Famille d’expatriés français en Libye, ils ont fui le pays : "C’est un déracinement"

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Léa Beaudufe-Hamelin
Quand le Printemps arabe a éclaté en Libye en 2011, Françoise, Jean-Pierre et leurs enfants, expatriés français, ont dû quitter le pays en urgence. La famille a laissé derrière elle huit ans de vie. Ils racontent à Olivier Delacroix avoir éprouvé des difficultés d’adaptation à leur retour en France.
TÉMOIGNAGE

Françoise, Jean-Pierre et leurs enfants, Astrid et Léopold, étaient installés en Libye depuis 2003. Cette famille d’expatriés français a dû quitter le pays en urgence en 2011, alors que le Printemps arabe venait d’éclater. Ils ont été contraints de tout laisser derrière eux. À leur arrivée en France, la famille qui n’y vivait plus depuis huit ans, a éprouvé des difficultés à se réadapter. Ils racontent à Olivier Delacroix leurs derniers jours en Libye vécus dans la peur, leur départ précipité et leur difficile retour en France. 

Astrid, la benjamine de la famille, se souvient du matin où elle et sa famille ont quitté le pays : "On a fait nos valises, on s'est vite habillés et on a vite déjeuné. Il était environ 6 heures du matin. On devait partir pour l'aéroport, sauf qu'on entendait encore des coups de feu. Ma mère a dit à mon père qu'il ne fallait pas qu'on y aille parce que c'était trop dangereux. Mon père a appelé un de ses amis pour qu’il nous escorte jusqu’à l'aéroport. 

Il est arrivé avec un autre homme qui avait une kalachnikov dans le dos. Il est entré dans la maison. J'ai eu peur, parce qu’en plus, c'est moi qui ai ouvert la porte. On est partis pour l'aéroport et à chaque rue, on voyait des barrages. La personne avec la kalachnikov était obligée de sortir avec l'arme pour enlever les parpaings pour qu’on puisse passer. Toutes les maisons, les voitures de police et les ambulances étaient brûlées. Je ne savais pas que ça pouvait arriver en une nuit."

" On pensait sincèrement qu'on allait revenir à la maison "

Françoise, la mère de famille, explique avoir été contrainte de quitter le pays sans son mari : "On a eu quelques heures pour préparer les bagages. On avait passé deux nuits à entendre des tirs, des cris de foule et les sirènes des ambulances. On n’était pas rassurés. Mon mari m’a dit : ‘Le groupe a décidé que les enfants et toi deviez rentrer.’ Je ne voulais pas prendre un avion avec les enfants et laisser mon mari dans cette situation. J’ai répondu : ‘Non, ça va se calmer. Je ne pars pas. Je reste avec toi.’ Il m’a dit : ‘On n'a pas le choix, tu prends l'avion.’ 

On pensait sincèrement qu'on allait revenir à la maison, sinon on ne serait pas partis comme ça, en laissant tout sur place. J'aurais chargé ma voiture et serais partie par la Tunisie. On y a pensé, mais en Tunisie, ce n'était pas stable non plus, les événements se calmaient à peine. Quand on quitte un pays et qu’on laisse son mari sur place, on n'est pas tranquille et on dort très mal."

" On laisse tout derrière soi "

En Libye, Jean-Pierre gérait une quinzaine d'usines de dessalement d'eau pour le compte d'un grand groupe français. Il évoque ses conditions vie privilégiées d’expatrié, auxquelles il a difficilement renoncé : "On avait une maison de plain-pied. C'est ce qui se faisait ces dernières années. On avait à peu près 240 mètres carrés. Il y avait une petite piscine. C’était nouveau à Tripoli, ça commençait à entrer dans les mœurs. En 2003, ça n'existait pas. On est arrivés en France dans un appartement de 80 mètres carrés avec une seule chambre. Nous dormons tous les quatre dans la même chambre."

Françoise raconte leur difficulté à abandonner leurs affaires : "C'est un déracinement. C'est aussi quitter sa maison et toutes ses affaires. On n'a pas pu ramener le chat de Léo. Charly, notre chien, est un rescapé. Astrid a dit : ‘Je ne pars pas sans Charly’. Il a réussi à prendre l'avion avec nous. On part et on ne l'a pas choisi. Ce n'est pas un départ naturel. C'est contraint et forcé. On laisse tout derrière soi. Tout." Jean-Pierre poursuit : "On laisse tout, c’est-à-dire qu’on laisse un mode de vie que nous avions choisi. On laisse toute son histoire, parce que pendant huit ans, on accumule des choses." 

" On peut comparer ça à une maison qui brûle "

Son épouse acquiesce : "On a laissé les photos, les cassettes des enfants quand ils étaient petits, tous nos souvenirs amassés en huit ans, toute ma maison, mes oreillers, mon lit, les jeux des enfants, leur bibliothèque, la voiture, une maison entière, toute une vie. On peut comparer ça à une maison qui brûle, sauf qu’après la maison qui brûle, il reste le terrain. Il y a encore les ruines et on peut éventuellement reconstruire dessus. Là, on laisse tout derrière soi et il n'y a plus rien."

La famille ne vivait plus en France depuis huit ans. À leur retour, ils ont dû se réadapter, explique Jean-Pierre : "Ce qui est dur à admettre, c'est que nous nous sommes déconnectés de notre réalité. Nous sommes Français, la France est notre pays, mais on avait changé de vie. En revenant en France, on était complètement déconnectés. Ça prend du temps de se rendre compte qu'il faut faire des démarches administratives, qu'il faut se réinscrire à droite, à gauche. Ce sont des choses auxquelles on ne pense pas forcément et qui nous passaient au-dessus."

 

 

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Léopold, l’aîné, a 14 ans. Arrivé en Libye à l’âge de six ans, il confie éprouver des difficultés depuis son retour en France : "J’appelais la Libye mon pays parce que j'ai grandi là-bas. J'y suis arrivé quand j'avais six ans. Je n'ai connu que la Libye. J’ai laissé toute mon enfance, tout, que ce soit matériel ou sentimental. Je me dis qu’ici, c'est ma nouvelle maison maintenant. Je fais avec. J'essaie de m'adapter. Ce n'est pas forcément évident. La vie là-bas était super. Je ne me sens pas du tout chez moi. 

Il y a des fois où ça me revient. J’ai des trous en cours. J’ai le regard vide et je pense. Les professeurs ne comprennent pas tous. Ils me crient dessus : ‘Pourquoi tu es avachi sur ta table ? Travaille !’ Je pense à tout ce que j'ai vécu. Passer deux nuits sous les balles, les cris et les explosions de voiture, ce n’est pas facile. On fait souvent des cauchemars.

J’ai des amis qui s'en sont sortis et qui ont réussi à passer la frontière. D’autres ont été tués. J'ai un ami qui allait acheter son pain, il est passé dans une rue où il y avait un sniper dans une mosquée. Il lui a d'abord tiré une balle dans le bras, puis une autre dans la tête. Il est mort. J'ai plein d'amis qui sont morts, pour rien, ils n’ont rien fait." 

" On ne passe pas autant d'années dans un pays sans éprouver de l’émotion pour tous ces gens "

Françoise déplore le manque de compassion auquel ils se sont heurtés en France : "On n'existe pas. Il est très difficile de communiquer avec tous ces gens, parce qu’ils ne se rendent pas compte de ce que l'on a vécu. Ils sont tous dans leur vie, leurs habitudes et leur routine. Ils nous disent : ‘Vous avez profité. Tu avais ta grande maison. Maintenant, tu vas rentrer dans le moule comme tout le monde.’ En Libye, entre Français, on se serre les coudes pour tout. C'est incontestable. Ici, chacun se débrouille."

La mère de famille garde des contacts en Libye : "Je discute avec une amie libyenne. C'est toujours beaucoup d'émotions. C’est terrible. C'est une très jeune Libyenne qui a fui son pays avec ses parents et qui a hâte de rentrer chez elle. Ils ont tellement été brimés, oppressés et empêchés de s'exprimer. On ne passe pas autant d'années dans un pays avec des gens aussi merveilleux que sont les Libyens sans éprouver de l’émotion, des sentiments et de l'amitié pour tous ces gens."