Le (controversé) centre orthodoxe russe à Paris inauguré sans faste, et sans Poutine

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Le complexe, imaginé par l'architecte français Jean-Michel Wilmotte, s'étend sur plus de 4.700 m2. © PATRICK KOVARIK / AFP
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Romain David avec AFP , modifié à
Sur les bords de Seine, le centre culturel et orthodoxe russe a été inauguré mercredi alors même que les relations franco-russes se sont tendues ces dernières semaines à propos du conflit syrien.

Il a été au cœur des tensions entre la France et Moscou au sujet du dossier syrien. L’imposant centre spirituel et culturel orthodoxe russe, que devait honorer de sa présence Vladimir Poutine, a finalement été inauguré mercredi, sans le chef du Kremlin.

Refroidissement diplomatique. Le président russe avait choisi d'annuler sa visite en France, alors que l’exécutif souhaitait la conditionner à une réunion de travail sur Alep, la Russie ayant posé son veto à une résolution française à l’ONU pour stopper les bombardements sur la ville martyre. Malgré l’absence de Vladimir Poutine, la Fédération de Russie n’a pas souhaité reporter l’ouverture de son grand centre orthodoxe. Mercredi, était présent pour l’inauguration le ministre russe de la Culture Vladimir Medinsky, et l'ambassadeur russe en France, Alexandre Orlov, mais aussi, côté français, un parterre de responsables politiques dont le secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement, Jean-Marie Le Guen, la maire PS de Paris Anne Hidalgo, la maire du VIIe arrondissement Rachida Dati (LR) ou encore le député du Gard FN Gilbert Collard.

Un renforcement de la coopération franco-russe ? "Je suis persuadé que le nouveau centre va occuper une place digne dans tous les monuments historiques culturels de la France, qu'il va jouer un rôle très important pour le renforcement des liens entre nos deux peuples et pour le renforcement de la coopération entre nos deux pays", a déclaré Vladimir Poutine, cité mercredi par son ministre Vladimir Medinski.

La vitrine du "soft-power russe". Le complexe, imaginé par l'architecte français Jean-Michel Wilmotte, doit réunir sur plus de 4.700 m2 un centre culturel comprenant une librairie, des salles d’exposition et une cafétéria. Mais aussi une école franco-russe pouvant accueillir 150 élèves, une maison paroissiale comportant un auditorium de 200 places, des appartements ainsi que les bureaux du service culturel de l’ambassade de Russie, le tout autour d’une cathédrale orthodoxe que domine cinq bulbes dorés, dont le plus imposant culmine à 37 mètres. Bref, un symbole massif du "soft-power russe" en plein cœur du 7e arrondissement, selon le mot de Tatiana Kastouéva-Jean, responsable du Centre Russie/Nouveaux Etats indépendants à l’Institut français des Relations internationales.

" Le choix de l’emplacement n’est pas dû au hasard "

Mauvais timing. Interrogée par Europe1.fr, cette spécialiste décrit un centre "conçu comme la vitrine du monde russe à un moment où la Russie voulait mettre l’accent sur son rayonnement culturel en dehors de ses frontières". "Le choix de l’emplacement n’est pas dû au hasard, nous sommes en plein Paris, à deux pas de la Tour Eiffel", relève-t-elle, mais aussi à mi-chemin entre l’Elysée et le Quai d’Orsay. Presque dix ans après la naissance du projet, pensé comme le point d'orgue d'un rapprochement diplomatique entre Moscou et Paris, l’inauguration du centre "correspond finalement au pic de refroidissement des relations franco-russes". "On ne sait pas trop quand les activités officielles vont commencer. Pour l’instant, les responsables font plutôt profil bas…", relève encore Tatiana Koustéva-Jean.

Un projet controversé. Ce petit "Kremlin-sur-Seine", qui bénéficie de l'immunité diplomatique, a de fait subi un certain nombre de péripéties depuis son lancement après une visite en France, à l'automne 2007, d'Alexis II, alors patriarche de Moscou. L'ancien président Nicolas Sarkozy s'était dit prêt à soutenir ce projet rêvé par Vladimir Poutine. Fin 2012, Bertrand Delanoë, encore maire de Paris, avait cependant fait part de son hostilité esthétique quant à l’édifice imaginé par l’Espagnol Manuel Nunez Yanowsky. C'est finalement la copie du Français Jean-Michel Wilmotte, moins ostentatoire, qui a été retenue. Le dernier obstacle sur ce chemin hérissé d'écueils a été levé fin septembre : exigeant une compensation au démantèlement du groupe Ioukos, les ex-actionnaires de l'empire pétrolier avaient demandé la saisie du terrain accueillant le centre, avant de renoncer à ce bras de fer fin septembre en se désistant devant la justice.

Le patriarche de Moscou. Les fidèles orthodoxes devront attendre le 4 décembre pour l'inauguration religieuse de leur nouvelle cathédrale. C'est en effet ce dimanche-là que la dédicace (consécration) de l'église aura lieu, sous la présidence du patriarche "de Moscou et de toute la Russie", Kirill. Et ce n'est qu'en 2017 que le monument sera doté de son iconostase (cloison intérieure revêtue d'icônes) et de ses fresques.

Etat et Eglise. La cathédrale sera placée sous la protection de l'église de Moscou, plus conservatrice et nationaliste que le patriarcat œcuménique de Constantinople auquel est attachée la cathédrale de la rue Daru à Paris, l’autre grand édifice religieux russe en France. "Il semble qu'aujourd'hui les deux communautés s'entendent bien", note Tatiana Koustéva-Jean, qui rappelle les liens tissés par Vladimir Poutine avec le patriarcat de Moscou. Selon elle, la présence du service culturel de l'ambassade au sein même de la maison paroissiale du centre "trahit complètement le lien étroit entre Etat et Eglise en Russie".