Quand les aides au développement profitent aux multinationales

Jim Yong-Kim, président de la Banque mondiale.
Jim Yong-Kim, président de la Banque mondiale.
  • Copié
OPACITÉ - Les deux tiers des fonds délivrés par la Banque européenne d’investissement seraient captés par des multinationales.

Développer les plus développés. Et si les banques de développement aidaient en priorité les plus développés ? C'est le paradoxe que souligne le Réseau européen sur la dette et le développement dans un rapport fourni, basé sur deux ans d’enquêtes dans le maquis souvent opaque des banques de développement.

Qu'est-ce qu'une banque de développement ? C'est une banque fondée par un ou plusieurs Etats, dont le but est de financer des entreprises privées ou publiques et de contribuer au développement d'un pays au potentiel encore inexploité. La BEI  (la Banque Européenne d’Investissement) en est un exemple: alimentée par les Etats-membres, elle finance des projets dans le monde entier. L'IFC (Investment Fund Corporation en anglais, bras armé de la Banque mondiale) remplit les mêmes fonctions.

Lagarde

© Reuters

>> LIRE AUSSI : Le rapport du réseau sur le fonctionnement et l’utilisation des fonds

50 milliards seront captés par les multinationales d’ici 2015. Les sommes engagées dans ces institutions se chiffrent en dizaines de milliards d’euros. Prenons l’exemple de la BEI : le rapport réalisé par Maria José Romero estime que 73 milliards d’euros seront investis d’ici 2015. Et sur cette somme, presque 50 milliards seront captés par les entreprises multinationales  basées dans des pays développés.La plupart des banques d’investissements internationales, contrôlées par les Etats, ont historiquement été créées par des pays industrialisés pour développer leurs intérêts commerciaux et les protéger dans leurs colonies. Depuis, elles sont devenues un moyen pour les Etats de booster l’activité d’entreprises nationales à l’échelle planétaire.

>> LIRE AUSSI : Avec la crise, les pays riches versent moins d’aide aux pays pauvres

Les pays en développement sont moins représentés dans ces institutions. De la même façon, les banques d’investissement internationales comme l’IFC  ou la BEI privilégient les intérêts des entreprises privées basées dans les pays les plus développés, qui détiennent une majorité de sièges et donc de votes dans ces institutions. Le rapport cite l’exemple de la BEI, où 30% des votes seulement reviennent aux pays en développement. Un constat vient confirmer cette difficulté des pays en développement à se faire entendre : 25% seulement des entreprises financées par la BEI et l’IFC entre 2006 et 2010 sont installées dans des pays à bas revenus.

Movenpick

© Reuters

La BEI se défend. Le porte-parole de la BEI pour l’Afrique, Richard Willis, explique pourtant que "les actions de la BEI présentent des avantages dans le domaine de l'aide au développement en dehors de l'Europe. Elles ont par exemple permis de garantir l'accès à de l'eau potable, à de l'énergie fiable, à un logement bon marché ainsi qu’un transport durable et de nouvelles opportunités économiques pour des millions de personnes."

>> LIRE AUSSI : La Cour des Comptes épingle la gestion française de l’aide au développement

Mais l’auteure du rapport a une toute autre vision de ces institutions "les banques de développement internationales seront toujours tentées de soutenir les entreprises qui viennent de leur pays d'origine. En réalité, bon nombre de ces institutions ont fixé cet objectif dans leur mandat."

Jin-Yong-Cai

© Reuters

Des aides qui peuvent déstabiliser les économies des Etats. L’un des arguments souvent mobilisés pour nuancer ce sombre constat est que ces investissements, même s’ils sont captés par des multinationales, bénéficieront in fine aux populations locales grâce aux embauches occasionnées, aux impôts prélevés ou aux services qui s’implantent. Mais le rapport affirme que ces flux financiers peuvent aussi être à l’origine de déséquilibres macro-économiques, comme ce fut le cas en 1997 lors de la crise asiatique. En se retirant brusquement du marché thaïlandais, les capitaux provenant de ces aides au développement ont ainsi contribué à entretenir l’inflation et à déstabiliser l’équilibre monétaire de toute la région.

>> LIRE AUSSI : Bruxelles décide de la fin de l’aide au développement pour les pays émergents

Manque de transparence. La transparence, voilà le cœur du problème de ces institutions de financement du développement. Le rapport pointe du doigt le principe de l’intermédiation. Il est assez simple : les institutions financières prêtent de l’argent à une banque, elle-même chargée de le prêter aux entreprises éligibles aux aides. Richard Willis l’a reconnu lui-même, "en raison des pratiques bancaires commerciales, les détails des prêts aux particuliers ne peuvent pas être divulgués."  Le site spécialisé dans les questions européennes euractiv.fr cite plusieurs exemples de projets de "développement" discutables, comme ce projet immobilier de résidences sécurisées au Salvador financé à hauteur de 2.3 millions d’euros par le CDC (l’institution financière de développement britannique). Le même organisme a investi 17 millions d’euros dans un complexe d’appartements de luxe au Kenya, mais aussi sur l’ïle Maurice.

>> LIRE AUSSI ; La banque des Brics ou comment concurrencer le FMI