Les pharmaciens autorisés à vacciner : la bonne solution face à l’épidémie de grippe ?

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En Auvergne-Rhône-Alpes et Nouvelle-Aquitaine, les pharmaciens sont autorisés dès mercredi à vacciner contre la grippe, à titre expérimental.

Dans son officine de Lormont, en Gironde, Thierry Guillaume attend ses premiers patients. Comme d'autres confrères des régions Nouvelle-Aquitaine et Auvergne-Rhône-Alpes, le pharmacien est désormais autorisé à vacciner contre la grippe. L'expérience, lancée mercredi, en même temps que la campagne de vaccination nationale, doit durer trois ans. Si elle vise à "améliorer la couverture vaccinale", elle suscite néanmoins la réticence de certains médecins et infirmiers libéraux, attachés à leurs prérogatives.

Une couverture en deçà des objectifs. En France, le constat est sans appel. Alors que les objectifs de santé publique sont fixés à 75% pour la population dite "à risque" (personnes de plus de 65 ans), la couverture vaccinale contre la grippe saisonnière demeure actuellement en dessous de 50% (46% au 31 décembre 2016). C'est ce chiffre qui a poussé Thierry Guillaume à se porter volontaire, une fois l'article 66 de la loi de finance de la Sécurité sociale 2017 précisé par un décret, en mai dernier.

"Une chance supplémentaire". "Certains médecins et infirmiers sont débordés. Là, le patient a les moyens de se faire vacciner rapidement. C'est une chance supplémentaire", plaide ce pharmacien girondin, qui a suivi pour ce faire une formation d'un jour, cet été, notamment afin d'identifier les personnes éligibles ou non à une vaccination.

" Le but, c'est aussi d'éviter la perte de temps "

Sans rendez-vous. Après un entretien pré-vaccinal, le professionnel peut donc administrer une piqûre dans un espace dédié et agrémenté par l'Agence régionale de Santé (ARS). Pour les patients, cette prise en charge est gratuite. La rémunération du pharmacien, elle, est de 4,50 euros par personne vaccinée, et de 6,30 euros pour celles bénéficiant d’un bon de l’Assurance maladie, envoyé par courrier aux personnes considérées comme vulnérables. "Cela se fait sans rendez-vous", précise Thierry Guillaume. "Le but, c'est aussi d'éviter la perte de temps. Tout cela, c'est dans l'intérêt du patient", plaide-t-il.

"Quand on est dans le champ de la prévention, il  faut se donner tous les outils pour pouvoir vacciner les personnes qui, par définition, ne sont pas malades, donc qui ne fréquentent pas toujours les cabinets médicaux ou qui n'ont pas toujours une infirmière", applaudit également Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d'officine, sur Europe 1. "Aujourd'hui, environ 40% des pharmacies vont pouvoir répondre à l'acte de vaccination dans ces deux régions", détaille ce dernier, qui note une grande "motivation de la part du corps pharmaceutique".

Entendu sur europe1 :
Le problème ce n'est pas celui qui fait la piqûre

"C'est avec le médecin qu'on a le plus de dialogue". Avant de se porter volontaire, Thierry Guillaume, lui, en a discuté avec les médecins et infirmiers du secteur. Si cela ne les dérange "absolument pas", selon lui, d'autres semblent plus réticents à l'idée de voir leurs prérogatives habituelles remplies par les pharmaciens. "Le problème ce n'est pas celui qui fait la piqûre", tempère Jean-Paul Ortiz, président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF). "Ce qui est indispensable, c'est qu'on redonne confiance aux Français vis-à-vis de la vaccination dans sa globalité. Il faut que les personnes vulnérables puissent trouver auprès de leur médecin traitant la réponse à leurs interrogations. Et c'est avec le médecin qu''on a le plus confiance et qu'on a le plus de dialogue", justifie-t-il sur Europe 1.

Et d'avancer un autre argument : "Depuis que les infirmières font la vaccination, le nombre de patients protégés contre la grippe n'a pas significativement augmenté".

Complémentarité. Loin d'être pensée comme une concurrence, l'expérimentation vise en réalité à améliorer la complémentarité entre les cabinets et les officines. Les personnes qui se vaccinent pour la première fois seront ainsi orientées vers un médecin, tout comme les patients immuno-déprimés, sous traitement anticoagulant ou sous anti-agrégants plaquettaires, ainsi que ceux qui ont présenté une réaction allergique lors d’une vaccination antérieure.

Pour les autres, une fois la piqûre réalisée, l'acte de vaccination sera transmis au médecin traitant, qui pourra notamment être informé d'effets secondaires éventuels. Mais les outils actuels, comme le Dossier Médical Partagé (DMP), ne sont "pas au point", regrette Jean-Paul Ortiz, qui redoute une défaillance dans la transmission d'information.

D'autres expérimentations en cours. D'autres expérimentations sont d'ailleurs menées, rappelle le président de la CSMF, "en particulier dans la région Centre". "C'est ce qu'on appelle la vaccination en un seul clic. L'idée, c'est justement de permettre un accès facile à la population, et de tout faire en un seul temps : consultation médicale et injection du vaccin, avec dans les cabinets médicaux la détention de vaccins par les médecins, comme ça se faisait avant".

En dépit de la méthode, tous les professionnels sont en revanche d'accord sur un point : la nécessité de renforcer la prévention. Alors que l’épidémie de grippe saisonnière touche quelque 2,5 millions de Français chaque année, les études épidémiologiques estiment que le vaccin permettrait d’éviter en moyenne 2.000 décès par an chez les personnes de plus de 65 ans. L'hiver dernier, le virus avait été responsable d'environ 14.000 décès.