Dysphasique, Jean-Philippe est devenu ingénieur : "On ne pouvait pas l’espérer"

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Léa Beaudufe-Hamelin
Jean-Philippe souffre de dysphasie, un trouble qui affecte le langage à l’écrit et à l’oral. Malgré son handicap, Jean-Philippe a mené sa scolarité jusqu’en master et est devenu ingénieur en aéronautique. Jean-Philippe et sa mère, Marie, racontent à Olivier Delacroix comment ils ont surmonté ce handicap.
TÉMOIGNAGE

Présentant des difficultés de langage à l’écrit et à l’oral, Jean-Philippe a été diagnostiqué dysphasique à cinq ans. Aujourd’hui âgé de 24 ans, il est devenu ingénieur en aéronautique. C’est grâce à la pugnacité de sa mère, Marie, qui a refusé qu’il soit placé dans un établissement spécialisé, que Jean-Philippe a suivi une scolarité normale jusqu’en master. Si Jean-Philippe a souffert du regard des autres à l’école, il ne cache plus son handicap au travail. Jean-Philippe et sa mère racontent son parcours à Olivier Delacroix, de son adolescence difficile vers la réussite et l’autonomie. 

La maladie de Jean-Philippe s’est déclarée très tôt, mais sa famille n’a d’abord rien remarqué, se souvient sa mère : "Un enfant dysphasique peut réussir et aller en master. Je le dis aux mamans : votre enfant a aussi droit à l'éducation autrement que par l'écrit. Jean-Philippe avait trois ans quand nous sommes arrivés à La Réunion. Il a commencé à parler avec ses petits camarades. On croyait qu'il parlait créole parce qu'il disait des mots très déformés. À la limite, on s'en amusait. À ce moment-là, on n’avait pas conscience qu’il était en difficulté. 

C'est au moment où il est entré en maternelle qu’il a eu de grosses difficultés. Lui-même nous faisait comprendre qu'il ne comprenait pas ce que les autres disaient. On le voit sur les petits films qu'on a fait à l'époque, Jean-Philippe est assis dans un coin et regarde les autres la bouche ouverte, l'air de se dire : ‘Comment ils font ?’. Il nous l'a avoué plus tard : ‘Je ne comprenais pas pourquoi les autres comprenaient et pas moi.’"

C’est à leur retour en métropole, quand Jean-Philippe avait 5 ans, que sa dysphasie a été diagnostiquée. François, son frère aîné, explique l’avoir aidé : "Je faisais l'interprète. J'ai le souvenir que Jean-Philippe essayait d'exprimer quelque chose à mes parents qui ne comprenaient et le faisaient répéter. J’expliquais ce qu’il voulait dire. C’étaient des onomatopées, mais je saisissais ce qu'il voulait dire. Je le faisais naturellement. Ça n'a jamais été une contrainte pour moi. Quand on regardait un film, je voulais qu’il en profite autant que moi. Ça ne me posait aucun problème de lire les sous-titres pendant le film."

" J’ai des souvenirs de moqueries sur mon handicap "

Jean-Philippe évoque ses difficultés à l’école : "Quand on entre dans le système scolaire, on nous demande d’atteindre un niveau et de savoir certaines choses à chaque fin d'année. Moi, au début, je n'y arrivais pas. Le train partait et je restais derrière. Je voyais vraiment que j'étais différent des autres et que mon handicap me pénalisait sur les notes et mon évolution scolaire future. J’ai des souvenirs de moqueries sur mon handicap, parce que je n’arrivais pas à exprimer un mot. Ça provoquait chez moi de la frustration. 

Souvent, quand on n'arrive pas à s'exprimer, il y a un élan de violence. On veut faire parler les mains, parce qu’on n’arrive pas à faire parler les mots. Il y a parfois eu des bagarres. Puis, on arrive à prendre du recul et relativiser les choses. Ce sont des moqueries d'enfant. Heureusement que ma mère était là parce qu'il y a des moments où ce n’est pas facile. Quand on rentre à la maison après avoir subi des moqueries et eu des mauvaises notes, heureusement qu'il y a quelqu'un qui comprend et qui ne dit pas : ‘Il fallait plus travailler’. J’ai beau travailler, je ne vais pas mieux réussir."

" Il fallait qu'il réussisse sa vie, qu'il sache écrire ou pas "

Marie explique avoir toujours refusé un potentiel échec de son fils : "Jean-Philippe réussirait d'une manière ou d'une autre, par le biais scolaire ou par sa vie à lui. Il fallait qu'il réussisse sa vie, qu'il sache écrire ou pas. Les professeurs ne savent pas qu'il y a des enfants qui n'ont pas la capacité du langage. C’est un handicap invisible, parce que quand on regarde Jean-Philippe, il n'y a aucune façon de voir qu'il a des difficultés. On donne une rampe d’accès à l’enfant en fauteuil roulant. Le dysphasique ou le dysorthographique, on ne lui donne pas de rampe d'accès. Il faudra qu'il se débrouille pour grimper tout seul. 

J’ai aidé Jean-Philippe. On relisait ensemble ses devoirs et tout ce qu'il avait fait dans la journée. Je calligraphiais tous ses cahiers puisqu’il avait des difficultés de dysgraphie. Jusqu’au bac de français en Première, je lui ai lu à voix haute tous ses livres, parce que Jean-Philippe n'a pas la capacité de lire un livre tout seul. Il fatigue très vite." Son fils acquiesce : "J'ai l'impression d'avoir fait mon parcours scolaire avec elle parce qu'elle a fait tous les devoirs avec moi. On a d'autres objectifs. Quand les autres visent 15 ou 16, nous, on vise 2 ou 3."

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Marie a tout mis en œuvre pour aider son fils pendant sa scolarité : "J'avais demandé à ce que les erreurs de Jean-Philippe ne soient pas corrigées et que ne soit mis en valeur que le positif. Par exemple, s’il avait 2/20 en dictée, c’est parce qu'il avait deux mots justes et non parce qu'il avait fait 30 fautes. Chaque année, sauf en primaire, on s'est interrogés sur l'orientation de Jean-Philippe. En cinquième, est-ce qu'on devait le diriger vers un CAP ? En troisième, est-ce qu'on devait le diriger vers un BEP ? Je disais à Jean-Philippe : ‘Quand tu seras au bout de tes possibilités, on arrêtera.’ À chaque fois, on sentait qu'on pouvait aller plus loin." 

Ainsi encouragé, Jean-Philippe a mené sa scolarité jusqu’en master 2 : "J’ai eu un tiers-temps au brevet, c'est-à-dire qu’on a un tiers du temps de l'épreuve en plus. J’ai fait un BTS, on a vu que ça pouvait passer. J’ai fait ensuite une licence, j’ai vu que ça pouvait passer." Sa mère s’en réjouit : "Il n’y a qu’en master 2, quand on a parlé d’un doctorat, qu’il a dit qu’il était au bout de ses possibilités. Il a rendu son mémoire et a dit : ‘Je crois que je ne peux pas aller plus loin’. Un master 2, c’est génial. On ne pouvait pas l’espérer."

" Sans les autres, je serais perdu "

Aujourd’hui, Jean-Philippe est autonome et vit avec son handicap : "Je ne cache pas mon handicap. Au travail, tout le monde sait que je suis handicapé. Quand j'écris un post-it avec trois fautes d'orthographe sur deux lignes, on ne me dit rien. J’ai des comptes rendus à faire. En étant reconnu travailleur handicapé, tout le monde sait que j’ai ce handicap. C’est un avantage. Donc, on évite de me donner des comptes rendus à rédiger du jour pour le lendemain. Il y a toujours une tierce personne qui relie mes documents avant qu'ils ne soient publiés sur le site. 

Sans les autres, je serais perdu. Si je n'avais pas eu la famille, les amis, les profs que j'ai eus, la femme que j'ai rencontrée et les collègues que j’ai actuellement, je ne m’en sortirais pas. Si j'étais tombé sur des parents qui m'auraient pris pour un enfant qu'on ne peut pas éduquer et qui m’auraient placé dans un établissement spécialisé, je n'aurais peut-être pas fini au niveau où je suis actuellement. Je pense que quand on a un combat à mener quand on est petit, ça forme un caractère. Maintenant, on prend la vie avec philosophie. On dit qu’on peut connaître pire. Quand on a la volonté et l'appui des proches, on s'en sort toujours." 

" J'ai la chance d'avoir un enfant handicapé "

Marie confie se sentir grandie grâce au handicap de son fils : "J'ai la chance d'avoir un enfant handicapé. C'est une chance parce qu’on grandit nous-mêmes différemment quand on a un enfant qui a un handicap. Je veux dire aux parents d'enfants dysphasiques ou qui ont d’autres difficultés d'apprentissage, qu’il y a de l'espoir pour ces enfants. On doit leur faire confiance. On doit les entourer. On doit les accompagner. Il faut y croire et on peut."