Marine Le Pen et le Vél' d'Hiv' : "une déclaration très ambiguë"

Marine Le Pen
Marine Le Pen a déclaré dimanche que "la France n'était pas responsable du Vél' d'Hiv'" © JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP
  • Copié
, modifié à
Affirmer que "la France n'était pas responsable" de cette rafle intervenue en 1942 semble mettre un terme à la dédiabolisation du FN. Paradoxalement, se réclamer du général de Gaulle tranche avec les positions traditionnelles du parti.
INTERVIEW

En 1995, un discours de Jacques Chirac marquait l'Histoire et bouleversait le rapport qu'entretient la France aux heures les plus sombres de son histoire. Alors président de la République, il avait reconnu pour la première fois la responsabilité de l'État français dans la rafle du Vél' d'Hiv'. Vingt-deux ans plus tard, dimanche, Marine Le Pen, candidate à l'Élysée, a quant à elle déclaré que "la France n'était pas responsable" de l'arrestation massive de plus de 13.000 Juifs en 1942. Dans un communiqué de presse, la présidente du Front national a précisé qu'elle considérait, "comme Charles de Gaulle", que "la France et la République étaient à Londres pendant l'occupation, et que le régime de Vichy n'était pas la France".

Pour le politologue Jean-Yves Camus, spécialiste de l'extrême droite, cette position de Marine Le Pen est très ambiguë. D'un côté, elle porte un coup aux tentatives de dédiabolisation du parti. De l'autre, elle la parachève en rattachant le FN au général de Gaulle.

Pourquoi Marine Le Pen a-t-elle choisi de faire cette sortie à deux semaines du premier tour ?

La question de la repentance était présente dans la campagne, notamment avec les propos d'Emmanuel Macron sur la colonisation. En outre, c'est un sujet traditionnel du Front national. Mais il est vrai qu'au vu du calendrier et de l'actualité, cela ne s'imposait pas tellement. Certains y voient un moyen de relancer une campagne qui stagnait. Mais Marine Le Pen ne fait pas le buzz pour le buzz. En réalité, elle exprime une opinion très ancienne dans son parti, qui considère qu'il existe une 'France éternelle' qui ne doit pas s'excuser pour son passé. Il n'y a rien de neuf là-dedans.

Nier la responsabilité de la France dans la rafle du Vél' d'Hiv', n'est-ce pas contre-productif pour la présidente du Front national, qui tente de dédiaboliser son parti depuis plusieurs années ?

La déclaration elle-même sur le Vél' d'Hiv' laisse effectivement entendre que la dédiabolisation du Front national n'est pas achevée. On retrouve là des propos qui auraient pu être tenus par Jean-Marie Le Pen. En revanche, ce qui est très neuf, c'est ce que contient le communiqué de presse diffusé juste après. La présidente du Front national qualifie le régime de Vichy de "régime collaborateur et illégal". On a du mal à imaginer Jean-Marie Le Pen dire la même chose. En affirmant que la légitimité de la France était à Londres, avec de Gaulle à l'époque, Marine Le Pen pousse la dédiabolisation à l'extrême. C'est donc une déclaration très ambiguë.

Le Front national a-t-il l'habitude de se revendiquer du Général de Gaulle ?

Le gaullisme n'est pas dans l'ADN du Front national, s'en réclamer est quelque chose de très neuf. Le parti, sous l'impulsion de son vice-président Florian Philippot notamment, faisait de plus en plus référence au Général de Gaulle, mais c'était surtout pour parler de souveraineté. Le Front national invoquait cette figure historique pour appuyer la volonté de sortir de l'OTAN ou de l'Union européenne par exemple. De Gaulle était aussi pris en exemple pour sa vision des institutions, et notamment de la fonction présidentielle.

Là, ce positionnement est nouveau, même si les observateurs avisés auront déjà noté quelques signes précurseurs. En voyage à Moscou [en 2013], Marine Le Pen avait déposé une gerbe au monument aux morts de l'escadrille Normandie-Niemen, engagée pendant la Seconde guerre mondiale aux côtés de l'Union soviétique par le Général de Gaulle. Il y avait déjà là une rupture avec Jean-Marie Le Pen.

Est-ce que la présidente du Front national peut espérer un bénéfice électoral de sa déclaration ?

Si bénéfice électoral il y a, il est très maigre. La repentance n'est pas un thème déterminant pour le vote. Peu d'électeurs, et surtout pas les jeunes, votent en fonction de ces sujets. Il y a même des gens au Front national qui jugeront qu'elle est allée trop loin en condamnant si sévèrement Vichy. En outre, cela entre en contradiction avec sa volonté récente de se rapprocher de l'État israélien [qui a d'ailleurs condamné les propos de Marine Le Pen].

Surtout, je ne suis pas persuadé que cette sortie parle à un nouvel électorat car elle ne permet pas à la présidente frontiste de se démarquer franchement de la droite. Il faut se souvenir qu'à l'époque de son fameux discours, Jacques Chirac était extrêmement en avance sur son propre camp. L'ensemble de la droite, et même plus largement des Français, n'était pas d'accord avec lui. On aurait tort de croire, a posteriori, que sa déclaration est passée comme une lettre à la poste en 1995. Plus récemment, pas plus François Fillon que Nicolas Sarkozy ne se sont illustrés en faisant acte de repentance.