Comment a été inventée la musique d’ascenseur ?

Ascenseur LUCAS BARIOULET / AFP
La musique d'ascenseur est très souvent décriée. © LUCAS BARIOULET / AFP
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David Castello-Lopes , modifié à
Dans l'émission "Historiquement vôtre" sur Europe 1 ce vendredi, le journaliste David Castello-Lopes revient sur l'origine de la musique d’ascenseur, cette musique d’ambiance si souvent méprisée au point de devenir aujourd’hui une injure.

>> Tous les jours dans Historiquement vôtre, David Castello-Lopes revient sur les origines d'un objet ou d'un concept. Ce vendredi, il se penche sur la fameuse musique d’ascenseur, au son aussi reconnaissable que mal-aimé.

Du jazz sans contours

"Imaginez que n’ayez jamais entendu l’expression musique d’ascenseur dans votre vie et que vous l’entendez pour la première fois. Vous allez vous dire bêtement : ‘La musique d’ascenseur c’est la musique qui passe dans les ascenseurs’ et puis voilà, c’est neutre. Mais en fait non, la musique d’ascenseur aujourd’hui est une insulte qui désigne un certain type de musique, qu’on a du mal à définir exactement mais qu’on reconnait tout de suite quand on l’entend.

La musique d’ascenseur c’est généralement du jazz, mais un jazz sans contours et avec une personnalité qui est toujours la même. C’est-à-dire que si la musique d’ascenseur était quelqu’un ce serait une personne aimable mais ennuyeuse, une personne qui est d’accord avec tout ce que vous dites tout le temps, même si vous dites des choses nazies.

Une musique méprisée mais difficile à faire

Ce qui est triste, c’est que c’est une musique méprisée mais aussi difficile à faire. Elle est remplie d’accords super compliqués, de solos de guitare savants. Et moi ça m’a toujours paru injuste que tant de professionnalisme musical donne lieu à autant de mépris de la part du public.

D’autant plus que je me suis toujours demandé au fond : est-ce qu’on méprise la musique d’ascenseur parce que fondamentalement c’est de la mauvaise musique ? Ou est-ce qu’on la méprise parce que notre jugement a été contaminé par les circonstances dans lesquelles on l’a toujours entendue ? C’est-à-dire dans des ascenseurs ou alors en attendant que le banquier réponde au téléphone. Si à chaque fois que je vous faisais écouter du Bach, je vous piquais les yeux avec une petite fourchette, vous finiriez par détester Bach y compris lorsque je ne vous pique pas les yeux.

Une musique qui doit son apparition à celle des gratte-ciel

Ce que je sais en revanche, c’est d’où vient la musique d’ascenseur. Et je vais vous poser la question d’ailleurs : qu’est-ce qui a été décisif à votre avis dans le développement de la musique d’ascenseur ? Et bien l’existence des ascenseurs bien sûr, et plus particulièrement l’apparition au début du 20ème siècle aux Etats-Unis des premiers gratte-ciels avec des ascenseurs dans lesquels on restait longtemps.

Et peut-être aussi dans lesquels on était un peu stressés, parce que c’était le début de ces immeubles vertigineux et qu’il n’est pas rassurant d’être dans une boîte qui monte à 300 mètres au-dessus du sol à 20 km/heure. Et qu’est-ce qu’il est agréable de faire lorsqu’on attend ou qu’on est stressé ? Écouter une musique qui nous fasse patienter sans trop se faire remarquer.

Une entreprise américaine qui a connu un grand succès

Au début des années 1930, une entreprise américaine spécialisée dans le son commence à proposer aux endroits publics de leur vendre de la musique d’ambiance. Cette entreprise s’appelle Muzak à cause de musique d’une part bien sûr, mais aussi parce que le fondateur de l’entreprise trouvait que Kodak c’était trop cool comme nom. Alors il a fait une fusion entre musique et Kodak… et ça a donné Muzak.

Et Muzak a immédiatement eu un succès de dingue, non seulement dans les ascenseurs mais aussi plus généralement dans les magasins, les banques etc… Au point que Muzak aujourd’hui aux Etats-Unis est devenu un nom commun qui désigne ce que nous appelons la musique d’ascenseur. C’est comme Mobilette ou Kleenex.

Le tournant des années 1940

Mais il y a un tournant important dans la musique d’ambiance : c’est dans les années 1940, quand Muzak a cessé de se cantonner aux ascenseurs et a commencé à vendre aux entreprises de la musique pour augmenter la productivité des employés, en se basant sur des études scientifiques douteuses pleines de graphiques psychologiques super précis mais pas très vrais. Mais ça a quand même marché.

Enormément d’entreprises dans le monde, surtout dans les années 1950 à 1970, ont acheté de la Muzak de productivité parce qu’elles étaient convaincues que ça leur faisait gagner de l’argent, parce que ça augmentait la productivité des employés et en particulier de ceux qui faisaient des tâches répétitives.

Depuis, Muzak a fait faillite parce qu’ils ont quand même raté un tournant. Et ce tournant, c’est celui qui a consisté tout simplement à passer des morceaux connus dans les ascenseurs, genre Katy Perry où les Beatles, à la place de cette espèce de jazz savant mais mou du genou."