loin dans l'effort. Ensuite, j'ai intégré l'équipe Festina et mon suivi médical a changé. Je suis passé sur des produits pour la récupération, de la testostérone. Ça permet de récupérer beaucoup plus vite et de reconstruire le muscle plus rapidement. C'est ce qui fait que les coureurs ont des jambes et des muscles si dessinés. C’est un facteur visuel de la testostérone. 

Il y a aussi la fameuse EPO, l'érythropoïétine. C’est l’hormone qui permet de produire de l'oxygène en plus grande quantité dans l'organisme. Ça produit des globules rouges qui permettent le transport de l'oxygène dans le sang. Mes premières révélations, ce n’était pas par rapport au danger sanitaire, c'était par peur de me faire attraper par la police un jour. C'était plus parce que j'avais peur de finir un jour en prison que de mourir à 50 ans d'un cancer. C'est malheureux à dire, mais c'est la stricte vérité."

" S'injecter des produits interdits, ça n'a rien d'un plaisir "

L’ancien coureur cycliste revient sur les circonstances de ses révélations : "Un journaliste m'a proposé une interview. Quand j'ai raccroché, j'ai dit à mon ex-femme : ‘Je crois que demain, il va savoir beaucoup de choses’. Le soir même, ça avait commencé à germer. Le lendemain, il est allé crescendo dans les questions jusqu'à la dernière. Il m'a dit : ‘Tu sais qu'il y a beaucoup de rumeurs sur ton titre de champion du monde. Est-ce que tu peux aujourd'hui dire que ce titre tu ne l'as pas acquis honnêtement’. J’ai répondu : ‘Je l’ai acquis avec de l’EPO, de l'hormone de croissance et de la testostérone’. 

Il m'a regardé et m'a demandé s’il pouvait l’écrire. J’ai répondu : ‘Si je le dis, tu peux le dire’. Ce qui est assez drôle, c'est que l'article est sorti dans Vélo Vert et ça a dû faire deux lignes dans L'Équipe le lendemain. Je pense que quelqu'un a dû prendre conscience de la portée de mes paroles. Deux ou trois jours après, à la veille d'une coupe de France, ils ont fait un article beaucoup plus important. Dans l'après-midi, j'ai eu droit à toutes les radios et tous les journaux. Je me suis dit que c’était peut-être en train de me dépasser. 

Le soir même, j’ai eu le président de la fédération au téléphone qui m’a dit : ‘Ce que tu as fait, ce n'est pas bien. Ça fait du tort au cyclisme. Tu es un cas isolé.’ J'ai subi des pressions de la part de mon employeur qui m'a dit que j’avais commis une faute professionnelle. Avouer une faute, c'était comme être contrôlé positif. S'injecter des produits interdits dans la veine ou dans la fesse quotidiennement, ça n'a rien d'un plaisir. C'est à la limite de la toxicomanie. J’ai su m'en décrocher rapidement, mais ça n’a vraiment rien de glorieux."

" Le maillot plus symbolique, c’est celui que j’ai obtenu trois ans après avoir arrêté de me doper "

En 1998, Jérôme a arrêté de se doper et a continué la compétition. Il confie être fier des titres qu’il a alors remportés : "Pour moi, le maillot le plus symbolique, c’est celui que j'ai obtenu en 2001 au championnat de France de VTT, trois ans après avoir arrêté de me doper. Pour moi, il est bien plus important que tous les autres. Ce maillot a une aura nationale, pas mondiale. C'est déjà une belle ligne en palmarès. 

Il me satisfait complètement, mais quand on est jeune et qu'on a les dents qui rayent le parquet, champion France, ça ne suffit pas. Mon maillot de champion du monde de VTT, le fameux arc-en-ciel, c'est le maillot de la discorde. Il n’y a plus du tout de fierté. Il m’a simplement permis de me faire connaître. C'est la seule chose positive pour moi. C'est presque le maillot de la déchéance."

" Tout le monde est au courant, même les hauts dirigeants "

Simone, la mère de Jérôme, livre son regard sur ses révélations : "Quand Jérôme a fait ses aveux, j’ai eu une drôle réaction. J’ai eu peur. Je me disais qu’il allait se faire lyncher. Ensuite, je trouvais qu’il avait bien fait et j'espérais que beaucoup d'autres suivraient. Ça n'a pas été le cas. Je ne comprends pas cette hypocrisie. Tout le monde est au courant, même les hauts dirigeants. À chaque fois que quelque chose se passe, ils ont l'air de tomber des nues. Je regarde le Tour de France, pour les paysages, mais je reconnais que j’ai un peu moins la passion du vélo qu’avant en sachant tout ce qu'il y a derrière."

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Antoine Vayer, ancien entraîneur de Jérôme, affirme que la loi du silence régnait à l'époque au sujet du dopage : "Je me rappelle que le manager de l'équipe disait : ‘Le dopage, il ne faut pas en parler’. C'était la pierre angulaire des performances au niveau du cyclisme. Tout le monde l'utilisait, mais on n'en parlait pas et ça restait comme ça. C'était très bien organisé. Personne n'a poussé Jérôme à faire ses aveux. Il les a faits de lui-même par prise de conscience. 

Je me rappelle que sur un cyclocross, j’avais surpris des conversations de gens du milieu, qui sont dirigeants de certaines équipes professionnelles, qui disaient : ‘On va lui casser la gueule’. C'est inacceptable. Les pseudos amoureux du vélo considèrent que parler du dopage, c'est tuer le vélo, alors que ce qui tue le vélo, c'est le dopage. Maintenant, la tendance s’inverse un peu, mais il y a toujours des gens du milieu qui le pensent. 

L’omerta continue dans la mesure où ce sont très souvent d'anciens dopés qui sont commentateurs sportifs ou qui sont intégrés dans ce fonctionnement. Même à l'heure actuelle, ils ne veulent pas qu'on parle de dopage. Je suis sûr qu’ils ne voudraient pas que ce soit dit, parce que c’est ce sur quoi ont reposé leur ascension sociale et leur fortune. Tous ces gens ont bâti leur vie sur le mensonge et refusent que la vérité soit dite. Le dopage, contrairement à la drogue, permet de s'enrichir et d'avoir une ascension sociale formidable."

" Je ne regrette pas de m’être dopé "

Selon Jérôme, la situation a changé : "Aujourd’hui, la situation a changé dans le sens où, au lieu d'avoir 99% du peloton qui se dope, on a dû tomber à 15 ou 20%. C’est une évolution. En revanche, l'omerta reste exactement la même pour ces 15%. Personne n'est capable de mettre le doigt là où ça fait mal, malgré mes révélations." Il confie ne pas éprouver de regrets : "Je ne regrette pas de m’être dopé, parce que c'était un schéma obligatoire. Je n'aurais pas été ce que j'ai été si je ne m'étais pas dopé. 

Je n'aurais jamais eu ce combat, puisque je ne serais peut-être jamais passé professionnel. J'aurais fait deux ans de carrière, puis on m'aurait oublié par manque de résultats. Ce parcours m'a servi à gagner de l'argent, je ne peux pas le nier. Pour moi, c'était même la motivation première. Je regrette encore moins les aveux, parce qu’ils m'ont permis de me sortir de ce mauvais engrenage. Les aveux ont été un premier nettoyage et le livre a été une excellente thérapie. Ça m'a permis de tout expulser. Ça m'a fait bien terrible."