À Londres, le terrorisme se combat "d'abord sur le terrain de la communication"

Une attaque à la voiture bélier a fait trois morts mercredi à Londres.
Une attaque à la voiture bélier a fait trois morts mercredi à Londres. © AFP
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Dès le lendemain de l'attaque qui a fait trois morts à Londres, la vie y a repris son cours, jeudi. Pour les Britanniques, il n'est nullement question d'instaurer des mesures comparables à l'état d'urgence français.  
INTERVIEW

 

"Nous n'avons pas peur", martèle la Première ministre britannique. Moins de 24 heures après l'attaque terroriste qui a fait trois morts et plusieurs dizaines de blessés sur le pont de Westminster et près du Parlement britannique, à Londres, les députés ont siégé normalement autour de Theresa May, jeudi. Le niveau d'alerte terroriste du pays, pourtant peu habitué aux attentats ces dernières années est resté fixé à "grave", le quatrième sur une échelle de cinq, comme c'est le cas depuis août 2014. Une réaction qui trouve ses racines dans l'histoire et les mentalités britanniques, explique François Heisbourg, président de l'International institute for strategic studies (ISS), basé à Londres, et auteur de "Comment perdre la guerre contre le terrorisme".

Au lendemain de l'attaque qui a visé la capitale britannique, la vie ne semble pas s'arrêter à Londres. Comment expliquez-vous cette volonté d'aller si vite de l'avant ?  

Les autorités et la société britanniques ont connu les attentats de l'IRA (l'armée républicaine irlandaise, à l'origine de nombreuses attaques meurtrières jusqu'aux années 1990, ndlr). Ils savent depuis longtemps, à cause de cela, que le terrorisme est une bataille qui se mène d'abord sur le terrain de la communication. On voit qu'elle est beaucoup plus cadrée, beaucoup plus maîtrisée que lors d'attentats en France.

C'est aussi dans cette optique que le nom du suspect n'a pas immédiatement été dévoilé par les autorités après son identification. Certains médias le connaissent aussi mais ne le donnent pas : il y a une forme de retenue, même dans leur mission d'information. Cela permet d'éviter de faire monter la température et de créer une atmosphère assez anxiogène. Et c'est un mécanisme vertueux : en l'absence d'une telle ambiance, le Parlement ne se lance pas dans des débats sur les mesures d'exception ou la déchéance de nationalité : l'opinion publique ne le réclame pas.

Cela veut-il dire qu'il est impensable que le Royaume-Uni instaure un état d'urgence "à la française" ?

L'expérience de l'IRA a donné un autre avantage, si on peut parler ainsi, aux Britanniques : ils ont eu l'occasion d'expérimenter les différentes solutions qui s'offraient à eux, y compris les procès expéditifs et les assignations à résidence. Mais à long terme, elles ne se sont pas avérées efficaces contre le terrorisme. Elles ont d'ailleurs été abandonnées dès le début des années 1970, alors que les attaques n'avaient pas cessé. Ce que vit la France depuis quelques années, on peut en fait estimer que le Royaume-Uni l'a déjà vécu. Cela évacue certains débats.

Au-delà de la gestion de crise, comment le pays lutte-t-il contre le terrorisme ?

Par des mesures assez classiques. Les patrouilles et la sécurité sont renforcées, on l'a bien vu autour du parlement : l'assaillant s'est rapidement trouvé nez à nez avec des militaires. Le Royaume-Uni a aussi une culture du renseignement très ancienne, qui fait partie d'un univers institutionnel, politique et stratégique établi depuis un siècle. Mais dans le cas d'attaques de ce genre, avec une voiture, c'est extrêmement difficile à prévoir. Le pays partage cette problématique avec tous les pays occidentaux visés par le terrorisme.

Le Royaume-Uni n'avait pas connu d'attentat majeur depuis 2005. N'est-ce pas une preuve d'une efficacité particulière de son système antiterroriste ?

En France, entre 1996 et le début de l'année 2012, il n'y a eu aucun attentat terroriste. Peut-on pour autant en déduire que le système antiterroriste fonctionnait parfaitement ? Pas sûr. Je pense qu'il faut se méfier de ce genre de raccourci. Il y a beaucoup d'autres explications possibles, notamment dans le choix des cibles des assaillants. En matière de terrorisme, on ne peut de toute façon pas se reposer sur ses lauriers.