Le Front national traverse-t-il une mauvaise passe ?

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Un spécialiste du parti frontiste décrypte pour Europe 1 la situation dans laquelle se trouve le mouvement de Marine Le Pen en plein séminaire d'introspection.
INTERVIEW

Les sondages ne sont pas bons. 56% des Français estiment que le Front national représente un danger pour la démocratie tandis que 62% n’ont jamais déposé un bulletin frontiste dans l’urne et n’ont pas l’intention de le faire à l’avenir, selon un sondage TNS Sofres paru vendredi. Marine Le Pen perd aussi 4 points d’opinions favorables et n’est qu’à 25% de bonnes opinions, selon le baromètre Elabe. Des chiffres qui tombent au mauvais moment : le parti est en plein séminaire d’introspection pour trois jours à huis clos. Au programme du parti notamment : le changement de nom et sa stratégie pour 2017. A cela s’ajoute le mauvais souvenir des dernières élections, le FN n’ayant finalement remporté aucune région.

Le parti de Marine Le Pen traverse-t-il une mauvaise passe ? Erwan Lecoeur, sociologue et spécialiste de l’extrême-droite, répond à Europe 1.

Que vous inspire ces mauvais sondages pour le Front national ?

Le Front national baisse entre les élections et remonte juste avant. Cette tendance, que l’on observe depuis les années 1980, est toujours d’actualité. Le Front national est d’abord et avant tout un parti médiatique. Il bénéficie d’une mobilisation médiatique pré-électorale. Ce qui est nouveau, c’est le fait qu’il y ait une déception pour une frange de l’électorat. Alors que tous les médias et les sondages donnaient Marine Le Pen en progrès inexorable, elle n’a toujours pas réussi à faire accéder le parti aux responsabilités. C’est la sempiternelle question de l’arrivée au pouvoir : le père ne voulait pas y accéder, la fille n’y arrive pas.

Y-a-t-il un plafond de verre ?

Oui, même si l’expression n’est pas la bonne. Il y a un niveau au-delà duquel le FN n’a pas réussi à faire basculer le système électoral. Ce point de bascule n’a pas bougé malgré la réussite médiatique de Marine Le Pen. Les médias créent l’enjeu mais ils ne font pas basculer sociologiquement le pays. Il reste 70% de personnes qui ne supportent pas l’idée que Le Pen prenne le pouvoir. Cela n’a pas évolué depuis les années 1990.

La stratégie de dédiabolisation du FN est-elle un échec ? Florian Philippot, qui est souvent cité comme l’incarnation de cette ligne, est-il dans la tourmente ?

La stratégie de dédiabolisation ne date pas d’hier mais des années 1990. Et depuis plus de 20 ans, son évolution est très relative voire assez faible, contrairement à d’autres pays. Par exemple, cela s’est fait plus vite en Autriche, en Suisse ou en Hongrie. Cette dédiabolisation nécessiterait d’avoir fait imploser la droite et d’en avoir récupéré une partie importante. C’était la stratégie de Mégret dès 1988 et cela n’a pas fonctionné. Le problème de Marine Le Pen, c’est qu’elle s’appelle Marine Le Pen, elle ressemble à son père, ce sera sa force et sa faiblesse.

Quant à Florian Philippot, il a toujours été dans une situation fragile. Il n’est pas aimé par une partie des militants et des anciens du FN. Il tient parce que sa stratégie a semblé la meilleure pour accéder au pouvoir mais chaque jour qui passe le fragilise car l’accès au pouvoir se fait attendre. Il y a une sorte de traversée du désert devant le FN. Peu de gens imaginent que Marine Le Pen gagne la présidentielle ou que le parti ait beaucoup de députés aux législatives. Pour les prochaines victoires électorales, il faut attendre 2019 pour les européennes et 2020 pour les municipales, ça fait loin.

Si la stratégie de dédiabolisation ne marche pas, quelles sont les autres options pour le FN ?

C’est là tout le problème. Soit Marine Le Pen poursuit la stratégie de dédiabolisation et réussit à faire patienter ses troupes en continuant à normaliser son parti et à faire tenir des tendances inconciliables. Soit elle essaye de revenir à l’essence même du FN et elle accepte d’être une force tribunitienne comme son père. Dans ce cas, elle table sur une explosion sociale ou une crise qui la mènerait au pouvoir. Toutes les choses très graves, comme des attentats, lui seraient alors profitables.