L'accord sur le Brexit rejeté, que va-t-il se passer ?

La Première ministre britannique, Theresa May, a vu son accord sur le Brexit rejeté. Il lui faut rapidement trouver un plan B.
La Première ministre britannique, Theresa May, a vu son accord sur le Brexit rejeté. Il lui faut rapidement trouver un plan B. © JOHN THYS / AFP
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Mardi soir, les députés britanniques ont rejeté l'accord négocié par Theresa May sur le Brexit. Si la Première ministre reste à son poste, il lui faut absolument trouver un plan B.
ON DÉCRYPTE

L'issue du vote ne faisait aucun doute, mais la défaite fut plus cuisante encore qu'attendu. Mardi soir, les députés britanniques ont rejeté l'accord sur le Brexit négocié par Theresa May avec Bruxelles, par 432 voix contre et 202 pour.

Un échec historique qui rebat les cartes pour la suite. Que va-t-il se passer outre-Manche ? Alors que la Première ministre britannique a résisté à un vote de défiance, mercredi soir, plusieurs scénarios sont toujours sur la table, d'une sortie "sèche" de l'Union européenne à l'organisation d'un second référendum.

May propose un nouvel accord, "suicide politique" sauf si…

Theresa May a, en théorie, trois jours pour proposer un "plan B" amendable par le Parlement. Le député conservateur Dominic Grieve a fait voter un amendement en ce sens la semaine dernière. Au vu de cet intenable délai, la Première ministre britannique peut en réalité simplement s'engager à renégocier un meilleur accord auprès des 27 ex-partenaires européens.

Une renégociation semble pourtant très difficile. D'abord parce que les dirigeants européens ont déjà, à plusieurs reprises, signifié qu'ils avaient fait suffisamment de concessions et ne donneraient rien de plus. D'autant que, lors de leurs dernières entrevues avec Theresa May, celle-ci avait été incapable d'être force de proposition et de dire ce qu'elle voulait vraiment.

Tout ce que Theresa May pourrait obtenir, ce sont donc des ajustements à la marge. Pas de quoi convaincre ses députés de changer d'avis en cas de second vote sur un nouvel accord. "Ce serait un véritable suicide politique pour elle" que de subir un autre échec au Parlement, explique à France 24 Matt Beech, professeur à l'université de Hull.

Sauf si les députés abdiquent face à l'absence d'alternative. "Globalement, la stratégie de May est de les avoir à l'usure et de les mettre face à leur incompétence", analyse Agnès Alexander Collier, professeure de civilisation britannique à l'Université de Bourgogne-Franche-Comté dans La Croix. "C'est son leitmotiv depuis le début : ils critiquent mais ne proposent rien."

Un "no-deal" qui effraie tout le monde

Autre scénario : le Royaume-Uni sort de l'Union européenne sans accord du tout. Ce "no-deal" a jusqu'ici joué le rôle de repoussoir, tant les problèmes posés seraient grands. Cela signifierait un rétablissement des frontières. "Quasiment tous les experts, les économistes, les chefs de grandes entreprises, sont d'accord pour dire que cela impliquerait un gros coup pour l'économie britannique", explique sur Europe 1 Jon Henley, correspondant du Guardian en France.

" Il est essentiel que le Parlement britannique se mette d'accord sur une solution capable d'avoir une majorité. Sinon, je ne vois aucune autre possibilité que celle d'une sortie sans accord. "

Les conséquences concrètes se comptent par milliers : hausse des prix, difficultés d'acheminement puisque la libre-circulation des personnes et des marchandises ne serait plus assurée à Calais et Douvres. "La Grande-Bretagne importe 40% de sa nourriture et beaucoup de ses médicaments", rappelle Jon Henley. "Dans le cas d'un 'no-deal', il y aura de gros délais. Le ministère de l'Intérieur a par exemple dit qu'il était devenu le plus grand acheteur de réfrigérateurs au monde, afin de stocker des médicaments. Et les supermarchés commencent à stocker des boîtes de nourriture."

Sans compter le rétablissement d'une frontière entre la République d'Irlande et la province d'Irlande du nord, scénario que le Royaume-Uni voulait absolument éviter. Enfin, se poserait la question des conditions auxquelles les citoyens européens qui vivent au Royaume-Uni pourraient rester, et vice-versa : qu'adviendra-t-il pour les Britanniques résidant dans d'autres pays de l'Union européenne ?

Reste qu'aujourd'hui, dans la classe politique britannique et au sein de la population, les fervents partisans du Brexit préfèrent encore un "no-deal" à des négociations qui traînent en longueur et n'aboutissent à rien. "Ce qui est essentiel maintenant, c'est que le Parlement britannique se mette d'accord sur une solution capable d'avoir une majorité", résume Jon Henley. "S'il n'y arrive pas, je ne vois aucune autre possibilité que celle d'une sortie sans accord."

L'hypothèse d'un second référendum monte en puissance, mais…

Il y en a pourtant une autre : celle de l'organisation d'un second référendum. Impensable il y a deux ans, elle devient de plus en plus citée, poussée par les députés travaillistes et les autres partisans du maintien du Royaume-Uni dans l'Union européenne. "Il conviendrait de refaire parler le peuple", estime ainsi l'eurodéputé français Alain Lamassoure dans La Croix. "Il pourrait y avoir deux questions : approuvez-vous l'accord négocié avec Bruxelles ? Et si non, voulez-vous que le Royaume-Uni reste dans l'Union européenne ?"

" Nous devons soutenir immédiatement un vote du peuple comme moyen d'arrêter une sortie sans accord et de résoudre [cette crise]. "

Le problème, c'est que pour organiser un second référendum, il faut que le Parlement y soit majoritairement favorable, "ce qui n'est pas gagné", reconnaît Alain Lamassoure. Les pro-Brexit ne veulent pas en entendre parler. Et même chez les travaillistes, l'idée ne séduit pas tout le monde, notamment Jeremy Corbyn, le leader, qui entretient une délicate ambigüité sur le sujet. Mercredi matin, l'un des députés de son camp mais qui s'oppose à lui, Chuka Umunna, l'a pressé de se montrer plus clair. "Nous devons […] soutenir immédiatement un vote du peuple comme moyen d'arrêter une sortie sans accord et de résoudre [cette crise]."

Le second référendum est également rejeté par Theresa May, qui y voit un non-respect de la volonté des Britanniques qui se sont démocratiquement exprimés en juin 2016. Elle l'a répété une nouvelle fois mercredi, devant la Chambre des communes. Sans compter que l'issue d'une nouvelle consultation n'est absolument pas certaine. Qui dit nouveau référendum dit nouvelle campagne électorale, et potentiellement l'implosion d'une société britannique déjà profondément divisée sur le sujet du Brexit.

S'acheter un peu de temps supplémentaire ?

La seule chose certaine, c'est que la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne est prévue le 29 mars à minuit (23 heures en France). Le temps presse donc, et Theresa May pourrait vouloir s'en arroger un peu plus. "On ne sera pas prêt, c'est presque certain", reconnaît le journaliste Jon Henley sur Europe 1. "Mais il y a une clause dans [l'article 50] du Traité de l'Union européenne qui permet au pays sortant de reporter de deux ou trois mois." Le Brexit serait ainsi programmé à l'été. "C'est juridiquement et techniquement possible", a indiqué Nathalie Loiseau, ministre française chargée des Affaires européennes, mercredi sur France Inter. "Il faut un accord à l'unanimité des 27 membres de l'Union européenne. C'est possible, mais tout dépend pour quoi faire. Car si c'est pour demander davantage de concessions, on va être embarrassés."

D'autant qu'on ne peut pas repousser indéfiniment. Trois mois semble être le maximum, puisqu'avec des élections européennes à la fin du mois de mai, un nouveau Parlement sera constitué à Strasbourg fin juin. Nouveau Parlement sans eurodéputés britanniques, donc.

 

 

 

Pourquoi Theresa May ne va pas partir

Il peut sembler fort étrange que la Première ministre britannique ait réussi à se maintenir à son poste en dépit d'un échec aussi cuisant au Parlement. Mais en réalité, si Theresa May a perdu le vote de mardi, c'est qu'au sein de son propre camp, on a voté contre son accord. Cela ne signifie pas que ces "frondeurs" ont voté la défiance. "Le pire cauchemar de son parti, ce serait un gouvernement mené par le leader socialiste Jeremy Corbyn", notait d'ailleurs Jon Henley pour Europe 1. "Les députés conservateurs ont beau détester l'accord que May a signé avec l'Union européenne, ils veulent rester au pouvoir."

Quant à s'organiser en interne, au sein des conservateurs, pour faire tomber Theresa May, c'est également très improbable. Un putsch avait déjà été tenté en décembre dernier, en vain. Notamment parce qu'aucune personnalité ne s'impose comme alternative.