"Enfants de la Creuse" : Jean-Charles a été déporté de La Réunion dans les années 1960

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Léa Beaudufe-Hamelin
Jean-Charles est un "Enfant de La Creuse". Placé dans un orphelinat à La Réunion quand il était enfant, Jean-Charles a été déporté en métropole pour repeupler des départements vidés par l’exode rural. Il raconte à Olivier Delacroix son déracinement et ses difficultés à renouer ensuite avec sa famille.
TÉMOIGNAGE

Dans les années 1960, plusieurs départements français comme la Creuse, le Lot ou le Cantal étaient dépeuplés du fait de l’exode rural. Michel Debré, alors député de La Réunion qui connaissait un boom démographique, a proposé au général de Gaulle d’envoyer en métropole des enfants réunionnais placés à la DDASS. Entre 1963 et 1982, plus de 1.600 enfants âgés de 2 à 12 ans ont dû quitter leur île natale, parfois sans l’accord de leurs parents. On les appelle les "Enfants de la Creuse" et Jean-Charles est l’un d’eux. Il raconte à Olivier Delacroix les conséquences de sa déportation en métropole sur sa vie.

Après son divorce, le père de Jean-Charles a obtenu sa garde. Malgré sa bonne situation professionnelle, il l’a abandonné. Jean-Charles a alors été placé dans un orphelinat : "Le tribunal avait donné à mon père la garde de ma sœur et moi. Il nous a séparés, mais on ne sait toujours pas pourquoi. Ma famille ne veut pas en parler. Peut-être que c'est une honte. Peut-être qu'ils avaient les mains liées. Peut-être que c’était aussi difficile à entreprendre parce que la DDASS était une grosse institution dans les années 1960."

Jean-Charles ignore tout des circonstances de son départ en métropole : "Je ne sais pas si mes parents ont été consultés pour ce départ. Je ne sais même pas si quelqu’un a signé un papier. Je ne sais pas comment ça s'est décidé. Il y a un flou complet." Jean-Charles se souvient, en revanche, de son état d’esprit quand il a su qu’il allait partir : "On se disait : ‘Super, on va aller en France ! On va découvrir autre chose et on reviendra, comme on nous l’avait dit’. 

" Il y en a qui ne sont jamais retournés à La Réunion "

On nous avait dit qu’on apprendrait un métier, qu’on serait instruits et qu’après on reviendrait voir notre famille le plus souvent possible. Il y en a qui ne sont jamais retournés à La Réunion. Ils n'ont jamais revu leurs parents, ils ne connaissent même pas leur famille. On n'avait pas de courrier, pas de contact, rien du tout. On était vraiment coupés d’eux. Je me demande s’ils savaient qu'on était en France."

Il évoque son long périple qui l’a conduit à Quézac dans le Massif central : "On était tous groupés les uns contre les autres. On a pleuré parce qu'on a quitté notre île. On était petits. On ne voyait personne autour de nous. Ça nous a marqués. On est arrivés à Paris et on a pris le train pour aller à Albi. Il faisait froid, on était en short. On a quitté La Réunion en tenue d’été. On tient le coup avec tout ce qui est autour. Il y a les copains. On essaie de se distraire pour ne pas se dire qu’on n'a pas de famille. On essaye d'oublier tout ça."

" Je le vois comme une déportation "

Il y a cinq ans, Jean-Charles a retrouvé Jean-Max, lui aussi envoyé en métropole à l’âge de 12 ans, alors qu’il n’était pas orphelin. Il n’est jamais retourné à La Réunion et n’a plus le moindre contact avec sa famille. Il livre son point de vue : "Je le vois comme une déportation. Je ne peux pas le dire autrement. On nous a enlevés de La Réunion pour nous envoyer en métropole. On n'est pas venus de notre plein gré. On nous a désignés sans nous donner d'explications. C'était soi-disant pour peupler, pour étudier et revenir à La Réunion avec un bagage. Ça ne s'est pas passé comme ça. 

On nous a laissés à l'orphelinat pendant deux ans, puis on nous a mis au boulot. J’ai dû retourner à Figeac. Il n’y avait que là que je pouvais trouver un copain pour m’héberger. Il n’avait pas d'argent non plus, alors il a fallu de temps en temps voler quelques poulets pour se nourrir. On n'avait rien à manger. Mes parents ne savaient pas que j’étais en métropole. Quand mon père l’a su, il a dû se saouler et il est mort chez lui. Je suis un homme à qui il manque beaucoup de choses. Je n’ai pas eu d’affection. J'aurais bien aimé revoir mon père. Je n’ai pas eu cette occasion."

 

 

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Lorsque la mère de Jean-Charles a appris qu’il était en métropole, elle a réuni l'argent nécessaire et s'est installée à Nice pour le retrouver : "Elle était femme de ménage. Elle a pris un taxi pour venir m’arracher de ça et m’emmener chez elle. Je suis resté chez elle pendant un mois, même pas. La DDASS est revenue me chercher pour me ramener à Quézac. La DDASS m'a arraché à ma mère. Je l’ai mal pris. La colère, on l'a eue. Avec du recul, on laisse la colère dans un coin, mais on ne l'oublie pas."

Jean-Charles a repris contact avec sa mère à 19 ans, mais il n’a pas pu tisser de liens affectifs avec elle : "On n'a jamais vécu ensemble. On s'aimait en tant que mère et fils, mais on n’était pas soudés. Pourtant, on s'aimait. On a voulu recoller tous les petits morceaux qui manquent à la vie. C'est dur de revenir en arrière pour combler ce vide de 19 ans. C'est impossible. Ça m'a beaucoup marqué. À Nice, on était entraînés avec d'autres copains. On cassait quelques voitures. On a voulu voir ce que ça donnait. On s'est même shooter. On aurait pu mal tourner."

" Je ne me sentais pas dans ma famille "

Incapable d’établir une relation affective avec sa mère, Jean-Charles a décidé de retourner à La Réunion pour retrouver sa famille paternelle : "La porte était grande ouverte, je pensais qu'ils m'attendaient. Quand je leur ai dit que j'étais Jean-Charles, leur petit fils, mon grand-père s’est levé d'un bond et a dit : ‘On n'a pas besoin d'un bâtard à la maison’. Ça m'a fait un choc. Je pensais que j'allais être accueilli à bras ouverts, comme un enfant prodigue qui a vécu des années tout seul. 

Je me suis retrouvé au pied du mur en étant traité de bâtard. J'avais 20 ans. Je n’ai pas compris sa réaction. Même maintenant, je ne comprends pas. Un oncle s’est levé en disant que je n’étais pas un bâtard. Je suis reparti en France parce que je ne me sentais pas dans ma famille. On le sent quand il y a un lien. J'ai tout abandonné. Ça m’a fait très mal au cœur. Je n’avais pas beaucoup de souvenirs. Le peu de souvenirs que j’ai sont dans cette maison et ils sont en train de dépérir."