Antibiotiques : comment les utiliser "au mieux" pour éviter la résistance des bactéries ?

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En 2017, 759 tonnes d'antibiotiques ont été consommées par les humains et 500 tonnes par les animaux. © AFP
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"Ils sont précieux, utilisons-les au mieux" : le ministère de la Santé lance une nouvelle campagne pour promouvoir une utilisation raisonnable des antibiotiques. Encore faut-il savoir ce que cela signifie.

"Les antibiotiques, ils sont précieux, utilisons-les au mieux". Le ministère de la Santé lance mercredi une nouvelle campagne pour alerter sur la surconsommation d’antibiotiques, responsable de l’apparition de bactéries de plus en plus résistantes. En 2002, la fameuse campagne "les antibiotiques, ce n’est pas automatique" avait permis de faire baisser de 15% la consommation en France. Mais celle-ci est repartie à la hausse en 2010, pour atteindre de nouveau des niveaux presque record. En 2017, quelque 759 tonnes d’antibiotiques destinés à la santé humaine et 499 tonnes d’antibiotiques destinés à la santé animale ont été vendues dans l’Hexagone, ce qui fait de la France le quatrième consommateur d’Europe, et le huitième dans le monde.

Or, cette surconsommation n’est pas sans conséquence. L’OCDE estime qu’en France 125.000 infections par an, dont 5.500 mortelles, sont dues à une résistance des bactéries aux antibiotiques. Un chiffre qui pourrait être multiplié par 15 d’ici 2050 si rien n’est fait. Mais que signifie réellement les "utiliser mieux" ? Les patients (ou les parents) ont-ils un rôle à jouer ? Explications.

Comment fonctionne la résistance aux bactéries ?

Lorsque tout va bien, l’antibiotique tue la bactérie responsable d’une infection et celle-ci disparaît. Mais parfois, la bactérie survit. D’autres fois encore, la bactérie pour laquelle vous êtes traité disparaît mais une autre va entrer en contact avec l’antibiotique et survivre : nous avons des milliards de bactéries naturellement présentes dans l’organisme, notamment dans le tube digestif.

Or, ces bactéries peuvent voir leur ADN se modifier sous l’effet de l’antibiotique. Avec le temps, elles vont devenir plus résistante non seulement à l’antibiotique que vous avez pris, mais également à d’autres qui ont des propriétés similaires, voire, à termes, à tous les antibiotiques. Ces bactéries "super-résistantes" risquent alors de proliférer, de se répandre dans votre organisme mais aussi à l’extérieur et un jour ou l’autre, elles risquent de provoquer une infection que vous n’arriverez pas à soigner. Plus vous consommez d’antibiotiques, plus vous prenez donc le risque de "cultiver" en vous une bactérie résistante, et de la transmettre à d’autres, notamment dans des espaces confinés où vous restez longtemps, tels que votre domicile ou l’hôpital.

Un exemple pour illustrer le danger ? Il y a dix ans, selon Santé Publique France (ex-INVS), seuls 2% des traitements antibiotiques contre les infections liées à la bactérie E.coli (diarrhées, infections urinaires etc.) échouaient. Aujourd’hui, le taux d’échec est passé à 10%. Pour la bactérie K.pneumoniaie (difficultés respiratoires), on est passé de 10% d’échec à près de 30%.

Quelle consommation d’antibiotiques pour éviter cela ?

La principale règle qui vaille en matière d’antibiotiques est simple : respecter à la lettre la prescription de son médecin. Si vous consommez trop d’antibiotiques ou que vous en prenez de votre propre initiative, le risque est, comme on l’a vu plus haut, de multiplier les risques d’antibio-résistances de la part des bactéries de votre flore intestinale. Et plus vous commencez à en consommer jeune, plus vous risquez de cultiver des bactéries superpuissantes.

À l’inverse, si votre médecin prescrit un traitement et que vous l’arrêtez trop tôt, cela peut s’avérer tout aussi néfaste pour l’avenir, car des bactéries responsables de votre infection pourraient survivre, et développer elles aussi une résistance. Seul votre médecin sera à même de vous dire quelle dose vous (ou votre enfant) devrez prendre pour éliminer les bactéries infectieuses, tout en limitant les risques d’endurcir celles de votre organisme.

" Il faut promouvoir l’éducation thérapeutique "

"Les doses, les durées et les temps d’exposition aux antibiotiques ont été établis par des essais cliniques. Il faut respecter les recommandations [...]. Certaines recommandations peuvent évoluer avec le temps, mais pour le moment, il faut garder cette ligne de conduite", insiste Thierry Naas, praticien hospitalier et directeur du laboratoire associé du Centre de référence national de résistance aux antibiotiques, interrogé par Le Figaro. Un mot d’ordre qui n’est pas totalement respecté, selon un récent sondage Opinioway : 8% des Français prennent des antibiotiques en automédication, et 14% ont arrêté leur traitement trop tôt (25% de la tranche d’âge 15/24 ans).

Contre quoi les antibiotiques sont-ils vraiment efficaces ?

Et ces chiffres ne tiennent pas compte de tous les patients qui font pression sur leur médecin pour se voir prescrire des antibiotiques même lorsque ce n’est pas nécessaire. "Il faut promouvoir l’éducation thérapeutique. C’est vrai qu’on en donne trop, mais parfois sous la pression des patients. Un enfant arrive, il a été exclu de la crèche parce qu’il avait une rhino avec 38.5° de fièvre. Vous ne donnez pas d’antibio et trois jours après il fait une otite. Venez voir la tête des parents !", témoigne dans Le Parisien le docteur Jean-Paul Hamon, président de la Fédération des médecins de France.

Cette "éducation" passe par une petite mise au point concernant l’utilité des antibiotiques. Tout d’abord, ces derniers ne soignent pas les virus, pourtant responsables de 70% des infections courantes (grippe, rhume, 90% des angines…) ! En outre, pour les patients qui craindraient l’émergence d’une infection bactérienne après un virus (une otite, par exemple), il faut savoir que cela n’arrive que dans 10% des cas. "Les antibiotiques à titre préventif se justifient chez les personnes fragiles qui auraient du mal à combattre une infection ainsi que, parfois, chez l’enfant de moins de trois ans dans certaines affections", indique à Santé magazine le Dr Gilles Urbejtel. Pour les autres, ce n’est donc pas justifié. Et un médicament contre la fièvre ou la douleur de type antalgique (paracétamol, aspirine) fera parfaitement l’affaire.

Peut-on se passer définitivement des antibiotiques ?

Depuis leur généralisation à la fin de la Seconde Guerre mondiale, les antibiotiques ont sauvé des millions de vie. Et dans de nombreux cas, ils sont indispensables, à commencer par les traitements intervenant avant ou après une opération chirurgicale. Mais comme le rappellent régulièrement les autorités sanitaires, la meilleure manière de lutter contre les infections bactériennes reste la prévention. Vaccination, hygiène corporelle (surtout le lavage des mains) et alimentation équilibrée restent donc les moyens les plus efficaces de limiter les risques, et donc d'éviter d'avoir recours un jour aux antibiotiques.