Tiers payant généralisé : pourquoi il ne sera pas obligatoire au 30 novembre

© LOIC VENANCE / AFP
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"Techniquement le tiers payant généralisé n'est pas faisable au 1er décembre", a affirmé dimanche la ministre de la Santé. Mais la raison n’est en réalité pas si technique que ça.

C’était l'une des mesures sociales emblématiques du quinquennat Hollande. Mais elle devra attendre encore avant sa mise en œuvre concrète. La généralisation du tiers payant à l'ensemble des patients ne pourra en effet pas être mise en œuvre le 30 novembre. "Techniquement le tiers payant généralisé n'est pas faisable au premier décembre", a affirmé dimanche la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, au "Grand Jury" RTL/Le Figaro/LCI, parlant d'un "problème d'informatique". Mais de quoi parle-t-elle exactement ?

Qu’est ce qui était prévu pour le 30 novembre ?

Le tiers payant généralisé doit dispenser d’avance de frais les patients qui se rendent chez un médecin. En vertu de la loi Santé de 2016 portée par Marisol Touraine, les femmes enceintes et les malades chroniques sont déjà dispensés depuis le 1er janvier 2017. Certains patients les plus modestes l'étaient également depuis 2015. Soit, au total, 11 millions de patients couverts à 100% par la Sécurité sociale. En clair, ils se rendent chez leur médecin et ne payent rien. C’est ensuite au médecin d’effectuer les démarches pour se faire rembourser par la sécurité sociale et les complémentaires Santé.

Toujours en vertu de la loi Santé, ce dispositif devait être étendu à tous les assurés le 30 novembre, en obligeant l'ensemble des professionnels de santé à l'appliquer. Seule la part remboursée par la Sécurité sociale devait être dispensée d’avance de frais. En effet : en janvier 2016, le Conseil Constitutionnel avait partiellement retoqué la loi Touraine. Et la part de remboursement réservée aux mutuelles ne devait pas être dispensée d'avance au 30 novembre prochain.

Quel est ce problème informatique dont parle la ministre ?

Pourtant, c’est bien de cette partie remboursée par les complémentaires Santé dont parle la ministre en évoquant un "problème informatique". "Nous ne savons pas, aujourd'hui, sur la part des (mutuelles) complémentaires, faire en sorte que le médecin soit remboursé", a-t-elle argué. En effet, aucun dispositif ne parvient, pour l’instant, à relier l’ensemble des médecins aux 500 mutuelles Santé françaises, qui proposent toutes des droits différents aux patients. Selon un rapport de l’Igas (Inspection générale des affaires sociales), publié lundi et sur lequel s’appuie la ministre, la généralisation du tiers payant est "irréaliste" avant 2019 compte tenu de "freins techniques" qui portent sur cette mise en réseau des complémentaires Santé.

Pourquoi la partie Sécu du tiers payant est-elle aussi repoussée ?

Or, ce même rapport de l’Igas précise bien que ces "freins" ne valent que pour la partie remboursée par les complémentaires Santé. L’avance des frais pour la partie Sécurité sociale est, elle, "techniquement réalisable à brève échéance sous réserve que soit mis en œuvre un accompagnement renforcé des professionnels de santé".  Pourquoi la ministre veut-elle alors repousser l’obligation du tiers payant sur la partie Sécu ? Elle n’y répond pas directement mais renvoie toujours au même rapport de l’Igas, qui souligne, lui, que les professionnels de santé sont encore très réticents face à la généralisation. Facultatif aujourd’hui, le tiers payant n’est pratiqué que pour seulement 20% des actes par les généralistes et 10% côté dentistes.

La généralisation dès le 30 novembre comporterait donc un "risque de démobilisation des acteurs", assure l’Igas. Pour cette raison, "le maintien dans la loi de l'obligation de pratique du tiers payant pour tous les patients au 30 novembre 2017 est désormais irréaliste compte tenu des délais", insiste l'Inspection. "Le message de l'IGAS, bien compris par la ministre, est clair : il ne sert à rien de s'accrocher à une généralisation obligatoire théorique fin novembre, qui […] braque de la majorité de la profession", résume le Quotidien du médecin. En clair, la ministre ne vaut pas se mettre à dos les médecins, surtout dans un contexte où elle a besoin de leur pleine mobilisation dans le cadre du Budget de la Sécurité sociale.

Que va-t-il se passer désormais ?

L’Igas envisage désormais deux scenarios : la suppression de l'obligation ou son report à 2019. Sans trancher, l’Inspection souligne donc que la première option comporte un "risque de démobilisation des acteurs" et imposerait de remplacer l'obligation faite aux médecins par "un dispositif d'incitation".

La ministre, elle, entretient le flou, affirmant que ses services allaient "travailler avec l'ensemble des professionnels pour que le tiers payant soit généralisable. C'est l'engagement du président de la République", a-t-elle insisté, sans s'engager sur un délai. En parlant de tiers payant "généralisable", Agnès Buzyn renvoie à la promesse de campagne d’Emmanuel Macron. Le candidat d’En Marche! avait évoqué un tiers payant simplement optionnel, non généralisé, non obligatoire et dont la mise en œuvre serait laissée au bon vouloir des médecins.

"Généralisable" veut dire que "toutes les personnes qui en ont besoin puissent y accéder", a tout de même ajouté la ministre dimanche. "Nous devons poursuivre nos efforts pour en assurer une application effective partout", insiste-t-elle, se défendant de "jouer sur les mots" mais ne donnant pas davantage d’explications non plus.

Dans un communiqué, le premier syndicat de médecins généralistes libéraux, MG France, vent debout contre la mesure, se félicite en tout cas "de voir la ministre de la Santé confirmer que le tiers payant généralisé obligatoire prévu par la loi de santé n'aura pas lieu".