Qui sont les ultranationalistes russes ?

Le plus grand rassemblement a réuni environ 8.000 personnes dans un quartier modeste de la périphérie sud-est de Moscou, selon la police. Les demandes des organisateurs de se rapprocher du centre-ville ont été rejetées.
Le plus grand rassemblement a réuni environ 8.000 personnes dans un quartier modeste de la périphérie sud-est de Moscou, selon la police. Les demandes des organisateurs de se rapprocher du centre-ville ont été rejetées. © Reuters
  • Copié
Charles Carrasco , modifié à
INTERVIEW - Des milliers de personnes ont participé à des "Marches russes" lundi dans plusieurs villes du pays.

L'INFO. Après le meurtre d'un Russe tué récemment par un Azerbaïdjanais, la vague anti-immigrés ne faiblit pas. Le nom de cette manifestation de lundi est là pour le rappeler : la "Marche russe". Des milliers de personnes ont participé lundi à Moscou à un défilé annuel contre la présence des populations d'ex-républiques soviétiques. Des rassemblements de ce type ont également eu lieu dans d'autres villes du pays. Ils étaient notamment près de 3.000 à Saint-Pétersbourg, plusieurs centaines à Krasnoïarsk en Sibérie, sous la neige. Les ultranationalistes ont profité de ce jour férié créé par Vladimir Poutine en 2005, qui commémore la libération en 1612 de Moscou, pour occuper la rue.  

nazis russes 930

© Reuters

Qui sont-ils ? Les partis qui ont défilé lundi matin sont plutôt l'équivalent "du mouvement Bloc identitaire en France. C'est un amalgame de groupuscules plus qu'un véritable parti extrémiste", explique Philippe Migault, directeur de recherches à l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), interrogé par Europe1.fr. "On a une constellation de petites formations politiques" qui, pour l'instant, ne sont pas représentées à la Douma, le parlement russe. Cette frange nationaliste est un attelage extrêmement hétéroclite au niveau du corpus idéologique : "des néo-paganistes, des néo-nazis arborant des sigles de la Waffen-SS, des skinheads, des gens qui se réclament d'un nationalisme plus conservateur, éventuellement des monarchistes très croyants et orthodoxes", détaille Philippe Migault. Parmi les revendications des manifestants lundi à Moscou figuraient l'introduction d'un régime de visas en Russie pour les immigrés des ex-républiques soviétiques d'Asie centrale et du Caucase. Une idée à laquelle le maire de Moscou Sergueï Sobianine, du même parti que Poutine, s'est déclaré favorable.

Toutefois, le nationalisme "transcende la classe politique en Russie", assure  Philippe Migault. En clair, il n'est pas uniquement l'apanage de l'extrême droite mais également de l'extrême gauche. "Ziouganov, qui est le chef du parti communiste russe, a pris des positions nationalistes assez tranchées", renchérit ce spécialiste de la Russie. "C'est quelque chose que l'on retrouve dans 95% du corps électoral. Navalny est un nationaliste. Poutine est un nationaliste… Tous les grands leaders sont des nationalistes. La majeure partie de l'électorat est nationaliste", explique ce spécialiste de la Russie.

>>> Quelles sont les figures de ce nationalisme russe ?

navalny 930

© Reuters

Alexeï Navalny, l'anti-Poutine nationaliste.Alexeï Navalny est aujourd'hui la figure nationaliste la plus connue en Russie. Cette année, il a renoncé à participer à la "Marche russe", expliquant sur son blog qu'il ne voulait pas donner au Kremlin l'occasion de le discréditer. Alexei Navalny, dont la position de principal opposant à Vladimir Poutine a été renforcée après sa deuxième place à l'élection du maire de Moscou en septembre, a déclaré que cette manifestation ne devait pas être vue comme un rassemblement de personnes "faisant le salut nazi", la plupart des participants étant "des gens tout à fait normaux". Mais dans le fond, "Navalny et Marine Le Pen sur le thème de l'immigration, c'est le même combat", assure Philippe Migault, spécialiste de la Russie.

demouchkine 930

© Reuters

Demouchkine, l'anti-immigré. Le chef de file du mouvement "Les Russes", l'ultra-nationaliste Dmitri Demouchkine, figurait lui parmi les manifestants exhibant des banderoles comme celles-ci : "aujourd'hui une mosquée, demain le djihad". Il réclame l'introduction de mesures destinées à limiter l'arrivée en Russie d'immigrés d'ex-républiques soviétiques du Caucase et d'Asie centrale. "Il y a une vraie inquiétude de la population", constate Philippe Migault. En effet, dans un sondage réalisé par le centre Levada avant l'élection du maire de Moscou en septembre, plus de la moitié des électeurs se disaient préoccupés avant tout par l'immigration. Cette "méfiance vis-à-vis des étrangers est très répandue en Russie", constate Philippe Migault. La preuve ? De violentes émeutes anti-immigrés provoquées par le meurtre d'un jeune Russe tué par un Azerbaïdjanais à Birioulevo avaient éclaté. Par la suite, la police avait lancé de vastes opérations contre les immigrés, procédant à l'interpellation de plus d'un millier de personnes.

Jirinovski 930

© Reuters

Jirinovski, le populiste "fréquentable". Une autre manifestation organisée par le Parti libéral-démocrate (LDPR) de l'ultranationaliste Vladimir Jirinovski a réuni plus d'un millier de personnes sur la place Pouchkine, au cœur de la capitale. Cet homme, qui a des origines juives, est quelqu'un qui maîtrise les langues turcophones et qui connaît bien l'histoire de ces républiques d'Asie centrale. "Dès les années 90, à la faveur de la démocratisation et la fin de l'Union soviétique, il s'est imposé à la tête du LPDR avec un programme assez extrémiste. Mais, "derrière ces propos outranciers, il fait le jeu du pouvoir. C'est celui sous qui l'extrême droite russe reste sous contrôle", assure Philippe Migault pour qui cette personnalité de la vie politique représente la frange la plus "fréquentable" des nationalistes. Vladimir Jirinovski est davantage "un histrion. Il a un talent oratoire indéniable. Il sait manipuler l'inconscient collectif", décrit Philippe Migault. Sous sa gouverne, son parti "qui a fait des concessions, prend bien garde de rester dans la légalité", assure-t-il.

poutine G8 930

© Reuters

Poutine fait-il le jeu des nationalistes ? Des analystes et critiques du Kremlin reprochent depuis des années à Vladimir Poutine, arrivé au pouvoir en 2000, de promouvoir des sentiments nationalistes dans la société russe pour asseoir son autorité. Vladimir Poutine devait d'ailleurs commémorer la journée de l'Unité en participant à une exposition à Moscou dédiée à la dynastie des Romanov -qui régna de 1613 à 1917- en compagnie du patriarche orthodoxe russe Kirill. Poutine fait-il le jeu de ce nationalisme ? "Certainement mais c'est un mauvais procès. Poutine est quelqu'un qui va défendre une vision de la grande Russie et en même temps, il va souligner le lendemain que c'est un Etat multiethniques, multiconfessionnelles est qu'il faut préserver", conclut Philippe Migault.