"Pacte" avec l'islam de France : l'exercice délicat de Manuel Valls

© Thomas SAMSON / AFP
  • Copié
Margaux Baralon
Le Premier ministre multiplie les déclarations en faveur d'une refonte de l'islam de France. Mais sa marge de manœuvre est étroite : la droite le juge hypocrite et il risque de perdre le soutien de la gauche.

C'est la troisième fois en cinq jours qu'il investit le terrain médiatique sur le sujet. Manuel Valls s'est exprimé mardi, dans Libération, pour défendre une refonte de l'organisation de l'islam de France. "Nous voulons être plus volontariste" en la matière, explique le Premier ministre. "Il faut admettre que l'État et la puissance publique ont un rôle à jouer" pour "aider les musulmans de France" à relever le défi de l'islamisme radical.

Surveiller la formation et le financement. Le Premier ministre reprend là des idées défendues ardemment sur la scène médiatique ces dernières semaines. Vendredi, il donnait ainsi une interview au Monde dans laquelle il appelait à une "remise à plat" et à l'invention d'une "nouvelle relation avec l'islam de France". Ce week-end, c'était dans le Journal du Dimanche qu'il signait une tribune pour défendre "un véritable Pacte avec l'islam de France".

À chaque fois, Manuel Valls appuie sa réflexion sur deux piliers : d'une part, la formation des imams, que le chef du gouvernement voudrait assurer en France. D'autre part, le financement de la construction des mosquées. Selon lui, il faut "trouver un biais, législatif ou réglementaire, pour interdire pendant un délai défini, une dizaine d'années peut-être, le financement des mosquées par des pays étrangers".

Des propositions anciennes. Ces prises de position de Manuel Valls sont loin d'être neuves. "Du temps de Charles Pasqua, on parlait déjà de 'concorde sans concordat'", rappelle Franck Frégosi, professeur à l'IEP d'Aix en Provence spécialiste de l'islam. "Et Manuel Valls a toujours été très constant et cohérent sur le financement public des mosquées". En 2015, après les attentats de Charlie Hebdo, Matignon a entrepris de s'emparer de ces questions avec le ministère de l'Intérieur. Une instance de dialogue entre les pouvoirs publics et "l'islam de France" s'est réunie une première fois en juin 2015, puis une seconde en mars 2016. Des propositions ont été formulées, notamment par Anouar Kbibech, président du Conseil français du culte musulman. Sans beaucoup d'avancées concrètes jusqu'ici.

" Manuel Valls a toujours été très constant et cohérent sur le financement public des mosquées. "

Revenir sur la loi de 1905. Ce qui est nouveau, en revanche, c'est que Manuel Valls semble, dans Libération, aller plus loin en envisageant de revenir sur la loi de 1905, qui consacre la séparation des organisations cultuelles et de l'Etat. "Toucher à la loi de 1905 ouvrirait un débat très périlleux, mais nous devons passer en revue toutes les solutions", estime le Premier ministre. De fait, ce cadre législatif, élaboré alors que l'islam n'était que très peu présent en France au début du XXe siècle, entrave aujourd'hui les possibilités de cadrage du gouvernement, puisque celui-ci n'a le droit de financer aucune religion. Impossible, donc, de salarier des imams ou de payer pour une mosquée. Or, Manuel Valls estime que ces deux actions permettraient d'endiguer la radicalisation. Selon lui, il ne faut pas "s'interdire une forme de financement public" des lieux de culte musulmans.

Risque de se mettre la gauche à dos. Mais revenir sur la loi de 1905 est très délicat politiquement. Ce texte a beau être déjà soumis à plusieurs exceptions, notamment en Alsace-Moselle, où un concordat lie les églises et l'État, il reste symbolique de la laïcité à la française. Y toucher, c'est prendre le risque de se mettre à dos un électorat de gauche très attaché à cette laïcité. Comme le rappelle Franck Frégosi, "Manuel Valls est l'un des rares, à gauche, à être favorable au financement public des mosquées". Si rare que le Premier ministre "s'est bien gardé de le dire, lorsqu'il était au ministère de l'Intérieur puis à Matignon".

Le chef du gouvernement le sait bien et choisit d'ailleurs son vocabulaire avec soin. Pas question, par exemple, de parler de "concordat". "Toute tentation néoconcordataire serait une insulte à la laïcité", écrit le Premier ministre dans les colonnes du JDD. Quant au ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, il a fermement démenti une information du Canard Enchaîné lui prêtant, le 27 juillet dernier, des velléités concordataires. "Une telle visée serait anticonstitutionnelle. Elle est de surcroît parfaitement contraire à mes convictions profondes", a-t-il déclaré dans une lettre.

À droite, quelques soutiens... La partie est d'autant plus difficile à jouer pour Manuel Valls qu'il ne peut pas compter sur le soutien plein et entier de la droite. Certes, l'idée d'un "pacte" a déjà été évoquée par Alain Juppé, candidat à la primaire de la droite, dans son ouvrage Pour un État fort. Le maire Les Républicains de Tourcoing, Gérald Darmanin, s'est également positionné pour "imposer une concorde à l'islam afin de l'assimiler totalement à la République". Et Jean-François Copé emploie même le terme de "concordat". Mais nombreuses sont aussi les voix à s'élever contre les propositions du Premier ministre.

…et beaucoup de désaccords. Certains lui reprochent l'inefficacité des mesures évoquées, comme l'interdiction du financement venu de l'étranger. La sénatrice Nathalie Goulet (UDI), auteure d'un rapport parlementaire sur l'islam en France, rappelle ainsi que moins de 30% de l'argent destiné au culte musulman provient d'autres pays ou de mécènes privés installés hors des frontières françaises. Pour une autre partie de la droite, c'est "l'hypocrisie" de Manuel Valls qui pose problème. "Il se prononce contre le financement étranger des mosquées mais a refusé mon amendement en ce sens", a ainsi fait valoir le député Eric Ciotti sur Twitter. Quant au président LR de la Région Paca, Christian Estrosi, il a "déploré" la décision du gouvernement d'autoriser "l'ouverture de la mosquée En-Nour" à Nice, mosquée pourtant financée par l'Arabie Saoudite.

Rempart contre le terrorisme. Accusé de vouloir porter un coup de canif à la sacro-sainte laïcité par les uns, de ne pas s'attaquer à la source du problème par les autres, Manuel Valls marche donc sur des œufs. Pourtant, il fait le pari que s'engager sur le terrain glissant du "pacte" avec l'islam sera un choix politiquement payant. Ce positionnement lui permet d'apparaître en première ligne dans la lutte contre la radicalisation. "Il veut marquer les esprits", note Franck Frégosi. "Il est d'ailleurs intéressant de constater que c'est lui qui fait les grandes annonces, quand le sujet relève plutôt de l'Intérieur." Le Premier ministre veut renvoyer l'image d'un homme d'action, rempart contre le terrorisme. Un rôle d'autant plus aisé à tenir que François Hollande ne s'est que peu exprimé sur le sujet de l'islam et de la République.