EDITO - Réforme des retraites et schizophrénie du rythme politique : "C’est un peu l'histoire du lièvre et de la tortue..."

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Nicolas Beytout
Les députés examinent jusqu’à vendredi, en commission spéciale, les 22.000 amendements déposés en vue de l'examen du projet de loi de réforme des retraites. De quoi mettre à mal la volonté de rapidité du gouvernement sur ce texte. Pour notre éditorialiste Nicolas Beytout, l'exécutif n'a pas su gérer son calendrier.

Depuis lundi, l’Assemblée nationale examine en Commission spéciale le projet de loi de réforme des retraites. La majorité doit faire face aux manœuvres assumées d’obstruction parlementaire de l’opposition, La France insoumise ayant déposé à elle-seule quelque 19.000 amendements. Pourtant, le gouvernement espère encore pouvoir aller très vite. Mais pour notre éditorialiste Nicolas Beytout, l’exécutif, à vouloir maintenir son calendrier, pourrait donner l'impression de passer en force.

"L’examen par l’Assemblée nationale du projet de loi sur les retraites a commencé lundi après-midi, en Commission spéciale. Car tout est devenu "spécial" dans cette réforme, un peu comme si rien ne pouvait se passer normalement. Après les 46 jours de grève de la SNCF et de la RATP, après les nombreux arrêts de travail de professions qui n’avaient jusque-là jamais imaginé faire grève - je pense aux avocats, par exemple -, un autre record vient d’être battu : celui du nombre d’amendements déposés sur un projet de loi pendant cette législature. Plus de 22.000, dont près de 19.000 par la seule France insoumise.

Le gouvernement dénonce une volonté délibérée d’obstruction, sans que cela impressionne le moins du monde Jean-Luc Mélenchon qui le revendique clairement : il veut bloquer l’examen du projet de loi. Ou à tout le moins l’ensabler dans les débats parlementaires. Son objectif est de faire traîner les choses au-delà des prochaines élections municipales.

Le calendrier s'emballe

Le gouvernement, lui, veut aller vite. Il a même décrété l’urgence afin que la loi soit adoptée au plus tard dans un mois. Ce qui est très court pour un texte de cette ampleur. On se retrouve donc dans la situation un peu schizophrénique d’avoir eu plus de 2 ans de concertation avec l’ancien Haut-commissaire aux retraites, mais de voir voter le projet de loi en quelques dizaines d’heures, sans même pouvoir approfondir le texte lui-même, et encore moins éplucher le rapport sur l’impact réel de cette réforme sur la vie de tous les Français.

Plus étrange encore, le vote doit avoir lieu vite, avant que le cadrage financier soit fixé. La Conférence de financement réclamée par la CFDT a jusqu’à fin Avril pour trouver la recette miracle. Enfin, cerise sur le gâteau, le gouvernement prévoit que cette loi, une fois votée, sera suivie de 29 ordonnances pour gérer tous les aspects, tous les angles de cette magistrale transformation.

L'ombre du 49-3

En somme, c’est un peu l'histoire du lièvre et de la tortue, mais qui ne devrait pas se finir comme dans la fable de La Fontaine. C’est le lièvre, cette fois, qui a presque tous les atouts pour gagner, grâce notamment à un arsenal de règles qui permettent d’encadrer le travail des parlementaires pour contourner ce genre d’obstruction. Mais il reste un scénario dans laquelle, comme dans la fable, le lièvre perd le contrôle de la course contre le temps.

Ce scénario, c’est celui du 49-3, cet article qui permet au gouvernement de faire adopter une loi sans vote, sauf si l’opposition - ce qui est très improbable - réussit à faire voter une motion de censure. En fait, cet article est devenu synonyme de coup de force démocratique. Y recourir serait un échec politique du gouvernement, qui donnerait à cette réforme des retraites déjà si contestée un air terrible d’illégitimité. On peut être pour ou contre cette réforme, mais une chose est certaine : dans cette affaire, le gouvernement a totalement raté sa gestion du temps."