IVG dans la Constitution : quelles différences entre les notions de «droit» et de «liberté» ?

IVG manifestation
La question de la constitutionnalisation de l'IVG a avancé ce mercredi, après un vote historique du Sénat. © Ludovic MARIN / AFP
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Ophélie Artaud
Ce mercredi, le Sénat a voté en première lecture un texte visant à inscrire la "liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse". Une avancée historique, même si la proposition de loi constitutionnelle initialement portée par les députés de gauche de l'Assemblée nationale prônait la notion de "droit". "Liberté" ou "droit", qu'est-ce que cela change concrètement ?
DÉCRYPTAGE

Une avancée historique. Ce mercredi, le Sénat a voté en première lecture un texte pour inscrire dans la Constitution la "liberté" des femmes de recourir à l'IVG, à 166 voix contre 152. Concrètement, les sénateurs souhaitent inscrire que "la loi détermine les conditions dans lesquelles s'exerce la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse". Une proposition de loi constitutionnelle d'abord portée par la gauche à l'Assemblée nationale En novembre dernier, les députés avaient voté en faveur de l'inscription de l'IVG dans la Constitution, mais la formulation n'était pas la même. 

Les porteurs du texte, notamment la présidente du groupe LFI à l'Assemblée Mathilde Panot, souhaitaient en effet créer un nouvel article dans la Constitution, le 66-2, dans lequel aurait été inscrit que "la loi garantit l'effectivité et l'égal accès au droit à l'interruption volontaire de grossesse". Un texte qui avait été refusé par les sénateurs, qui ont proposé de compléter l'article 34, en changeant la formule. La notion de "liberté" prend donc le pas sur celle du "droit". Mais qu'est-ce que cela change concrètement ?

Quelle est la différence entre les notions de "droit" et de "liberté" ?

Parmi les sénateurs opposés à la formulation de l'Assemblée nationale, le Républicain Philippe Bas, ancien collaborateur de Simone Veil. Pour justifier le changement de formulation, il a expliqué que sa "contreproposition vise à garantir l’équilibre de la loi Veil […]. Elle consolide une liberté reconnue par le Conseil constitutionnel […]. Elle prévoit que le législateur en détermine les conditions et donc les limites. Il n’y a pas de droit absolu. Il y a une liberté que l’on peut inscrire dans la Constitution mais à la condition qu’il y ait une conciliation entre le droit de la femme enceinte de mettre fin à sa grossesse et la protection de l’enfant à naître après un certain délai", détaille Public Sénat.

Car "droit" et "liberté" sont deux notions bien différentes. "La liberté est une 'capacité de faire', alors que le droit est presque une obligation qui incombe à l'interlocuteur", explique Anne-Charlène Bezzina, maître de conférences en droit public et constitutionnaliste, à Europe 1. "La liberté est une 'faculté de', c’est une notion subjective, c’est 'je peux recourir à'. Par exemple, avec la liberté d’expression, si j’ai envie de parler ou de publier, je le fais, mais je n’attends rien en retour. Alors que le 'droit subjectif à', donne l’impression d’une créance : l’État doit le garantir. C'est le cas du droit de grève par exemple."

Autrement dit, "la liberté est l'idée de se dire que la femme peut recourir, si elle le souhaite, à une interruption de grossesse, alors que le droit donne un peu le sentiment que cette interruption est 'de droit'. Or, l'IVG est plus règlementée qu’un 'droit'. Ce n’est pas quelque chose qui est opposable à l’État". Pour la constitutionnaliste, "c'est peut-être plus exact de parler de liberté, à mon sens, car cela laisse l’idée de la 'faculté de', qui est celle de la femme, d’avoir un libre accès à son corps."

Une inscription symbolique

Car faire entrer l'IVG dans la Constitution, que ce soit en tant que "droit" ou "liberté", n'empêche pas à de nouvelles lois de venir l'enrichir. "Dans un droit fondamental comme celui-ci, où vous devez garder la réserve du médecin, où vous avez des questions de gynécologie qui doivent entrer en jeu, vous ne pouvez pas tout règlementer dans la Constitution. Donc c’était une évidence : la seule chose qu’on a envie de constitutionnaliser, c’est l’idée que ce droit existe, c’est l’idée que les femmes puissent avoir cette liberté d’accès à l’IVG. Mais au fond, les modalités techniques incombent à la loi", souligne Anne-Charlène Bezzina à Europe 1.

Mais inscrire l'IVG dans la Constitution reste symbolique. "En constitutionnalisant, on va sacrer cet accès à l'IVG pour ne plus y revenir, mais si un jour un gouvernement hostile à l'IVG prend le pouvoir, il pourrait ne plus prendre aucune loi qui garantit ce droit. La Constitution et la loi fonctionnent de pair : la première garantit quelque chose alors que la seconde vient y fixer les modalités techniques", reprend la maître de conférence. "On le voit même en Hongrie et en Pologne : les Cours constitutionnelles sont muselées, donc dans ces cas-là, la constitutionnalisation ne peut tristement pas tout faire."

Un symbole tout de même majeur "car cela montre que le pays choisit de faire passer un droit à la postérité. Cette constitutionnalisation a une portée symbolique, mais aussi historique, et elle montre que le combat des femmes continue, y compris dans le texte le plus fondamental d’un État", conclut Anne-Charlène Bezzina.

Désormais, le texte va retourner à l'Assemblée nationale, où il doit de nouveaux être voté. Il pourrait ensuite être soumis à référendum, à moins que le gouvernement se saisissent de la question, et en fasse un projet de loi.