Comment les romans de John Le Carré nous aident à décrypter la géopolitique mondiale

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François Clémenceau, chef du service international du Journal du Dimanche
Le dernier livre du maître de la littérature d’espionnage, John Le Carré, sort jeudi en Grande-Bretagne et aux États-Unis. Comme dans tous ses romans, l'auteur continue de livrer des clefs pour anticiper les crises géopolitiques à venir.
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L’année dernière déjà, il révélait à 84 ans dans ses Mémoires que la plupart de ses héros étaient bien calqués sur les vrais acteurs du monde opaque des officiers de renseignement et de leurs sources vivantes. Avec son dernier roman, A Legacy of Spies, John Le Carré est encore dans le bilan d’une vie. Et pour le bonheur de ses fidèles lecteurs, il fait revenir, après plus de vingt-cinq ans d’absence, son héros George Smiley, le personnage central de La Taupe ou de L’Espion qui venait du froid. Non pas en chair et en os, car Smiley est plus que centenaire, mais dans des flash-backs qui rythment des règlements de compte actuel dans le renseignement britannique.

Le dessous des cartes. John Le Carré nous replonge dans le monde de la guerre froide. C’est là son objectif. Car il a toujours su et voulu nous faire comprendre le dessous des cartes. Quels étaient les enjeux de la rivalité entre l’Union soviétique et le monde libre puis, après la chute du communisme et l’arrivée de la mondialisation, comment les grandes puissances ont favorisé, parfois à leur insu, les guerres les plus abominables en Afrique centrale avec Le Chant de la mission qui se passe dans le Kivu, ou dans le Caucase avec Notre Jeu.

Un monde où rien n’est jamais tout noir ou tout blanc. Il anticipe aussi la cohabitation des organisations criminelles avec les services comme dans Le directeur de Nuit, ou l’exploitation des djihadistes par les Russes et les Américains dans Un homme très recherché. Bref, le monde de Le Carré est très proche de la réalité géopolitique, qui n’est ni noire ni blanche mais souvent grise avec des choix à faire entre de mauvaises solutions et des moins pires. Les critiques qui ont déjà lu A Legacy of Spies estiment que Le Carré décrit aussi en creux l’Angleterre du Brexit, un Royaume-Uni qui se replie sur lui-même comme s’il ne pouvait plus défendre les valeurs de l’Europe.

Un auteur à enseigner ? John Le Carré devrait être étudié à l'école. Peut-être pas dès le plus jeune âge, mais certainement à l’âge des idéalismes trompeurs qu’exploitent les populistes. Regardez le succès en France de la série Le Bureau des Légendes sur la DGSE. Son auteur Éric Rochant décrit un monde très loin de James Bond, et des bons contre les méchants. Son maître s’appelle John Le Carré.