Il conduisait le tracteur qui a causé la mort de son beau-fils : "Je suis responsable"

  • Copié
Léa Beaudufe-Hamelin , modifié à
Il y a six ans, Titouan est mort accidentellement en tombant du tracteur de jardin que Stéphane, son beau-père, conduisait. C’est Nathalie, sa mère, qui avait demandé à son compagnon de prendre Titouan avec lui. Dans le podcast "Dans les Yeux d'Olivier", Nathalie et Stéphane confient à Olivier Delacroix se sentir tous deux responsables l’accident.
TÉMOIGNAGE

Nathalie et Stéphane forment une famille recomposée. D'un précédent mariage, Nathalie a eu trois garçons. Titouan était le benjamin. Un après-midi d’été, Stéphane débroussaillait le jardin à l’aide d’un gyrobroyeur tiré par un tracteur. Nathalie, alors enceinte, lui a demandé de prendre Titouan avec lui. L’enfant est tombé du tracteur de jardin et est décédé. Six ans après l’accident, Nathalie et Stéphane se confient à Olivier Delacroix dans le podcast "Dans les Yeux d'Olivier" produit par Europe 1 Studio. Ils racontent leur sentiment de culpabilité et leur lente reconstruction après la naissance de leur fille, Marine. 

Nathalie revient sur l’après-midi de l’accident : "Les trois enfants jouaient dans le jardin pendant que Stéphane s'apprêtait à passer la tondeuse. Comme Titouan n’arrêtait pas de courir derrière le tracteur, j'ai demandé à Stéphane de le prendre avec lui, comme il l'avait déjà fait plein de fois. Moi, j'étais dans la maison. Comme j'étais enceinte, j'étais censée rester allongée le plus possible." Stéphane poursuit : "J'ai d'abord fait un premier tour avec Titouan sur l'aile. C’est fait pour ça. C'est une aile entourée d’une rambarde. Ça fait partie de l'installation du tracteur pour qu’un passager puisse s’installer.

Vous voulez écouter les épisodes de "Dans les yeux d'Olivier"

>> Retrouvez-les sur notre site Europe1.fr et sur Apple PodcastsSpotifyGoogle podcastsDeezerAmazon Music ou vos plateformes habituelles d’écoute.

>> Retrouvez ici le mode d'emploi pour écouter tous les podcasts d'Europe 1

Tout se passait bien. Comme ses frères étaient à côté, j'ai demandé à l'aîné de prendre place à côté de Titouan pour encore plus assurer sa sécurité. Avant un passage plus étroit, entre la balançoire et un arbre, j'ai ralenti. Je me suis même arrêté pour y aller tranquillement et vérifier que les enfants étaient bien à leur position. J’ai redémarré. C'est un mètre ou deux après que j'ai senti une énorme vibration. Je me suis immédiatement arrêté. Quand je me suis retourné, il n'y avait plus qu’un enfant. J'ai tout de suite imaginé le pire qui s’est révélé vrai : Titouan était sous le gyrobroyeur."

" Il a fallu que je remonte sur le tracteur, entouré par les gendarmes, pour refaire la scène "

Titouan est décédé peu après son arrivée à l’hôpital. Parallèlement, une enquête de police a été déclenchée, explique Stéphane : "Le procureur a tout de suite diligenté une section de la police criminelle pour mener l'enquête sur les lieux avant qu'on ne puisse toucher à la scène. Le temps qu'on revienne, la police était sur les lieux en train de prendre les premiers repères. On vient d’affronter une épreuve déjà difficilement surmontable. On est obligé de retracer la scène immédiatement après. Il a même fallu que je remonte sur le tracteur, entouré par les gendarmes, pour refaire la scène et expliquer en détails ce que j’avais vu."

Nathalie explique ce qui s’est passé ce jour-là : "On a une explication. En passant entre la balançoire et un sapin, Titouan et son frère se sont penchés en avant pour éviter une branche. Au moment de se relever, Titouan aurait été déséquilibré, on ne sait pas trop comment. C'est là qu’il aurait glissé du siège. Son frère, qui avait à peine 10 ans à l'époque, a essayé de le retenir, mais il ne faisait pas le poids physiquement. Ça a été très vite. Il est tombé du tracteur et tout de suite après, il est passé sous le gyrobroyeur."

" Je n'ai pas su protéger mon enfant "

Stéphane évoque son sentiment de culpabilité : "Il s'est imposé tout de suite. Je n'ai pas imaginé que ça puisse arriver, ni fait en sorte de prendre les mesures pour l'éviter. Dans un premier temps, il y a l'émotion. Le sentiment de culpabilité revient. Pour moi, il est toujours resté linéaire et je pense qu’il restera linéaire jusqu'à la fin de mes jours. Il n'est pas monté en haut d’une courbe, puis redescendu progressivement. Je me sens coupable et ce sera toujours au même niveau. J’ai vécu les choses et ça ne varie pas."

Nathalie confie aussi se sentir responsable : "On nous a dit : ‘Pourquoi vous avez fait ça ? C'était dangereux.’ Mon père m'a dit qu’on avait fait une bêtise. J’ai envie de lui dire qu’il a fait la même bêtise que moi puisqu’il me laissait aller sur le tracteur de mon grand-père quand j'étais petite. Sauf que moi, je suis encore là. J’estime avoir fait une bêtise. Je m'en veux. J’ai une très grosse part de responsabilité. C'est moi qui ai dit à Stéphane de le mettre sur le tracteur. 

J’ai une part d'inconscience. Je n'ai pas su voir le danger. Je n'ai pas su protéger mon enfant." Stéphane se dit, lui aussi, responsable de l’accident : "Bien sûr que je me considère comme responsable puisque l'accident a eu lieu avec le véhicule que je conduisais. Je ne peux pas dire que je ne suis pas responsable. Pour moi, c'est impossible. Titouan était sous ma responsabilité au moment de l'accident. Donc, je suis forcément responsable."

" Je suis le gars dont le fils a eu un accident mortel "

Stéphane évoque le regard des autres après l’accident : "J'avais l'impression, et j'ai toujours l'impression parfois, de ne pas être regardé tel que je suis. Je suis le gars dont le fils a eu un accident mortel. J'avais du mal à les regarder en face, parce que l’image qu’ils me renvoyaient était celle de quelqu’un coupable de ne pas avoir pas su éviter un accident. Je me posais en tant que coupable et j’ai eu beaucoup de mal à me débarrasser de ce sentiment. C'était aussi vrai dans le monde professionnel. Je savais très bien que tout le monde savait ce qui m'était arrivé."

Un an après le décès de Titouan, son père biologique a porté plainte contre Stéphane pour homicide involontaire : "J'ai eu beaucoup de mal à comprendre l'intérêt de la procédure parce que, selon moi, il ne pouvait pas y avoir de gagnant. Je n'étais pas bien et ça s'est ressenti. Vivre une dépression à la maison, ça voulait dire que Nathalie était obligée de tout gérer et avait donc moins de temps à consacrer aux enfants. Le procès nécessitait aussi une injection financière qui empiétait sur le budget de la famille et qui pénalisait les enfants. Ça avait beaucoup d'incidence. 

"De l'accident jusqu'à l'annonce du procès, un an et demi s’est passé. J'avais réussi à tout surmonter. Depuis la naissance de Marine, ça allait mieux à la maison. Le procès, ça a été la double peine. Ça voulait dire revivre tout ce qu'on avait vécu en relatant les faits devant un tribunal et être mis en position de coupable. Le verdict : 500 euros d'amende avec sursis. Il y a quand même le terme ‘coupable d'homicide involontaire’ dans le jugement. Ça n'a fait que renforcer mon sentiment de culpabilité. J’avais un écho judiciaire qui mettait des mots sur les actes. Ça ne m'a pas fait du bien."

" Il n'y a pas un jour et pas une nuit où je n'y pense pas "

Nathalie livre ses sentiments à l’égard de son mari : "Je suis fière de lui, parce que ce n'est pas évident ce qu’il doit supporter. On n’en parle pas ensemble, parce que je ne veux pas le blesser en étant maladroite. Je ne sais pas comment il le ressent. Selon moi, j'ai gâché sa vie. Quand on s'est rencontrés, c'était idyllique. J’avais mes enfants et on allait en avoir un. En lui demandant de mettre Titouan sur le tracteur, je lui ai donné sa responsabilité. Jusqu'à les fins de ses jours, il va falloir qu'il vive avec ce sentiment de culpabilité. Si je n'avais pas demandé à ce qu’il prenne Titouan sur le tracteur, il serait encore là. 

Il n'y a pas un jour et pas une nuit où je n'y pense pas. Avant l’accident, j’avais un brin de folie. Je prenais la vie du bon côté en me disant que ce n'était pas grave. Maintenant, je suis devenue très dure sur certaines choses. Je m’inquiète pour un rien. Comme le disent mes grands enfants en âge de le dire, je suis devenue ‘une mère chiante’. Je suis tout le temps sur leur dos. Ce qui m'est arrivé une fois, je ne peux pas concevoir que ça arrive à nouveau. Alors, je les surprotège. J'ai du mal à lâcher prise. Ils deviennent des adolescents, je suis obligée de leur laisser une certaine liberté, mais c'est très dur."

" Lorsque ma fille est née, j'ai peu à peu repris part à la vie réelle "

Nathalie était enceinte au moment de l’accident. Elle explique comment la naissance de sa fille l’a aidée : "Quelques jours après l'accident, j'ai demandé à faire une échographie pour m'assurer que tout allait bien. J'ai demandé à connaître le sexe de l’enfant. On m'a dit que c'était une fille. Si ça avait été un garçon, je ne l'aurais évidemment pas appelé Titouan, mais j’aurais peut-être choisi un prénom avec les mêmes consonances. J'aurais beaucoup été dans la comparaison. Quand on m'a dit que c'était une fille, je me suis dit que ça allait être plus facile à gérer. 

Lorsque ma fille est née, j'ai peu à peu repris part à la vie réelle. De toute façon, je n'avais pas le choix. Il fallait que je continue à m'occuper des plus grands, les emmener à l'école, faire les cours… De toute façon, j'avais deux options. Soit je m'allongeais, je ne mangeais pas, je pleurais, je me laissais couler et je faisais subir à mes parents, mes enfants et mon mari ce que j'étais en train de subir. Soit je rebondissais pour eux. Ce n’est pas que je n'ai pas eu le choix, on a toujours le choix, mais je ne me voyais pas leur faire subir ça."

" On n'oublie pas Titouan, on ne l’oubliera jamais "

Stéphane revient sur la reconstruction de son couple après l’accident : "J’avais envisagé que Nathalie puisse vouloir se séparer de moi, mais elle n'était pas du tout dans cette optique. C’est pour ça qu’on a continué et qu’on s'est mariés après la naissance de notre fille. Marine, c'était aussi la concrétisation de l'amour entre Nathalie et moi. C’était l'enfant qu'on avait en commun. On était toujours dans la phase de reconstruction et de la vision de l'avenir."

Six ans après l’accident, Nathalie confie que son sentiment de culpabilité a évolué : "La culpabilité s'est transformée. Elle est toujours là, mais j'ai appris à l'apprivoiser. Certains jours, je me dis d’arrêter de me prendre la tête avec ça et ça m’aide à avancer. J'essaie de me dire qu’il faut que je ne garde que les bons moments avec Titouan. J’ai besoin de parler de lui. Ça me fait du bien. D'une certaine façon, on continue à le faire vivre."

Stéphane partage son sentiment : "Après les premiers moments, la culpabilité est à son summum. Plus le temps passe, plus on arrive à se raisonner et on arrive à vivre avec ce sentiment de culpabilité. On ne peut pas dire qu'il décroît, on le gère différemment. On apprend à gérer ses émotions et à vivre avec. On n'oublie pas Titouan, on ne l’oubliera jamais. On le considère comme notre petit ange gardien qui veille maintenant sur notre famille pour que tout se passe bien."