Port du masque : "Nous avons perdu l'agrément du visage des uns et des autres"

Selon le sociologue du corps David Le Breton, le masque bouleverse profondément notre rapport au corps.
Selon le sociologue du corps David Le Breton, le masque bouleverse profondément notre rapport au corps. © LIONEL BONAVENTURE / AFP
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Antoine Cuny-Le Callet
Le coronavirus a bouleversé nos relations sociales, nous imposant notamment les gestes barrière et le port du masque. Pour le sociologue David Le Breton, la conséquence première de cet état de fait est le changement de notre rapport au corps. Il était l'invité d'Europe 1, dimanche.
INTERVIEW

Depuis le début de l'épidémie de coronavirus, une large part de la population a pris l'habitude de porter un masque. S'il est désormais communément admis qu'il s'agit du bon réflexe à adopter, difficile de ne pas constater l'inconfort qu'il génère. Il devient difficile de parler mais aussi de reconnaître et de se faire reconnaître. David Le Breton, professeur de sociologie à l’université de Strasbourg et auteur de plusieurs essais sur le corps, les visages ou la peau, était l'invité d'Europe 1 dimanche : "Nous avons perdu l'agrément du visage des uns et des autres", a-t-il déclaré.

Le masque est devenu le symbole de cette épidémie. Il est à la fois l'unique bouclier contre le virus, mais aussi l'emblème de cet isolement forcé. Le masque va jusqu'à nous uniformiser et nous anonymiser selon David Le Breton : "Le visage, c'est le lieu fondateur de notre identité. C'est avec lui que nous sommes reconnus, nommés, perçus à travers un âge, un sexe..."

"La résonance de nos paroles sur le visage de l'autre"

Le fait de se couvrir le visage étant généralement prohibé dans les pays européens, le masque était jusqu'à présent très peu utilisé. Il empêche son porteur d'entretenir des rapports sociaux "normaux" et toutes les interactions se retrouvent entravées : "Quand on échange avec quelqu'un [...] on perd cette régulation de l'échange que nous donne la résonance de nos paroles sur le visage de l'autre."

David Le Breton décrit la barricade que chaque individu s'est trouvé forcé de construire autour de lui, à l'aide du masque mais aussi en proscrivant tout contact. "C'est difficile de croiser des gens qui nous sont chers sans leur tendre la main", affirme-t-il, comparant notre vie actuelle à celle d'une "bande de fantômes".

S'il concède la nécessité de disposer de cette nouvelle pièce dans nos garde-robes, le sociologue espère que nous retrouverons vite "nos usages" et "nos rites d’interactions", "dans quelques semaines, ou dans quelques mois au pire..."