Chez les Clain, le djihad, une histoire de famille

© HAIDAR MOHAMMED ALI / AFP
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Caroline Politi , modifié à
La sœur de Fabien Clain, le djihadiste ayant revendiqué au nom de l'Etat islamique les attentats du 13 Novembre, a été arrêtée mardi à son retour de Syrie. 

Elle n’a pas eu le temps de poser le pied sur le tarmac qu’un comité d’accueil l’attendait déjà. Probablement pas celui qu’elle aurait souhaité. Mardi, Anne Diana Clain, son mari, Mohammed Amri et leurs quatre enfants âgés de 9 à 16 ans, ont été interpellés à l’aéroport de Roissy. La famille, expulsée par les autorités turques, est soupçonnée d’être partie pour la Syrie en août 2015. La mère et son fils aîné sont actuellement entendus par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Son compagnon, visé par un mandat d'arrêt international depuis son départ, a été mis en examen mercredi pour association de malfaiteurs terroriste. Quant aux trois autres enfants, ils font actuellement l'objet d'une mesure de placement provisoire. 

L’affaire pourrait être tristement banale si le patronyme "Clain" n’apparaissait dans quasiment tous les grands dossiers terroristes de ces dernières années. A commencer par celui du 13 Novembre. Le frère d’Anne, Fabien, 37 ans, a revendiqué au nom de l’organisation terroriste Etat Islamique les attentats de Paris. Dans la vidéo, il se félicitait de "l’attaque bénie" menée par "un groupe de croyants des soldats du califat dans la capitale des abominations et de la perversion". La déclaration était accompagnée d’un Nasheed, un chant religieux, entonné a cappella par Jean-Michel, son frère de deux ans son cadet. Chez les Clain, le djihad semble être une affaire de famille.

Famille catholique. Originaire de La Réunion, le clan n’a pourtant pas toujours baigné dans l’islam radical. La mère, Marie Rosanne, a élevé seule ses quatre enfants, deux garçons et deux filles, après le départ de leur père dans leur prime jeunesse. Catholique pratiquante, elle enseigne le catéchisme, emmène la fratrie chaque dimanche à la messe. Les enfants passent leur enfance à Alençon, dans l’Orne, avant de déménager à la Réunion quelques années. La fratrie Clain y passe son adolescence. Les deux frères, Fabien et Jean-Michel, sont inséparables. Ensemble, ils s’adonnent notamment à leur passion commune, le rap.

En 1998, retour à Alençon. Fabien entame un BEP de métallurgie. Abandonne. Enchaîne des missions de plomberie en interim. Sa vie familiale est plus stable. A son retour dans l’Orne, il se met en couple puis se marie avec une ancienne camarade de classe, rencontrée en CE1, Mylène F. Elle aussi a été élevée dans une famille catholique. C’est ensemble, qu’ils se tournent vers l’islam. "A cette époque, nous avons lu la bible, et nous nous sommes rendus compte que cela ne correspondait pas à la pratique des chrétiens", a-t-elle expliqué aux policiers. Le couple aurait été initié à l’islam par Mohammed Arani, le mari d’Anne Clain. Ils se convertissent, rapidement imités par son frère Jean-Michel et sa femme, Dorothée M., également catholique. Leur mère sera poussée à suivre cette voie.

L’aîné des frères Clain se fait désormais appeler "Omar", son cadet "Abdelwahid". Du jour au lendemain, les deux frères abandonnent le rap – qu’ils considèrent comme une musique "impure" - et se mettent à écrire des Nasheed. Sur le site "Copains d’avant", où Fabien Clain est toujours présent, il invite à se rendre sur son MySpace découvrir sa page nommée "Rappeleur", où l’on peut entendre des chants religieux.

Le clan Belphégor. En 1998, Fabien et Jean-Michel déménagent à Toulouse, ville qu’ils estiment plus propice à la pratique de l’islam. "C’est plus facile de pratiquer notre religion dans une grande ville", confie l’aîné aux policiers qui l’interrogent.  La famille ne passe pourtant pas inaperçue, elle est surnommée dans le quartier du Mirail "le clan Belphégor", référence au voile intégrale que portent les deux femmes. Les Clain sont rapidement considérés par les services de renseignement comme des "piliers du mouvement salafiste de la région toulousaine", notamment en raison de leurs actions de prosélytisme. Ils achètent des livres, cassettes et autres objets édités par des islamistes belges et les revendent sur les marchés. Des deux, l’aîné est sans nul doute le plus actif. "Il pouvait être dangereux car c’était un manipulateur. Il parlait bien et était très persuasif", confie aux enquêteurs Alain C., qui l’a un temps fréquenté. Fabien Clain, l’a d’ailleurs reconnu à son procès, il "avait suffisamment de connaissances religieuses pour influencer une personne indécise".

 

" Il n’était pas assez courageux pour rejoindre les terres du djihad "

Au même moment, les deux frères se rapprochent de la "cellule d’Artigat", du nom d’un petit village de l’Ariège. Cette communauté salafiste est structurée autour d’un Français d’origine Syrienne, Olivier Corel, dit l’Emir Blanc. Dans sa ferme perdue au milieu de la campagne, il attire tout ce que la région compte de radicalisés. Sur place, les frères font la connaissance d’Abdelkader Merah ou de Sabri Essid. Les amitiés se transforment en liens familiaux : le père de Sabri Essid épousera religieusement successivement la mère des Clain et celle des frères Merah.  

Une lecture "défensive" du djihad. En 2004, après un bref passage par la Belgique, Fabien Clain et sa femme s’installent chez Olivier Corel. Sa sœur, Anne, vient régulièrement "se former" religieusement. Dès 2006, les premiers départs de jeunes "d’Artigat" vers l'Irak s'égrènent. Les frères Clain partent eux aussi, mais en Egypte et en famille. "Il n’était pas assez courageux pour rejoindre les terres du djihad", dira de Fabien Clain, Alain C. aux enquêteurs. "C’était plutôt du genre à organiser le départ des djihadistes." Sabri Essid est arrêté alors qu’il tente de rejoindre le front. En 2008, la cellule est dissoute. L’année suivante, Fabien Clain est condamné à cinq ans de prison.

Pendant son procès, il affirme avoir une lecture "défensive" du djihad. "Quand un pays se fait envahir par un autre ou même si le voisin musulman se faisait attaquer, il faut le défendre." Il nie en revanche soutenir les attentats-suicide. Sans vraiment parvenir à convaincre le tribunal. Sa détention n’entame en rien ses convictions. De sa cellule, il écrit une lettre à Mohammed Merah, également détenu, pour des délits de droits commun.

Départ en Syrie. A sa sortie de prison en 2012, il retourne s’installer avec sa femme et ses trois enfants à Alençon. Il est toujours sous contrôle judiciaire. Cela ne l’empêche pas de prendre la route pour la Syrie en famille, vraisemblablement en mars 2015. Selon France Inter, il aurait également entraîné sur la route sa mère. Gravement malade, elle serait décédée pendant le voyage. Le cadet, Jean-Michel, a déjà rejoint le pays de Châm avec sa femme et ses six enfants. Son grand ami et ancien disciple, Sabri Essid, est aussi sur place avec sa famille. En mars 2015, il apparaît dans une vidéo de propagande au côté de son beau-fils de 13 ans dans laquelle on voit l’adolescent exécuter un otage de l’EI. Anne Clain, en se rendant en Syrie, a-t-elle cherché à les rejoindre ?

Fabien Clain est aujourd’hui considéré comme l’un des "parrains" du djihad français. De la Syrie, il continue, semble-t-il, à tirer les ficelles du recrutement. Son nom est apparu dans l’attentat raté contre une église de Villejuif. L’enquête a établi que les deux Français avec lesquels communiquait Sid Ahmed Glam, le djihadiste présumé, avaient été endoctrinés par ses soins. Selon France Inter, qui a eu accès à un rapport des services de renseignement, les anciens "d’Artigat", vivent aujourd’hui tous ensemble dans le nord du pays et travaillent dans la branche « média et propagande » de l’Etat islamique.