Isabelle a accepté sa bipolarité : "Le plus dur, c'est d’admettre la maladie"

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Léa Beaudufe-Hamelin , modifié à
Diagnostiquée bipolaire, Isabelle a vécu dans le déni de sa maladie pendant vingt ans. Aujourd’hui, elle a accepté sa maladie et a trouvé une stabilité et un refuge dans l’écriture. Sur "La Libre antenne" d’Europe 1, Isabelle témoigne de sa difficile acceptation de sa bipolarité et de son traitement.
TÉMOIGNAGE

Cela fait trente ans qu’Isabelle a été diagnostiquée bipolaire. Mais elle est restée dans le déni de sa maladie pendant vingt ans. Ce déni l’a enfermée dans un cercle vicieux, la conduisant à arrêter ses traitements. Aujourd’hui, Isabelle dit qu’elle va mieux depuis qu’elle a accepté sa maladie et a trouvé un refuge dans l’écriture. Au micro d’Olivier Delacroix, sur "La Libre antenne" d’Europe 1, Isabelle martèle que la solution à la bipolarité réside dans l’acceptation de la maladie et du traitement. 

"Je suis bipolaire depuis 30 ans maintenant. J’ai été diagnostiquée quand j’avais 29 ans, mais j'ai vécu dans le déni de ma maladie pendant 20 ans. Quand on m’a déclarée bipolaire, je ne voulais pas le croire. J’étais très mélancolique à l'adolescence, mais il y a surtout eu une cassure. J'ai vécu en couple à l'âge de 25 ans. J'ai vécu l'enfer et des insomnies ont commencé à se révéler. Je travaillais dans la publicité, ce qui provoquait beaucoup de stress. J’étais complètement déstabilisée dans ma situation professionnelle et familiale. 

J'ai fait ma première crise sur mon lieu de travail. Je me suis prise pour une directrice artistique, alors que c'était dans mon imagination. J'étais en phase euphorique. Pendant la phase euphorique, on a énormément de plaisir, on dort très peu, on a l'esprit vif, on est très créatif et on voit la vie en rose. On se sent invincible. Après la phase euphorique, il y a la phase de dépression. On a des envies suicidaires, on est extrêmement triste, on aime plus la vie. Comme on a eu beaucoup de plaisir pendant la phase euphorique, c'est d'autant plus douloureux. 

" J'ai sombré dans la folie "

C'est un cercle vicieux : on prend un traitement pour stabiliser l’humeur, on se sent bien, on arrête les traitements et on replonge. C’est sans fin. Mes parents ont eu un comportement exceptionnel à mon égard. Quand j’étais en arrêt maladie, ils m'ont toujours recueillie chez eux. Ils me disaient que ma vie n'était pas fichue. À un moment donné, ma mère me donnait à manger à la petite cuillère. Il y a aussi la honte, parce qu’au moment de la déprime, on se rend compte qu'on a eu des excès à l'égard d'autrui. 

À 40 ans, j'ai dû quitter Paris. Je me suis retrouvée en province, sans travail et sans amis. Je me suis retrouvée au RMI. Ça a été la chute. J’ai cessé de prendre mes médicaments et j'ai sombré dans la folie. Je criais toute seule dans l’appartement, j'avais des crises de paranoïa et des hallucinations. J’étais suivie par une assistante sociale qui m’a proposé d’obtenir une allocation adultes handicapés, à condition que j'aille voir un psychiatre. Ça a été le déclencheur. Comme j'avais très peur du RSA, j'ai accepté. 

" Quand on retourne à la réalité, la vie est fade "

J'ai été prise en main par un excellent psychiatre. J'ai fait un séjour en hôpital psychiatrique et j'ai eu un traitement. Il m'a fallu attendre cinq ans pour ne plus avoir d’effets secondaires. Je n'étais plus dans le déni. J’acceptais ma bipolarité comme si j'avais un cancer et qu'il fallait que je prenne un traitement pour soigner la maladie. Ça a été le moment le plus dur de ma vie, parce que je n’avais plus de phases euphoriques. La vie devient sombre. J'avais gâché ma carrière professionnelle. J’avais entre 40 et 45 ans : c'est le moment où on fait le bilan et le bilan était triste. 

À partir de 50 ans, j'ai commencé à aller de mieux en mieux. Ça fait neuf ans que tout va bien. Il faut prendre le traitement, c'est la clé du problème. Il y a du plaisir dans le fait de sombrer dans la folie. C'est une aventure psychologique trépidante. Quand on retourne à la réalité, la vie est fade. C'est ce qui rend difficile l’acceptation de la maladie. Aujourd'hui, je suis très fière d’être en mesure de m'occuper de mon père de 86 ans, maintenant que j'ai retrouvé un équilibre grâce à ce traitement. Je prends six médicaments par jour.

C'est l'écriture qui m'a permis de tourner la page et de fermer le livre. Le graphisme me permet d'aller de l'avant, comme si je reprenais mon métier. J'ai écrit une nouvelle, Le journal d'une femme bipolaire. Au moment de l'écriture, c'était beaucoup de souffrances, mais ça m'a permis d'évacuer toutes ces histoires et de boucler l’histoire. C’est comme si j'avais fait un long voyage et que j’en étais revenue préférant de loin la réalité à la démence. 

Le plus dur, c'est d’admettre la maladie, accepter le traitement et ne jamais cesser de le prendre. On peut garder un lien social si on continue de prendre son traitement. C'est long. Il faut être patient et ne pas se décourager. Après, la vie reprend son cours. Ce qui m'a aidée aussi, c'est le fait d'avoir quitté Paris. La vie en province était beaucoup plus calme. Ça m'a aussi permis de tourner la page. Je ne sais pas si j'aurais réussi à trouver cet apaisement en restant à Paris. Il faut garder espoir."