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Arthur de Laborde avec AFP / Crédits photo : XOSE BOUZAS / HANS LUCAS / HANS LUCAS VIA AFP , modifié à
À partir de ce lundi, le Sénat examine le projet de loi immigration contesté par les oppositions comme les associations, et piège politique pour l'exécutif qui l'a maintes fois reporté. Le projet divise notamment entre les Républicains, dont le vote est nécessaire pour l'adoption du projet, et la majorité présidentielle.

En présentant il y a un an les contours de la loi promise par Emmanuel Macron durant sa campagne de 2022, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin en avait ainsi résumé l'esprit: "être méchant avec les méchants, et gentil avec les gentils".

Derrière cette simplicité enfantine se cache la difficulté de contenter tout le monde: la droite sur le volet répressif, en facilitant les expulsions d'étrangers délinquants; la gauche sur le volet intégration, avec la régularisation de travailleurs notamment grâce à la création d'un titre de séjour d'un an pour les métiers en tension.

Le gouvernement doit donc manoeuvrer serré pour décrocher un accord, sous peine de devoir dégainer à l'Assemblée l'arme du 49.3 pour une adoption sans vote. Au risque de s'exposer à une motion de censure, menace brandie par LR mais fantôme sans le soutien de la gauche. "Ce texte c'est la fermeté. Et nous trouverons au Parlement une voie de passage", a assuré dimanche Gérald Darmanin, se disant "opposé à l'utilisation" du 49.3. Emmanuel Macron a de son côté envoyé un signal à la droite en se disant prêt dimanche soir à élargir le champ des référendums aux questions de société, dont l'immigration, une demande pressante de LR.

Les cartes vont donc d'abord s'abattre au Sénat, où droite et centristes détiennent la majorité et pourraient remanier le texte à leur main... à condition de s'entendre entre eux. Car les deux alliés peinent à s'accorder sur l'article 3, qui prévoit un titre de séjour d'un an renouvelable pour les travailleurs sans papiers dans des secteurs en pénurie de main d'oeuvre. Un point dont LR a fait une ligne rouge et dont l'examen, prévu mardi, pourrait être repoussé dans l’espoir de voir un compromis se dessiner.

"Signal de faiblesse"

"On ne peut pas à la fois avoir un texte qui veut expulser plus tout en régularisant plus", argue auprès de l'AFP le patron des sénateurs LR Bruno Retailleau, refusant tout "signal de faiblesse", alors que les demandes d'asile ont explosé en 2022 (+31,3 % par rapport à 2021), proche du record de 2019 (137.046 contre 138.420 premières demandes). 

Quand le patron des centristes Hervé Marseille plaide, lui, pour une inscription a minima dans la loi du principe, en laissant une large part d'appréciations aux préfets. "Personne ne comprendrait qu'il y ait des 'chicayas'" pour "quelques milliers de personnes qui travaillent", lance-t-il aux LR. En 2022, 34.029 sans-papiers ont été régularisés, en hausse de 7,8% par rapport à 2021. 

La mesure divise jusqu'au sein de la majorité, l'aile sociale de la macronie l'ayant érigée en totem, en cherchant des soutiens à gauche: des amendements transpartisans seront ainsi présentés lundi matin par des parlementaires Renaissance, EELV, PS et PCF. Dans le même temps, un rassemblement est prévu devant le Sénat par plusieurs associations opposées à cette loi. Parmi les cibles de leur courroux, la suppression de l'aide médicale d'Etat pour les sans-papiers, réduite en aide médicale d'urgence, qui pourrait être examinée dès lundi soir.

Les débats porteront aussi lundi sur l’instauration d’une politique de quotas migratoires déterminés annuellement par le Parlement ou encore la restriction des conditions du regroupement familial.

Darmanin sous pression

Au-delà des batailles politiques, l'exécutif mise sur le soutien de l'opinion: selon une étude Opinionway pour Le Parisien, 87% des sondés estiment qu'il faut changer les règles relatives à l'immigration, et une très large majorité se dégage en faveur des différentes mesures du texte.

Mais ils sont aussi 68% à ne pas faire confiance à Gérald Darmanin pour prendre les bonnes décisions en matière d'immigration, dans un contexte tendu par l'assassinat du professeur Dominique Bernard par un jeune Russe radicalisé en octobre à Arras. Sous pression, le ministre a multiplié les cartes postales à droite ces dernières semaines, désireux de prouver sa fermeté, alors que les expulsions ont augmenté de 15% l'année dernière (15.396 contre 13.403 en 2021).

"Gérald Darmanin, c'est un marin d'eau douce. On ne peut pas compter sur lui dans les gros temps", a encore fustigé dimanche le vice-président du RN Sébastien Chenu, estimant sur RTL que "cette loi n'est ni faite ni à faire"... tout en se disant prêt à la voter, escomptant des "mini résultats".