Faut-il un programme pour gagner la présidentielle ?

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Les équipes de Benoît Hamon, Marine Le Pen et Emmanuel Macron se soumettent (ou vont le faire) à l'étape obligée du catalogue de propositions. © AFP
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Souvent attaqués sur le manque de détails ou de chiffrage de leurs propositions, les candidats à l'élection répondent "vision" et "projet présidentiel".

"Le moment de flottement d'Emmanuel Macron" (BFMTV), "un zeste de programme" (Le Parisien), "Emmanuel Macron au défi du programme" (L'Opinion). La petite musique sur l'absence de programme du fondateur d'En Marche! commence à résonner un peu partout. Entonnée par ses adversaires politiques depuis longtemps –François Bayrou avait traité le candidat d'"hologramme", Jean-Luc Mélenchon de "champignon hallucinogène" et François Fillon de "populiste mondain"–, la voilà fredonnée par les éditorialistes.

Derrière le cas particulier d'Emmanuel Macron se pose en général la question du niveau de détail réclamé dans les programmes de tous les prétendants à la présidence de la République. Faut-il obligatoirement, pour gagner cette élection, présenter des centaines de pages de propositions et de tableurs Excel pour les chiffrer ?

Macron avait prévenu. Emmanuel Macron avait pourtant prévenu en octobre dernier, avant même d'être officiellement candidat : pas question de faire comme Bruno Le Maire, arrivé à la primaire de la droite avec 1.000 pages de programme en forme d'inventaire. L'ancien ministre de l'Économie et son entourage annonçaient plutôt un "plan de transformation" comprenant entre dix et quinze grands thèmes centraux à développer. Quatre mois plus tard, cette stratégie se heurte à l'impatience des uns et les piques des autres.

"On ne l'a pas fait et on l'assume". Chez Emmanuel Macron, on persiste et signe. "L'exercice scolaire consistant à présenter 250 propositions, on ne l'a pas fait et on l'assume", indique Benjamin Griveaux, porte-parole d'En Marche!. "Ça, c'est un programme de gouvernement, pas un projet présidentiel. On a eu, depuis deux quinquennats, des omniprésidents qui s'occupaient de tout. Nous, on pense que ce n'est pas le rôle du président. Que décider de la date d'ouverture de la chasse à la palombe, ce n'est pas de son niveau." Et qu'il faut donc avant tout "donner de grands engagements", ce fameux "plan de transformation de la société". "C'est là-dessus qu'Emmanuel Macron demandera à être jugé au bout de cinq ans", explique Benjamin Griveaux.

" L'exercice scolaire consistant à présenter 250 propositions, on ne l'a pas fait et on l'assume. "

"D'autres moyens d'être crédible". Dans l'entourage de Benoît Hamon, qui a été très attaqué pendant la primaire de la gauche sur les modalités de mise en œuvre de certaines de ses mesures, notamment le revenu universel, on ne dit pas autre chose. Nicolas Matyjasik, coordinateur du projet du vainqueur de la primaire de la gauche, regrette qu'un "catalogue de promesses" puisse prendre le pas sur "la vision de la société qu'on défend". "C'est de l'étalage que de tout mettre sur la table. Il y a d'autres moyens d'être crédible", estime celui qui pense qu'un message politique se dilue inévitablement dans un inventaire de propositions. "On nous demande de tout montrer, tout doit être visible et finalement, ça devient invisible."

Chiffrer "fait sérieux" mais n'est "pas (toujours) opportun". Le risque de brouillage du message politique est aussi soulevé au Front national. Marine Le Pen a présenté, début février, ses "144 engagements présidentiels". Si certains sont redoutablement précis –la présidente du Front national va jusqu'à choisir le nom du deuxième porte-avion français qu'elle fera construire, "Richelieu"–, les frontistes ont nettement moins détaillé leur chiffrage qu'il y a cinq ans.

Un choix parfaitement assumé par le coordinateur du programme, Jean Messiha. "Descendre à un niveau de granularité très fin ne nous semble pas opportun, même si ça fait sérieux. Pour nous, il faut que le chiffrage contribue à la lisibilité de la vision politique. Si on descend à des niveaux de technicité trop importants, le débat n'est plus accessible aux citoyens." Ce qui serait à tout le moins gênant pour un parti qui se réclame celui du peuple. "Il y a un effort pédagogique à faire", abonde Nicolas Matyjasik, dont le candidat, Benoît Hamon, revendique aussi de s'adresser à tous les Français, même les plus éloignés de la politique.

"On ne peut pas tout prévoir". Tous rappellent aussi que présenter un catalogue exhaustif de mesures bien chiffrées est le meilleur moyen de ne pas tenir ses promesses. "Cela fait trente ans que les politiques gagnent sur les slogans et que c'est déceptif", analyse Benjamin Griveaux. François Hollande est bien placé pour le savoir, lui qui est constamment renvoyé à son discours du Bourget et ses 60 engagements, dont beaucoup n'ont pas ou seulement partiellement été tenus. Notamment ceux qui, en matière économique, étaient bien trop optimistes, comme la réduction du déficit à 3% du PIB dès 2013. "On ne peut pas tout prévoir, surtout dans une économie ouverte comme la nôtre, qui dépend de nombreuses variables exogènes", souligne Jean Messiha au FN. "La politique, c'est aussi la politique des circonstances." Et si Emmanuel Macron a privilégié un "projet" à un "programme", c'est précisément parce que le premier est "indépendant des aléas", insiste Benjamin Griveaux.

" On ne peut pas tout prévoir. La politique, c'est aussi la politique des circonstances. "

Eviter les 1.000 pages de propositions, c'est donc parfois garder une marge de manœuvre. Et se donner le droit d'évoluer. "La campagne, c'est montrer un chemin avec des choses intangibles, sur lesquelles on ne transigera pas, et d'autres qui peuvent être infléchies", explique Nicolas Matyjasik. "Je crois que c'est ça, l'homme politique du XXIe siècle : celui qui admet qu'il peut y avoir des évolutions, des enrichissements."

Imprécisions volontaires ? Reste qu'entre les évolutions nécessaires et les imprécisions volontaires, il est parfois difficile de placer le curseur. Les adversaires d'Emmanuel Macron lui reprochent ainsi d'entretenir volontairement un flou pour ratisser plus large électoralement. Quand chez Macron, on estime que le projet de Marine Le Pen n'est pas chiffré car il n'est pas finançable. "Tant qu'on est dans des débats stratosphériques, elle se débrouille bien", lance Benjamin Griveaux. "Mais quand on va rentrer dans les débats projet contre projet, examiner les conséquences concrètes de son programme, cela va bloquer."

 

Un programme, bon gré mal gré. In fine, tous les candidats semblent devoir se plier à la règle et à élaborer, bon gré mal gré, un programme détaillé. Jean Messiha assure ainsi être "descendu à un niveau de précision très fin" dans le chiffrage du projet de Marine Le Pen, en faisant notamment des projections basées sur plusieurs hypothèses de croissance et d'inflation différentes. "Mais tout n'a pas été rendu public", explique le coordinateur, qui dit réserver les explications techniques aux experts et aux médias spécialisés.

En participant à la primaire de la gauche, Benoît Hamon, lui, a bien dû donner force détails sur son chiffrage. Notamment lorsque l'Institut Montaigne s'est mis en tête de comparer les propositions des candidats. Quant à Emmanuel Macron, il a commencé par ajouter un onglet "projet" à son site internet jeudi, avant de présenter toutes ses propositions le 2 mars. Entre les deux viendra le cadrage budgétaire. Et le candidat de rappeler qu'il ne le fait que contraint et forcé dans L'Obs, jeudi : "Je donnerai le programme pour nourrir le Moloch médiatique et politique. Mais je crois davantage au contrat moral passé avec la nation."

" Je donnerai le programme pour nourrir le Moloch médiatique et politique. "

"On n'a pas été assez pédagogue". Pourquoi tant de pression de la part de ce "Moloch médiatique et politique" ? Pour l'entourage d'Emmanuel Macron, c'est parce qu'il n'a pas l'habitude de mettre la vision avant le catalogue. Que ça le déroute d'avoir un "projet" avant un "programme". "Emmanuel Macron ne va évidemment pas se présenter sans propositions. Et c'est peut-être ça qui n'a pas été compris. On n'a peut-être pas été assez pédagogue", avance Benjamin Griveaux. Pour Nicolas Matyjasik, "si la classe médiatico-politique se concentre sur des points de détail, c'est aussi parce que c'est plus facile que de se poser un questionnement philosophique, de s'intéresser au changement de paradigme par rapport au paradigme productiviste" que propose Benoît Hamon.

Des électeurs réceptifs ? Du côté des électeurs en revanche, les équipes des candidats en sont persuadé : la méthode prend. "Dans la candidature de Benoît Hamon, ce qui est identifié, c'est un discours politique structuré et intelligent sur le monde qui nous entoure", juge ainsi Nicolas Matyjasik. "Les gens ont vu qu'il avait fait un travail de fond, pas forcément en pondant 1.000 pages de programme, mais en montrant qu'il avait une identité, une vision, un paradigme." Benjamin Griveaux, lui, est persuadé que la stratégie d'Emmanuel Macron "trouve un écho chez les gens". "Dans toutes les enquêtes d'opinion, les électeurs jugent qu'il est le plus sérieux, le plus présidentiable, le plus crédible. Ce n'est évidemment pas pour sa bonne mine."