Carl a travaillé dans un foyer de l’enfance : "J’ai vu des situations aberrantes"

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Léa Beaudufe-Hamelin , modifié à
Ayant travaillé dans un foyer de l’enfance, Carl dit avoir été bouleversé par plusieurs situations dont il a été témoin. Ce dernier partage son expérience sur "La Libre antenne" d’Europe 1 : il raconte quelques anecdotes qui l’ont marqué et s’insurge contre le système de placement des enfants en foyer. 
TÉMOIGNAGE

Carl a travaillé dans un foyer de l’enfance. Il dit avoir été témoin de plusieurs situations qui l’ont bouleversé et raconte notamment avoir vu de nombreux enfants faire leur valise et vouloir partir. Au micro d’Olivier Delacroix, sur "La Libre antenne" d’Europe 1, Carl fait part de quelques anecdotes et situations qui l’ont marqué et s’insurge contre le fonctionnement des foyers de placement pour enfants.

"Je suis très touché par les parents qui se battent pour la garde de leurs enfants. C’est très compliqué de s’en sortir une fois que les enfants sont placés dans le système de l’aide sociale à l’enfance (ASE). L’ASE a besoin de ces enfants pour se nourrir, c’est-à-dire pour pouvoir garder des emplois dans les zones départementales. Il y a des départements qui gèrent mieux et qui ont une meilleure compréhension de l’enfance en général. Ce ne sont pas toujours des enfants maltraités. Dans d’autres départements, ça ne fonctionne pas du tout. 

" Ces enfants étaient complètement paumés "

J’avais un ami qui était devenu directeur adjoint d’un centre départemental de l’enfance. Il m’a demandé de remettre de l’ordre dans la boutique. Ils accueillaient des nourrissons jusqu’aux jeunes adultes. J’ai vu un nombre d’enfants avec des valises qui ne demandaient qu’à partir et rentrer à la maison. Quand un enfant arrivait, on lui lisait le règlement intérieur et on lui demandait de le signer. Je voyais ces enfants qui étaient complètement paumés. 

Ça m’a perturbé. J’étais là pour remettre de l’ordre, mais quel ordre ? Il fallait que je me batte contre l’équipe pédagogique en leur disant : "Ces enfants n’y peuvent rien, accueillez-les et essayons de voir ensemble ce qu’on peut faire." C’était un foyer d’urgence, les enfants étaient placés là pour trois mois avant que le juge des enfants ne décide d’une orientation. C’était de la grande folie et les éducateurs jouaient le jeu. Ils ne voulaient pas s’embêter. C’était honteux. 

" On n’a rien résolu "

J’attaquais l’équipe éducative et la direction, parce que l’enfant est complètement oublié dans ce système. Le foyer mettait en place des référents pour les enfants. C’était toujours une histoire de dossiers, de chiffres. On n’accroche pas avec tout le monde, mais on persistait à leur imposer un référent. J’ai vu des situations aberrantes qui me faisaient mal et qui m’ont touché. Je ne comptais pas rester longtemps, mais je suis resté parce que je voyais une enfance maltraitée, non pas simplement par les parents mais aussi par ce système d’hébergement. 

Je n’ai pas connu un seul enfant qui n’était pas mal dans sa peau. On n’a rien résolu. C’est un système qui est complètement aberrant. Il n’y a pas de compréhension de l’enfance. Un jour, trois policiers sont allés chercher à l’école un enfant de six ans parce qu’il y a eu un signalement. Quel traumatisme pour le gamin ! L’enfant était en danger, mais on ne va pas chercher un enfant à l’école avec des policiers. On aurait pu attendre la fin de l’école. Ça me bouleverse.

" Il faut retisser le lien familial "

Un enfant qui est placé, c’est un enfant qui est d’abord en souffrance. J’ai rencontré des juges pour enfants qui étaient vraiment des imbéciles. Ces enfants souffraient. Il fallait retisser un lien entre les enfants et les parents, mais pas les placer. Avant il y avait des éducateurs qui étaient capables d’aider les parents dans leur rôle de parentalité. Ce qu’il faut faire, c’est retisser le lien familial et faire comprendre aux parents que cet enfant, c’est le leur. Ce n’est pas nous qui allons l’éduquer, tout part de la famille. 

Une fille est arrivée chez nous, elle avait des bleus partout. Son père la battait et il y a avait des suspicions d’inceste. Cette gamine n’a jamais voulu dire ce qu’il se passait avec son père. J’ai une colère en moi à cause de ce genre de situation. Elle m’a dit qu'elle n’avait pas envie de passer noël au foyer. J’ai fait un truc complètement dingue en dehors du règlement. Je lui ai dit : "Tu appelles ta mère, tu me donnes des nouvelles tous les jours et je te déclare en fugue". Elle a retrouvé une mère, mais j’étais en dehors de toute légalité.

J’ai 70 ans, je suis en retraite. Ça m’agace parce que ça n’avance pas. J’ai été voir comment cela se passait dans d’autres pays. J’ai découvert des choses aberrantes dans ces pays-là également, mais chez nous c’est un fonctionnement étatique. Si l’enfant ne veut pas entrer dans le système, il est exclu. À 18 ans, on leur dit : "Ça y est, tu es majeur, c’est fini, casse toi !" C’est ça qui est fou."