Quand des millisecondes valent des millions

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RÉCIT - Mercredi dernier, une annonce cruciale de la Fed aurait fuité à Chicago avec quelques millisecondes d’avance.

L’INFO. Cinq millisecondes, c’est le temps que met une abeille à battre des ailes. C’est aussi à peu près l’avance dont ont disposé des traders de la bourse de Chicago sur leurs confrères de New York le 18 septembre dernier, au moment d’une annonce cruciale de la Banque centrale américaine, la Fed. Une avance théoriquement impossible, qui pourrait bien constituer un délit d’initié. Et qui a pesé la bagatelle de 800 millions de dollars sur les échanges, principalement sur le marché de l’or.

Un pic d’activité avant New York. Il était 14 heures mercredi dernier quand la Fed, la banque centrale américaine, a surpris les marchés financiers en annonçant son intention de ne pas réduire ses achats d’actifs. Une décision qui aussitôt déclenché une réaction massive des marchés, notamment sur l’or. Mais en examinant les transactions de près, un cabinet d’étude, Nanex, s’est rendu compte qu’un pic d’activité s’était produit à Chicago cinq à sept millisecondes avant une accélération similaire à New York.

façade de la fed, 460 - REUTERS

Ce qui est absolument impossible : en principe, les traders new-yorkais auraient en effet dû avoir une petite longueur d’avance sur leurs confrères de Chicago. Pour toute information en provenance de la capitale américaine, New York, dispose en effet d’une avance de l’ordre de cinq millisecondes sur Chicago, les données ayant un peu moins de chemin à parcourir. La différence n’est évidemment pas perceptible à l’œil nu.

"On connaissait déjà la nouvelle à Chicago". Puisque les traders n’ont pas défié les lois de la physique, une explication s’impose : "on connaissait déjà la nouvelle à Chicago", résume le directeur de Nanex, qui se dit "interloqué". Cette infime avance n’est pas anodine : elle a permis aux traders de Chicago de négocier pour 800 millions de dollars, portant pour l’essentiel sur de l’or.

Dans ce cas précis, pas d’humains appuyant frénétiquement sur des boutons, les yeux rivés sur un écran : les échanges sont entièrement informatisés dans ce que l’on appelle le trading de haute fréquence, ou high frequency trading en anglais. L’hypothèse avancée auprès du site Quartz par Eric Hunsader, de la société Nanex, est qu’une grosse entreprise présente à Wall Street et à la bourse de Chicago avait connaissance des annonces de la Fed avant la publication du communiqué et a donc programmé ses machines "à New York et à Chicago pour attendre 14 heures pile". Sans tenir compte du décalage infinitésimal entre les deux places boursières.

bourse de chicago, 460 REUTERS

Une information sous embargo. D’où a bien pu provenir cette fuite ? La Fed a annoncé mardi qu’elle restait en contact avec les médias. Les regards se tournent en effet vers les journalistes présents au moment de l’annonce, qui se fait selon un rituel bien précis. Dix minutes avant, les représentants des médias, rassemblée dans une salle hermétique, se voient remettre le communiqué, décrit le Huffington Post. Le document est sous embargo : les médias n’ont pas le droit de publier quoi que soit avant l’heure choisie par la Fed. Deux minutes avant l’heure, les journalistes de télévision ont le droit d’aller se préparer devant leurs caméras. Ceux qui travaillent pour la presse écrite ont le droit d’appeler leurs rédactions, sans rien révéler avant 14 heures pile. La source de la fuite n’a pas été identifiée, pas plus que son bénéficiaire. Une chose est sûre, assure Eric Hunsader, cité par Les Échos : "les machines ont encore gagné".