Isolement, djihadisme, rivalités... Pourquoi est-il si difficile d'aider les victimes syriennes du séisme ?

L'aide aux victimes en Syrie s'avère bien plus délicate qu'en Turquie pour diverses raisons diplomatiques.
L'aide aux victimes en Syrie s'avère bien plus délicate qu'en Turquie pour diverses raisons diplomatiques. © KARIM SAHIB / AFP
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Romain Rouillard , modifié à
Selon le nouveau bilan officiel, le séisme de magnitude 7,8, qui a frappé le sud-est de la Turquie en début de semaine dernière, a coûté la vie à 25.000 personnes. Si la majorité des victimes se trouvait en territoire turque, la Syrie paie elle aussi un lourd tribut mais éprouve les pires difficultés à obtenir de l'aide internationale.

L'annonce a suscité une vague d'espoir dans les zones syriennes ébranlées par le puissant séisme qui a mis à sac toute la région séparant la Syrie de la Turquie voisine. Ce vendredi, Bachar Al-Assad, l'homme fort de Damas, a fini par autoriser l'acheminement de l'aide international à l'ensemble du pays, y compris dans les territoires contrôlés par des groupes rebelles, opposés au pouvoir central. Jusqu'à présent, seule la Turquie bénéficiait d'une confortable vague de soutien, 45 pays ayant même proposé leur aide à Ankara selon le président turc Recep Tayyip Erdogan. Alors que le bilan humain faisait état de 25.000 morts ce samedi, la Syrie apparaissait comme la grande oubliée de cette assistance internationale et ne pouvait compter que sur son seul allié : Moscou.

La Syrie, territoire isolé

Il faut dire que le pays baigne depuis 11 ans dans une guerre civile opposant le pouvoir central mené d'une main de fer par Bachar Al-Assad et diverses rébellions armées. Un conflit qui a progressivement isolé Damas et son dirigeant autoritaire et qui complexifie aujourd'hui l'envoi de secouristes dans la région. Le séisme a notamment frappé la zone rebelle d'Idlib, dont l'accès est sévèrement contrôlé par le régime, et endommagé l'unique point de passage depuis la frontière turque. L'aide apportée à la Syrie après cette catastrophe naturelle, a donc pris des allures de casse-tête pour les Occidentaux dont les relations diplomatiques avec Damas sont désormais réduites à la portion congrue. 

S'agissant de la France, elles sont même au point mort depuis 2012. "Cela complique considérablement l'envoi de secouristes", fait valoir Fabrice Balanche, enseignant à l'université de Tours maître de conférences en géographie à l'Université Lyon-2 et spécialiste du Proche-Orient. "Par ailleurs, pour Paris, il est délicat d'envoyer de l'aide sur place car on ne peut pas être certain de la bonne répartition de celle-ci. Or, il faut que cette aide aille à tout le monde, y compris dans les zones rebelles". Une condition que le régime syrien a donc finie par accepter ce vendredi. 

Le risque de blocage turc 

La région est en effet divisée en quatre zones contrôlées par des entités différentes. Apporter un soutien logistique dans l'une de ces zones revenait alors à en priver une autre et pouvait engendrer d'importantes secousses diplomatiques. "Par exemple, envoyer des secours à Alep, une ville contrôlée par le régime, ce serait reconnaître qu'il y a plus de sécurité dans la zone gouvernementale", illustre Fabrice Balanche. "Quant au territoire rebelle d'Idlib, il est aux mains du groupe Hayat Tahrir al-Cham, une ancienne branche d'Al-Qaïda. C'est un émirat islamique dans laquelle on trouve notamment des djihadistes français", assure le spécialiste. L'équation paraissait donc bien insoluble pour les Occidentaux, logiquement réticents à s'aventurer dans cette partie du globe. 

Enfin, l'attitude de la Turquie constitue un point de blocage non négligeable à l'acheminement de vivres en Syrie. "Les Turcs veulent qu'on les aide eux en priorité. Erdogan joue une partie de sa réélection là-dessus. Et il est impossible de prendre la direction de la Syrie par la route depuis la Turquie sans l'accord d'Ankara", souligne Fabrice Balanche. Sans compter la haine viscérale que voue le régime turc aux populations kurdes, qui vivent encore dans la région, et qui ne peuvent donc rien espérer d'Ankara. 

Ce samedi, depuis Alep, Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l'organisation mondiale de la santé (OMS) a annoncé l'arrivée de "près de 37 tonnes de fournitures médicales d'urgence". Une aide bienvenue pour qui ne suffira probablement pas pour tirer d'affaire une population déjà meurtrie par la guerre civile.