"Gilets jaunes" : l'Assemblée approuve le plan de crise d'Édouard Philippe

Le Premier ministre a détaillé les derniers arbitrages du gouvernement en matière de transition écologique et de pouvoir d'achat.
Le Premier ministre a détaillé les derniers arbitrages du gouvernement en matière de transition écologique et de pouvoir d'achat. © Alain JOCARD / AFP
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, à l'Assemblée nationale , modifié à
Le Premier ministre s'est exprimé mercredi à l'Assemblée nationale pour défendre son plan pour sortir de la crise des "gilets jaunes". L'opposition de droite comme de gauche lui a vertement répondu. Sans surprise néanmoins, Édouard Philippe a été soutenu par sa majorité.

La procédure, prévue par la Constitution, est assez rare sur une actualité brûlante. Son utilisation prouve donc l'urgence de la situation. Édouard Philippe a pris la parole, mardi à 15 heures devant les députés, pour une déclaration "sur la fiscalité écologique et ses conséquences sur le pouvoir d'achat". Le Premier ministre a ainsi exposé une nouvelle fois les diverses mesures déjà annoncées mardi, parmi lesquelles un moratoire de six mois sur la hausse de la taxe carbone, le gel des tarifs du gaz et de l'électricité, ou encore le renoncement à durcir le contrôle technique automobile.

Les ajustements, notamment fiscaux, destinés à calmer la colère des "gilets jaunes", n'ont pour l'instant pas fait mouche auprès des premiers concernés, toujours bien décidés à manifester samedi prochain. Pendant plus de 4h30, l'opposition a pu exprimer ses désaccords et sa colère, tandis que la majorité a assuré le chef du gouvernement de son soutien. Un vote, qui n'engageait pas la responsabilité du gouvernement, s'est soldé par l'approbation de ce plan de sortie de crise, par 358 voix à 194.

Les informations à retenir

  • Édouard Philippe a pris la parole mardi à 15 heures à l'Assemblée nationale, pour détailler les derniers arbitrages du gouvernement en matière de transition écologique et de pouvoir d'achat 
  • Son discours a été suivi d'autres allocutions de chefs de groupe et de députés pendant plus de 4h30
  • Sans surprise au vu du rapport de force à l'Assemblée nationale, ce plan de sortie de crise a été adopté, lors d'un vote qui, de toute façon, n'engageait pas la responsabilité du gouvernement

Le plan de crise approuvé... mais déjà enterré ?

Après 30 minutes de vote, le plan de sortie de crise des "gilets jaunes" d'Édouard Philippe a été largement approuvé, par 358 voix à 194. Rien de très étonnant, au vu des rapports de force dans l'hémicycle, largement favorables à la majorité. Ce plan comporte donc plusieurs volets : gel des tarifs de l'électricité et du gaz, débat sur l'impôt, annulation du durcissement du contrôle technique pour les véhicules et, surtout, un moratoire de six mois pendant lesquels la hausse des taxes sur les carburants est suspendue afin de trouver une solution garantissant le pouvoir d'achat des plus modestes.

Mais si c'est bien sur tout cela que ce sont prononcés les députés, ces mesures n'ont pas été bien longtemps d'actualité… Dans la soirée, l'Élysée a en effet annoncé que toute hausse des taxes sur les carburants était supprimée pour l'année 2019. Selon l'Élysée, contacté par Europe 1, il est en effet "impensable" d'introduire des taxes dans un projet de loi de finances rectificative au printemps prochain.

Édouard Philippe se dit "prêt au dialogue"

"Il est important que le débat politique ait lieu et qu'il soit enfin tranché par un vote." Après plusieurs heures de débats, ou plutôt de prises de parole successives, Édouard Philippe est remonté à la tribune. "Le gouvernement est prêt au dialogue et le démontre", a-t-il déclaré. Rappelant les enjeux du moratoire sur la fiscalité, le Premier ministre a également appelé à l'apaisement. "Ce que nous vivons en ce moment n'est pas sans danger pour nos concitoyens", a-t-il souligné, en faisant allusion aux débordements en marge des manifestations de "gilets jaunes". "C'est pourquoi j'appelle les acteurs du débat public à la responsabilité."

L'opposition se délecte, la majorité se défend

À l'Assemblée, les débats se sont poursuivis dans l'après-midi avec un peu plus de calme (et un peu moins de députés présents). L'opposition n'a pas baissé les bras. Du côté des Républicains, le député Éric Woerth a demandé l'annulation pure et simple des taxes sur le carburant. "La seule réponse qui vaille, c'est l'annulation. Il faut supprimer la hausse des taxes. On ne sort pas de la crise par l’ambiguïté", a-t-il déclaré. Olivier Faure, premier secrétaire du Parti socialiste, s'en est quant à lui pris à Emmanuel Macron. "Vous avez aggravé la situation en quelques mois", a-t-il lancé aux députés de la majorité. "Votre cap est contesté. Jupiter, c'est fini. Moi aussi, je rêve d'un nouveau monde. Dans ce nouveau monde, les valeurs de la République reprennent leur place."

En face, les troupes LREM ont resserré les rangs et les éléments de langage. Jean-Charles Colas-Roy, député de l'Isère, a salué les "décisions de sagesse" d'Edouard Philippe. "Nous les députés seront présents dans l'ensemble des territoires pour écouter les attentes des Français." "Le cap tenu est le bon", a affirmé de son côté Fiona Lazaar. "J'entends nos concitoyens. Il y a une vraie impatience dans notre pays. Tout cela, nous le savons, et c'est bien cela qui motive nos actions depuis 18 mois."

Mélenchon se réjouit que "la France soit entrée en insoumission"

"Votre discours sonne comme un discours d'adieu." Monté à la tribune, Jean-Luc Mélenchon s'est violemment attaqué au Premier ministre, avant de se réjouir du mouvement des "gilets jaunes". "Heureux les jours que nous vivons puisque la France est entrée en insoumission. Voici clamés enfin haut et fort des récits de pauvres vies rendues infernales par un système qui n'encourage que la cupidité, les consommations ostentatoires." Provoquant des huées dans les rangées de LREM, le chef de file de la France insoumise a poursuivi : "Non, la France n'est pas une start-up que dirige un petit génie. On ne peut pas être en même temps l'ami des riches et celui du genre humain."

Du côté des propositions, Jean-Luc Mélenchon a appelé à relever les minima sociaux et rétablir l'impôt sur la fortune, transformé en impôt sur la fortune immobilière l'année dernière. Et rappelé que nombre des revendications de LFI, comme la taxation du kérosène, n'avaient pas été retenues. "Cédez ou partez", a-t-il conclu, théâtral, à l'adresse du gouvernement. "Et quand vous partez, cédez avant."

L'UDI dénonce une majorité "solitaire" et "arrogante"

Jean-Christophe Lagarde, président de l'UDI, a dénoncé "la gouvernance solitaire et l'arrogance d'une majorité" qui n'a pas su, selon lui, écouter les autres partis politiques. "Cette arrogance va avec les petites phrases humiliantes du président de la République." Rétablissement des APL, abaissement de la CSG pour les retraités : le député de Seine-Saint-Denis a proposé plus de "justice fiscale", financée notamment via une nouvelle taxe sur les produits de luxe. 

Par ailleurs, Jean-Christophe Lagarde a encouragé Emmanuel Macron à sortir de son "invraisemblable silence". "Il est de la responsabilité du président de s'exprimer le plus rapidement possible."

Christian Jacob charge Macron... puis Philippe

Premier leader de l'opposition à s'exprimer, le député LR Christian Jacob a lui aussi dû essuyer un brouhaha constant, cette fois venu des bancs de la majorité. Et immédiatement dénoncé le silence d'Emmanuel Macron. "Le vrai responsable est à l'Élysée. Macron est dos au mur, sa responsabilité est historique", a-t-il estimé, avant d'inviter l'exécutif à abroger toutes les taxes sur le carburant. "Vous devez reculer, même si cela vous est insupportable. Aucune autre option ne s'ouvre à vous."

Edouard Philippe en a lui aussi pris pour son grade. Dénonçant sa "rigidité" et son "mépris", Christian Jacob a également fait allusion à sa "trahison au printemps 2017", lorsque l'ancien maire LR du Havre a accepté de prendre la tête du gouvernement d'Emmanuel Macron. "La question de votre maintien à Matignon va très vite se poser", a-t-il également lancé, alors qu'Edouard Philippe, contesté jusqu'au sein de la majorité, apparaît affaibli politiquement par la crise des "gilets jaunes". 

La majorité fait bloc derrière son Premier ministre

C'est Gilles Le Gendre, le chef de file des députés LREM, qui a pris la parole au nom du groupe majoritaire. Copieusement conspué par l'opposition, l'élu de Paris a eu toutes les peines du monde à se faire entendre. Evoquant une démocratie "épuisée par quarante ans de crise non résolue", il a défendu bec et ongle le cap de l'exécutif, et assuré le Premier ministre du soutien de sa majorité. 

Surtout, il s'est adressé aux "gilets jaunes". "Nous comprenons votre colère, elle ne nous est pas étrangère. Mais voulez-vous compromettre par le désordre, la violence, le redressement du pays et son attractivité économique, conditions impérieuses de l’amélioration de votre situation personnelle ? Je suis sûr que ce n’est pas le cas." Gilles Le Gendre a ensuite invité à "accepter la main tendue par le Premier ministre. La méthode proposée par le gouvernement est la bonne".

Edouard Philippe assure le SAV 

Le Premier ministre a pris la parole à 15 heures, applaudi par sa majorité et hué par l'opposition. Une nouvelle fois, il a dit comprendre "la colère de la France qui travaille" ("Il serait temps", a-t-on immédiatement répliqué sur les bancs de la droite). Et précisé que l'augmentation de la fiscalité du carburant, qui doit donc être gelée pour six mois, sera annulée "si nous ne trouvons pas de solution". Le Premier ministre précise néanmoins que cela se fera sans grever la dépense publique.

Ces annonces avaient déjà provoqué la colère ou les railleries des oppositions de tous bords, qui y ont vu des mesurettes et accusé l'exécutif de ne pas avoir pris la mesure de la crise. Dès son arrivée à la tribune, le Premier ministre a dû affronter des députés surchauffés. Chacune de ses phrases a déclenché de vives réactions, tant à gauche qu'à droite.