Ukraine : les oublis choisis de Poutine

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HISTOIRE - Pour justifier sa politique vis-à-vis de l’Ukraine, le Kremlin pioche ce qui l’intéresse dans l’histoire de la Russie.

En Russie, c’est le 9 mai, et non le 8 mai comme chez nous, qu’on commémore la victoire des Alliés sur l’Allemagne nazie. Y compris en Crimée, fraîchement passée sous autorité russe, où la ville de Sébastopol accueille vendredi une parade militaire. Le président russe Vladimir Poutine pourrait bien s’y rendre en personne. Drôle d'idée, pour son premier déplacement dans la péninsule depuis le rattachement. Mais rien d’étonnant dans un pays qui, "en ce moment, instrumentalise la mémoire historique à des fins politiques", analyse pour Europe 1 Tatiana Kastouéva-Jean, responsable du centre Russie/NEI à l’Institut français des relations internationales (Ifri).

Parade commémorative en Russie

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La "Grande guerre patriotique" invoquée… Bien souvent, le discours russe sur la crise en Ukraine utilise le souvenir de la lutte contre l’Allemagne nazie, appelée à Moscou la "Grande guerre patriotique". Et pour le pouvoir russe, les nationalistes ukrainiens qui figurent parmi les nouvelles autorités de Kiev sont d’ailleurs des "fascistes". Comme l’expliquait en mars François-Bernard Huyghe, spécialiste de la propagande et directeur de recherches à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), les Russes ont "tendance à voir dans beaucoup de mouvements séparatistes dans leurs anciens blocs une résurgence" des courants fascistes. Dernier exemple en date : un "Livre blanc" publié début mai, dans lequel Moscou dénonçait des violations "massives" des droits de l’Homme. Tout en mélangeant des photos des membres du groupe paramilitaire nationaliste Pravy Sektor avec des images… de l’occupation allemande pendant la Seconde Guerre mondiale.

La couverture du "Livre blanc" :

… Quitte à faire des "oublis". Reste que cette mémoire de la "Grande guerre patriotique" est pour le moins "sélective" : le pacte Molotov-Ribbentrop est par exemple "soigneusement oublié" par le Kremlin, souligne Tatiana Kastouéva-Jean. Pas question en effet de rappeler aux Russes la signature du Pacte germano-soviétique de 1939… Moscou ne met en avant "que des moments qui glorifient la Russie, la mettent en valeur, culpabilisent et dévalorisent l’Occident". Dans le cas de l’Ukraine, tout est bon pour justifier la politique du Kremlin et prouver que le pays, "sous sa forme actuelle, est un ‘accident’ de l’histoire, qui n’a pas de viabilité et de légitimité".

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Poutine et la "Nouvelle Russie". Le pouvoir russe n’hésite donc pas à revenir quelques siècles en arrière, en faisant référence par exemple à la "Petite Russie", ou "Malorossiya", qui désignait jadis l’Ukraine. Un autre concept semble aussi faire particulièrement recette auprès des pro-russes dans l’est de l’Ukraine ou à Odessa, celui de la "Nouvelle Russie", ou "Novorossiya" : le terme désigne les terres situées au nord de la mer Noire, au sud de l’actuelle Ukraine, conquise par l’Empire russe à la fin du 18e siècle. Vladimir Poutine y a fait allusion dans un discours prononcé le 17 avril dernier. Sans surprise, on retrouve le terme dans la bouche de leaders pro-russes en Ukraine, ainsi que tagué sur les murs d’Odessa, comme le montre cette photo postée sur Twitter par un journaliste.

La "faute" de Krouchtchev. En clair, "tout ce qui nie l’indépendance et la souveraineté de l’Ukraine en ce moment est ‘bon à prendre’", souligne Tatiana Kastouéva-Jean, la chercheuse de l'Ifri. Vladimir Poutine n’hésite donc pas à tacler ses prédécesseurs, dénonçant la "faute" de Nikita Khrouchtchev, accusé d’avoir bradé la Crimée en l’offrant à l’Ukraine en 1954. Une erreur évidemment "réparée" par le président russe. Quant à Mikhaïl Gorbatchev, le dernier dirigeant de la Russie soviétique, il se voit pointé du doigt pour avoir causé la désintégration de l’URSS et donc la perte de l’Ukraine. Une "faute" qui pourrait même valoir à l’octogénaire des ennuis avec la justice : des députés russes ont réclamé à la mi-avril l’ouverture d’une enquête pour déterminer sa responsabilité dans l’éclatement de ce "grand pays". 

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